Secoué depuis plus d’un mois par des manifestations meurtrières, le Nicaragua enterre vendredi les 16 dernières victimes de cette vague de contestation, tandis que semble s’éloigner la possibilité d’un dialogue entre le gouvernement et l’opposition. Outre ces morts, les heurts de mercredi et jeudi entre partisans et adversaires du président Daniel Ortega, un ex-guérillero de 72 ans, ont fait 88 blessés, selon le dernier bilan diffusé par le Centre nicaraguayen des droits de l’homme (Cenidh).
Il s’agit d’un des affrontements de rue les plus violents depuis le début des protestations antigouvernementales le 18 avril, selon cette ONG, qui accuse les hommes de main à la solde du pouvoir d’être les « agresseurs ». Le Cenidh a dénombré 16 morts, la police 15, un bilan qui porte à une centaine le nombre de tués depuis avril. Leurs funérailles devait avoir lieu vendredi matin. « On n’entendait plus que les tirs, c’était la panique, on se serait cru en guerre », raconte, encore terrifiée, Julieth Hernandez, une habitante de Managua.
Selon les témoignages recueillis, les dizaines de milliers de Nicaraguayens qui participaient mercredi à la marche de soutien aux mères dont les enfants avaient été tués dans les manifestations précédentes ont été pris sous les tirs soudains de francs-tireurs, tandis que d’autres tentaient de les disperser en tirant au sol. « On arrivait en marchant avec la manifestation quand ils ont commencé à tirer depuis les hauteurs. Les gens se sont mis à courir, à chercher à se mettre à l’abri. J’ai cru qu’on allait tous mourir », a raconté à l’AFP Andrés Donato, un agriculteur qui a couru jusqu’à la cathédrale où il s’est réfugié toute la nuit, comme un millier d’autres cultivateurs venus prêter main forte aux manifestants.
Nombre d’entre eux se sont ensuite armés de courage et sont revenus avec des bâtons, des machettes et des mortiers pour aller défendre les manifestants pris dans la fusillade. L’un d’eux est mort, tué d’une balle dans la tête, a raconté l’agriculteur Yerlin Marin. D’autres villes du pays ont vécu des violences similaires, comme Masaya, Leon, Matagalpa et Chinandega, toutes d’anciens bastions sandinistes qui demandent maintenant un changement démocratique.
Des pillages de commerces et d’au moins une banque avaient lieu vendredi matin à Masaya, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, selon les médias locaux. Héros de la révolution sandiniste qui avait renversé la dictature en 1979, Daniel Ortega voit le vent tourner contre lui depuis la mi-avril. Il est confronté à une vague de contestation sans précédent, déclenchée par une réforme des retraites abandonnée depuis, mais qui a vite tourné à un mouvement général de rejet du chef de l’Etat, accusé de confisquer le pouvoir –il dirige le Nicaragua depuis 2007, après un premier passage de 1979 à 1990– et de brider les libertés.
La Conférence épiscopale du Nicaragua (CEN), qui s’était proposée comme médiatrice entre gouvernement et opposition, a prévenu jeudi que le dialogue ne reprendrait pas tant que la répression ne cesserait pas. « Nous, les évêques de la CEN, condamnons tous ces actes de répression par des groupes proches du gouvernement et nous voulons dire clairement que le dialogue national ne pourra reprendre tant qu’on continuera de nier au peuple du Nicaragua le droit à manifester librement, et qu’on continuera de le réprimer et de l’assassiner », a-t-elle affirmé dans un communiqué.
Les milieux d’affaires, alliés traditionnels du président, ont publiquement pris leurs distances cette semaine. De plus en plus de voix s’élevaient à l’international pour condamner la situation dans ce pays. Après le Parlement européen, la France et l’Organisation des Etats américains (OEA), jeudi, c’est la Commission des droits de l’Homme des Nations unies qui s’est dite vendredi « consternée par les violences au Nicaragua ».
DC avec AFP
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