Jamais je ne pourrai ajouter foi à ces vieilles fables, ni à ces jeux de féerie. Les amants et les fous ont des cerveaux bouillants, une imagination féconde en fantômes, et qui conçoit au delà de ce que la froide raison ne peut jamais comprendre. Le fou, l’amoureux et le poète sont toute imagination.
Telles sont les paroles du duc Thésée vers la fin de la pièce lumineuse et enchanteresse de Shakespeare Le Songe d’une nuit d’été. Le discours de Thésée évoque certaines des questions centrales de la pièce, principalement la nature de l’amour, qui peut parfois ressembler à une folie déraisonnable, pleine de changements et d’impermanence.
Comme l’a souligné le professeur de littérature Dennis Quinn, ce discours est empreint d’une ironie merveilleuse et ludique : Thésée se plaint des fables antiques et de l’absence de poésie, alors qu’il est lui-même un personnage de mythe qui prononce ces lignes dans des vers magnifiques ! Par cette ironie, Shakespeare suggère que l’amour est quelque chose de plus compliqué qu’une simple forme de « folie » étrangère à la « froide raison ».
Le discours de Thésée se poursuit :
L’œil du poète, roulant dans un beau délire, lance son regard du ciel à la terre, et de la terre aux cieux ; et comme l’imagination donne un corps aux objets inconnus, la plume du poète leur imprime de même des formes, et assigne à un fantôme aérien une demeure et un nom particulier.
Le fou voit des choses qui n’existent pas. Mais il est également vrai qu’une personne peut paraître folle simplement parce qu’elle a vu quelque chose de réel que personne d’autre n’a vu. C’est ce qui relie le fou apparent, le poète et l’amoureux : l’expérience de choses « inconnues ». Ce sont des mystères, comme le mystère de l’amour. Peut-être que cette folie apparente est en fait une vision plus profonde de la réalité, une « vision très rare », selon les mots d’un autre personnage de la pièce, Bottom le Tisserand.
Lorsque nous aimons, nous voyons les qualités de l’être aimé que les autres n’ont pas le privilège de voir, tout comme le poète communique ce qu’il voit du monde à travers son art. Le discours de Thésée critique et loue paradoxalement la poésie, qui prend « la forme de choses inconnues » – comme le mystère de l’amour – et leur donne « une demeure locale et un nom ».
C’est précisément ce que fait Shakespeare dans Le Songe d’une nuit d’été. Il explore et célèbre l’insondable sujet de l’amour à travers une comédie délicieuse, légère mais profonde, qui se déroule dans l’Athènes antique et dans le royaume des fées des bois.
Amoureux mélangés
Écrit vers 1595, Le Songe d’une nuit d’été combine plusieurs intrigues en une seule. Le duc Thésée se prépare à épouser Hippolyte, lorsque son sujet, Egeus, vient le trouver pour se plaindre : la fille d’Egeus, Hermia, est amoureuse d’un jeune homme nommé Lysandre et refuse d’épouser le choix de son père, Démétrius. Pour échapper à la loi athénienne qui exige qu’une fille épouse le choix de son père, Hermia et Lysandre s’enfuient dans la forêt, qui se trouve être le royaume du roi des fées Obéron et de sa reine, Titania. Ils ont leur propre conflit conjugal.
Pour compliquer encore les choses, une jeune fille nommée Héléna est amoureuse de Démétrius, qui lui jurait qu’il l’aimait en retour.
Obéron envoie son serviteur, Puck, utiliser une fleur magique pour que Démétrius retombe amoureux d’Héléna afin de résoudre le conflit amoureux. Mais Puck met accidentellement le jus de la fleur sur les yeux de Lysandre, qui est endormi. À son réveil, il voit Hélène et tombe amoureux d’elle. Démétrius reçoit lui aussi le jus de la fleur.
Les deux hommes aiment désormais Héléna, et le chaos s’ensuit. Les fées finissent par arranger les choses et chaque couple retrouve son état d’origine : Lysandre et Hermia, et Démétrius et Héléna. Les deux couples se marient aux côtés de Thésée et d’Hippolyte.
Les thèmes éternels de l’amour
Comme l’a écrit Gideon Rappaport, spécialiste de Shakespeare, dans son livre Appreciating Shakespeare, cette pièce « plonge doucement mais profondément dans le mystère de l’amour humain. Aimons-nous par choix ou par nécessité ? Aimons-nous telle personne et pas telle autre en raison d’une préférence consciente ? D’une prédisposition inconsciente ? De la nature ? Du destin ? D’hormones ? … D’attentes sociales ? De la magie ? … La pièce ne répond pas exactement à ces questions. Mais elle nous réconcilie de manière significative et joyeuse avec l’irréductible mystère de l’amour. »
Deux mots du titre de la pièce permettent d’en comprendre les thèmes : « rêve » et « nuit ». Le mot « rêve » a plusieurs significations. On l’utilise parfois comme synonyme de simple « illusion » ou « fantaisie ». Il peut également être lié au concept de « vision ». Dans la Bible, de nombreuses personnes reçoivent des visions en rêve. Ces visions communiquent des vérités divines, des choses qui sont normalement au-dessus de la connaissance ou de la raison humaine. Le mot « rêve » montre que l’amour peut être à la fois « illusoire » lorsqu’il est faux et « visionnaire » lorsqu’il est vrai ; en effet, il peut être la clé qui permet de voir les choses telles qu’elles sont réellement.
L’atmosphère nocturne est établie par le clair de lune dans la pièce. Les images de la Lune et du clair de lune qui dominent la pièce suggèrent le changement et l’instabilité, car la Lune a longtemps été considérée comme un signe de changement et même de folie. Avant la résolution de la pièce, nous constatons une grande inconstance chez les jeunes prétendants, Démétrius et Lysandre, qui professent leur amour pour une jeune fille une minute et pour l’autre la minute suivante.
Shakespeare associe également l’image de la Lune à la chasteté. Dans l’acte II, scène 1, Obéron dit : « Mais je pourrais voir la tige enflammée du jeune Cupidon / S’éteindre dans les chastes rayons de la Lune aquatique ». Par définition, la chasteté est quelque chose de stable et de déterminé qui résiste à l’impulsivité. La chasteté dans le mariage est d’ailleurs liée à la fidélité à l’époux. Dans les références à la Lune, on trouve donc à la fois le changement et la stabilité. »
Ce modèle d’imagerie suggère à nouveau le paradoxe de l’amour. Lorsqu’il n’est pas lié à la raison ou à la vertu, il est intempestif et changeant. Mais lorsqu’il est engagé et protégé par la chasteté, il devient quelque chose de permanent.
Voici un exemple d’amour sans engagement et changeant : sous l’influence trouble de la fleur d’amour, Lysandre se réveille et aperçoit Héléna, tombant instantanément « amoureux » d’elle, malgré ses promesses à Hermia. Il prononce alors ce discours :
La volonté de l’homme est gouvernée par la raison ; et ma raison me dit que vous êtes la plus digne d’être aimée. Les plantes qui croissent encore ne sont pas mûres avant leur saison ; et moi-même, trop jeune jusqu’ici, je n’étais point mûr pour la raison ; mais maintenant que je touche au plus haut point de la perfection humaine, la raison devient le guide de ma volonté et me conduit à vos yeux, où je vois des histoires d’amour écrites dans le livre le plus précieux de l’amour.
Sous l’influence de la fleur, Lysandre rationalise son nouvel « amour ». « J’étais jeune et immature, mais maintenant que ma raison est pleinement formée, j’ai fait le calcul rationnel que tu es la meilleure jeune fille et j’ai décidé de t’aimer à la place d’Hermia. »
Nous savons tous que ce n’est pas ainsi que fonctionne l’amour. Et ce n’est pas non plus ce qui est réellement arrivé à Lysandre. L’ironie dramatique de la scène est que nous savons que Lysandre est en fait sous l’emprise d’un sort magique, pur et simple, mais il pense que son nouvel amour pour Héléna est le résultat d’un processus syllogistique et rationnel. C’est de l’auto-illusion, et c’est absurdement drôle.
Mais il y a une vérité plus profonde. La volonté de l’homme n’est pas toujours influencée par la raison, quoi qu’il se dise. Nous faisons parfois des choix irrationnels et inexplicables. L’amour n’est pas le fruit d’une déduction logique, même si la raison intervient pour comprendre les qualités de l’être aimé. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’amour peut sembler si imprévisible. Une fois de plus, nous sommes confrontés à la question suivante : quel est le véritable moteur de notre amour ? La raison ? L’impulsion ? La pleine lune ? Les étoiles ? Comment concilier ces mystères, ces tensions et ces paradoxes de l’amour ?
La réponse est dans le mariage, et trois mariages ont lieu simultanément à la fin de la pièce. Dans le mariage, les amants reçoivent la joie de l’union, le baume sur leurs désirs exacerbés et la permission d’embrasser l’impétuosité du désir. En même temps, ils obtiennent la stabilité grâce à l’exclusivité. Ils reconnaissent que l’amour n’apporte pas seulement des privilèges, mais aussi des responsabilités, tant envers l’être aimé qu’envers la société. Désir et durabilité sont ici réconciliés. Rappaport nous donne la clé pour comprendre la résolution de la pièce : « L’harmonie est atteinte par l’union du sentiment naturel, du désir conscient et du choix du libre arbitre. »
C’est ce qu’illustre l’un des derniers discours de Démétrius, après qu’il a retrouvé son amour d’origine, Héléna. Il y a là un beau mélange de désir et de choix :
Mais, mon bon prince, je ne sais par quelle puissance (sans doute par quelque puissance supérieure) mon amour pour Hermia, fondu comme la neige, me semble en ce moment le souvenir confus des vains hochets dont je raffolais dans mon enfance ; et maintenant l’unique objet de ma foi, de toutes les affections de mon cœur, l’objet et le plaisir de mes yeux, c’est Héléna seule ; j’étais fiancé avec elle, mon prince, avant que j’eusse vu Hermia : comme un malade, je me dégoûtai de cette beauté ; mais aujourd’hui bien portant, je reviens à mon goût naturel ; maintenant, je la veux, je l’aime, je la désire, et je lui serai à jamais fidèle.
Avec l’aide d’une fleur au pouvoir divin, Démétrius a été rendu fidèle à son premier amour. La « magie », dans ce cas, ne l’a pas ensorcelé, elle l’a au contraire libéré. Elle l’a rendu à son « goût naturel », comme le souligne Rappaport à juste titre. Il y a donc un mystère dans la fidélité. Une partie de ce mystère réside dans le fait que nous pouvons avoir besoin de l’aide d’une puissance supérieure pour persévérer dans cette voie.
Dans cette merveilleuse pièce, Shakespeare suggère, par le biais de l’intrigue et de l’imagerie, que le véritable amour est imprévisible mais accessible. Nous pouvons confondre l’engouement ou le désir sexuel avec l’amour, et les véritables motifs qui sous-tendent nos actions et nos désirs peuvent être plus compliqués que nous ne le pensons. Mais l’amour le plus vrai est une vision unique de l’être aimé qui rassemble la volonté, la raison et les émotions, conduisant à un choix engagé et rationnel.
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