L’hélicoptère se pose au beau milieu de rizières, puis le cortège rejoint un terrain vague où déambulait quelques minutes plus tôt du bétail: le candidat William Ruto tient un énième meeting électoral dans une campagne reculée du Mont Kenya.
Cette vaste région qui s’étend aux pieds d’un volcan éteint du centre du pays est la plus peuplée, la plus influente et la plus représentative des mécaniques politiques complexes de cet Etat d’Afrique de l’Est.
Un incontournable pour le vice-président Ruto, qui fait figure de challenger à l’élection présidentielle du 9 août face à Raila Odinga, ancien leader de l’opposition désormais porté par le pouvoir.
Promesses économiques
Parmi les quelques centaines de partisans rassemblés ce jour-là dans le comté de Kirinyaga, Nancy Njeri, modeste productrice de riz de 78 ans, votera Ruto pour ses promesses économiques.
« Ruto amènera des changements dans l’éducation, l’emploi des jeunes, il s’assurera que nous avons des engrais pour produire notre riz, et beaucoup d’autres choses », affirme-t-elle.
Ruto, qui s’était vu promettre par le président Uhuru Kenyatta de lui succéder en 2022, a progressivement été marginalisé à partir de 2018 par une alliance entre Kenyatta et Odinga.
Âprement, l’ambitieux et sulfureux vice-président de 55 ans a ensuite préparé sa candidature à travers le pays, et particulièrement dans cette région, sous la bannière de son nouveau parti, l’UDA.
« Accepté par les gens du Mont Kenya »
« Le leader du parti a été accepté par les gens du Mont Kenya, il a fait beaucoup de travail de terrain », affirme à l’AFP Anne Waiguru, gouverneure de Kirinyaga et figure de l’UDA.
Gagner « la montagne » n’avait, sur le papier, rien d’évident pour William Ruto.
Le Mont Kenya est la terre sacrée des Kikuyu, l’ethnie la plus nombreuse du pays, dont la croyance veut que Dieu réside dans ce volcan au sommet enneigé, entouré de vallons croulant sous les manguiers, bananiers et autres caféiers.
Cette région fertile est également un haut-lieu de l’héritage politique national: c’est ici qu’est né avant l’indépendance de 1963 la résistance des Mau Mau contre l’empire colonial britannique. Une forte conscience politique y persiste.
Trois des quatre présidents du Kenya indépendant issus de cette communauté
« Depuis ce temps-là, il existe chez les Kikuyu ce sentiment de légitimité » sur les affaires politiques, décrypte l’analyste Herman Manyora.
Trois des quatre présidents du Kenya indépendant – Jomo Kenyatta, Mwai Kibaki, et Uhuru Kenyatta, fils de Jomo – sont issus de cette communauté qui compte également de grandes fortunes et d’importants lobbies.
« Tous ces facteurs font que les Kikuyu sont décisifs dans une élection, et cette élection-ci ne fait pas exception », ajoute Manyora.
Dans un pays marqué par le vote tribal, le Mont Kenya avait largement voté Kenyatta aux deux dernières présidentielles. Mais aujourd’hui, ses quelque six millions d’électeurs – sur 22 millions – ont le choix entre deux candidats principaux hors de la communauté: un Kalenjin, William Ruto, et un Luo, Raila Odinga.
Kalenjin et Kikuyu se sont entretués dans la toute proche vallée du Rift il y a quinze ans, en 2007-2008, lors de violences post-électorales qui ont fait plus de 1.100 morts et laissé une blessure profonde.
Odinga, lui, fut longtemps l’opposant de Kenyatta, qui le brocardait alors en homme mauvais et violent.
Sentiment d’injustice
Certes, le président, et la machine étatique, soutiennent désormais le vétéran de 77 ans. Mais les Kikuyu, très attachés au concept de « kihoto » (la justice, en langue kikuyu), ont désormais pris en grippe cet enfant du pays qui n’a selon eux pas tenu ses engagements.
« Il y a eu ce sentiment d’injustice, que ce soit envers eux ou les promesses qui (leur) avaient été faites, et cette volte-face de passer du soutien à Ruto au soutien à Raila », observe l’universitaire Macharia Munene.
« Nous les Kikuyu, on ne nous dit pas pour qui voter. Uhuru est un traître », lâche ainsi au meeting de Kirinyaga George Mwaura, un moto-taxi de 38 ans.
La gouverneure Anne Waiguru prédit une très large victoire de l’UDA sur « la montagne ». Mais Azimio la Umoja, la coalition de Raila Odinga, martèle qu’elle décrochera une majorité.
« Dans le pire des cas, je pense que le Mont Kenya votera Azimio à 60% », affirme à l’AFP David Murathe, vice-président du comité exécutif d’Azimio.
Cette figure de la communauté argue que la nomination comme colistière d’Odinga de Martha Karua, une ancienne ministre et magistrate kikuyu reconnue pour sa droiture et sa pugnacité face à la corruption, a « changé la donne » pour Azimio.
L’analyste Macharia Munene reconnaît l’existence d’un « effet Martha » sur les intentions de vote dans la région.
« A un moment (le Mont Kenya) paraissait entièrement pro-Ruto, il y a six ou sept mois », évalue-t-il.
« Ce soutien écrasant a décliné, il s’est érodé. Est-ce que cette érosion est suffisante pour inverser la vapeur ? C’est une autre question ».
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