Le néoclassicisme français : une exposition de peintures de Guillaume Lethière

Le Clark Art Institute, musée d’art à Williamstown, dans le Massachussetts, aux États-Unis, expose jusqu'en octobre 2024 des tableaux du peintre néoclassique français Guillaume Lethière, tombé dans l'oubli

Par Da Yan
23 juillet 2024 21:41 Mis à jour: 23 juillet 2024 23:54

Il est étonnant qu’un peintre de l’envergure de Guillaume Lethière ait pu tomber dans l’oubli. Personnage sociable, éclairé et populaire, il fut le mentor du maître néoclassique Jean-Auguste-Dominique Ingres, l’ami de la famille du géant de la littérature Alexandre Dumas et le conseiller artistique du frère de Napoléon, Lucien Bonaparte.

Il fut un excellent et prolifique peintre d’histoire ancienne et contemporaine, un professeur influent au centre de la vie artistique parisienne et le directeur de la prestigieuse Académie de France à Rome.

Regardez la fête conviviale commémorée par le pinceau délicat de Louis Léopold Boilly dans son œuvre Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey. On y voit Guillaume Lethière, en pleine lumière, vêtu d’une robe rouge et de ses cheveux crépus caractéristiques, en train de discuter d’un tableau posé sur un chevalet. Un nombre important de portraits, dessins, gravures et bustes de Guillaume Lethière, réalisés par ses élèves, amis et admirateurs, témoignent de sa grande popularité dans les milieux artistiques français autour de l’année 1800.

Réunion d’artistes dans l’atelier d’Isabey, 1798, par Louis Léopold Boilly. Huile sur toile. Musée du Louvre, Paris. (Domaine public)

On ne saura jamais comment cette figure éminente est tombée presque complètement dans l’oubli. Ce n’est pas un mince exploit que le Clark Art Institute – après des années de planification méticuleuse qui ont impliqué des prêts intercontinentaux de peintures monumentales majeures – ait organisé la première exposition monographique de l’artiste à Williamstown, dans le Massachusetts. L’exposition, qui sera ouverte jusqu’au 14 octobre 2024 avant d’être présentée pour la deuxième fois à Paris, au musée du Louvre, retrace la carrière extraordinaire de Guillaume Lethière, depuis ses origines d’esclave dans les colonies françaises des Caraïbes jusqu’au sommet des institutions les plus décorées d’Europe. Mais sa réussite artistique est bien plus qu’une histoire fascinante.

Histoire de l’artiste

Guillaume Lethière est né en 1760 à Sainte-Anne, en Guadeloupe. Il est le fils illégitime d’un fonctionnaire colonial français et d’une femme esclave d’origine africaine. À l’âge de 14 ans, Guillaume Lethière déménage avec son père à Rouen, en France, où il est inscrit à l’école d’art locale. Ses solides connaissances de base sont évidentes dans une étude de figure à la craie rouge qui lui a valu un prix de dessin extraordinaire en 1776. Au fur et à mesure qu’il progresse dans le cursus académique, il obtient une place convoitée à l’Académie de France à Rome, lieu de formation finale pour les jeunes artistes les plus prometteurs.

Etude académique à la sanguine et au graphite, rehaussée de blanc, 1776, par Guillaume Lethière. Bibliothèque municipale, Rouen, France. (Le Clark)

Après son retour en France en 1792, Guillaume Lethière installe un atelier à Paris et commence officiellement sa carrière professionnelle en tant que peintre et professeur. Le portrait de sa belle-fille avec son portfolio, exposé au Salon de 1799, révèle le moment le plus intime et le plus attentionné de Guillaume Lethière, capturé en peinture. D’autre part, l’exubérant portrait de l’impératrice Joséphine montre l’artiste en train de peindre avec diligence les moindres détails de ses costumes, afin de remplir son devoir envers ses puissants mécènes.

Femme appuyée sur un portefeuille, vers 1799, par Guillaume Lethière. Huile sur toile ; Worcester Art Museum, Massachusetts. (Le Clark)
Joséphine, impératrice des Français, 1807, par Guillaume Lethière. Huile sur toile. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, France. (Le Clark)

De toutes les œuvres de Guillaume Lethière, le Serment des Ancêtres se distingue comme la peinture la plus personnelle et la plus révolutionnaire. Il commémore l’indépendance d’Haïti par rapport à la France en 1804, un événement politique majeur qui s’est déroulé à proximité du lieu où il a grandi dans les îles des Caraïbes. Dans le tableau, les deux leaders révolutionnaires, Alexandre Pétion et Jean-Jacques Dessalines, se tiennent sur une plateforme sous la protection divine. Ils piétinent les chaînes brisées de l’esclavage et prêtent serment de respecter la Constitution et la liberté du peuple haïtien.

Guillaume Lethière, aux sympathies républicaines et dévoué à l’abolition de l’esclavage, a secrètement et audacieusement offert ce tableau au jeune gouvernement haïtien avant que la France ne reconnaisse officiellement son indépendance. Sa signature déclare hardiment ses origines : «G. Guillon Lethière, né à la Guadeloupe en 1760.»

Serment des ancêtres, 1822, par Guillaume Lethière. Huile sur toile. Musée du Panthéon National Haïtien, Port-au-Prince. (Le Clark)

Néanmoins, c’est dans les grandes compositions néoclassiques de Guillaume Lethière que l’on trouve ses œuvres les plus ambitieuses et les plus sophistiquées sur le plan artistique.

Le néoclassicisme français

Dans la tradition académique française, la peinture d’histoire monumentale était considérée comme le genre artistique le plus élevé. Elle mettait à l’épreuve la capacité des artistes à transmettre des arrangements complexes en utilisant de multiples figures humaines et la narration visuelle d’histoires classiques ou bibliques pour l’édification morale de la postérité. Le Brutus condamnant ses fils à mort de Guillaume Lethière en est un excellent exemple.

Brutus condamnant ses fils à mort, vers 1788, par Guillaume Lethière. Huile sur toile. The Clark Art Institute, Massachusetts. (The Clark)

Le tableau, conçu en 1788 pendant ses années d’études à Rome, représente un événement historique ancien, lorsque le légendaire fondateur de la République romaine a exécuté ses deux fils pour avoir tenté de restaurer la monarchie abolie. Disposée horizontalement selon l’idiome de la sculpture en relief classique, la scène dépeint l’apogée de l’histoire dramatique entre les deux morts. À gauche, un bourreau brandit la tête macabre du premier fils, repoussant un spectateur abhorré. Au milieu, le second fils se pâme à cette vue, tandis que d’autres implorent la pitié, incapables de tolérer la poursuite de la tragédie familiale. Brutus, feignant le stoïcisme, serre le poing mais finit par exécuter sa sentence pour défendre la république.

Reflétant les préoccupations sociétales en ébullition à l’aube de la Révolution française, le Brutus de Guillaume Lethière a précédé le Serment des Horaces de Jacques-Louis David, peint sur le même thème un an plus tard. Contrairement à la représentation de Brutus par David au lendemain de son événement «patriotique», Guillaume Lethière a représenté le grand drame d’un moment clé de confrontation dans la grandeur architecturale de la Rome antique et l’assemblée bondée des citoyens romains. L’artiste a utilisé le vaste cadre urbain pour accueillir un très grand nombre de petits personnages. Cela révèle ses premiers efforts pour combiner l’histoire avec la tradition de la peinture de paysage – un effort qui a abouti à un autre chef-d’œuvre dans ses années de maturité.


Le serment des Horaces, 1784-1785, par Jacques-Louis David. Huile sur toile, 3,3 m sur 4,2 m. Musée du Louvre, Paris. (Domaine public)

L’Académie française de Rome

En 1807, avec le soutien de la famille Bonaparte, Guillaume Lethière est nommé directeur de l’Académie de France à Rome. Outre ses fonctions administratives et pédagogiques, il peint Homère chantant son Iliade aux portes d’Athènes.

Homère chantant son Iliade aux portes d’Athènes, vers 1814, par Guillaume Lethière. Huile sur toile. Musées et galeries de la ville de Nottingham, Angleterre. (The Clark)

L’artiste harmonise visuellement la narration figurative et le paysage poétique, en regroupant un groupe d’auditeurs attentifs autour d’Homère tout en laissant la toile ouverte au-delà de la ville jusqu’à une vue lointaine. Ce rendu lyrique du paysage a été inauguré par le maître français Nicolas Poussin, qui a visualisé la beauté de la poésie pastorale antique à travers les paysages bucoliques de la campagne italienne. C’est dans la sublime montagne à l’atmosphère brumeuse ou dans l’allure oisive du berger et de son troupeau – comme dans le Paysage par temps calme de Poussin – que Guillaume Lethière a dû puiser son inspiration.

Paysage par temps calme, ​​1650-1651, de Nicolas Poussin. Huile sur toile. Getty Center, Los Angeles. (Domaine public)

L’Homère de Guillaume Lethière est assis sur un côté de la route, son guide s’assoupissant après leur long périple. Mais son épopée retient toute l’attention du cercle d’auditeurs, l’un d’eux avançant la tête pour jeter un petit coup d’œil au poète aveugle. De l’autre côté, un couple écrit sur une tablette, notant à la hâte l’histoire orale à l’aide d’une plume de roseau. Attiré par cette curieuse assemblée, un passant s’approche de la ville, tandis que, plus loin, de minuscules personnages vaquent à leurs occupations quotidiennes et à leurs loisirs, inconscients de l’événement littéraire capital dont les spectateurs sont les témoins.

L’exposition Guillaume Lethière vaut la peine d’être vue pour l’histoire qu’elle raconte et la beauté de l’art qu’elle rassemble. Bientôt à Paris !

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