Le président du directoire du journal Le Monde, Louis Dreyfus, est également convoqué le 29 mai par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), dans les mêmes circonstances qu’Ariane Chemin, grand reporter au quotidien, a annoncé jeudi l’intéressé à l’agence France Presse (AFP).
Le journal avait révélé mercredi qu’Ariane Chemin était convoquée pour des articles sur les affaires d’Alexandre Benalla, et notamment « sur le profil d’un sous-officier de l’armée de l’air, Chokri Wakrim, compagnon de l’ex-cheffe de la sécurité de Matignon, Marie-Élodie Poitout ».
Tout comme la journaliste, M. Dreyfus a été convoqué en vue d’une audition libre dans les locaux de la DGSI, dans le cadre d’une enquête ouverte pour « révélation de l’identité d’un membre des unités des forces spéciales ». Selon des sources concordantes, cette enquête fait suite à une plainte déposée mi-avril par Chokri Wakrim.
La convocation de Mme Chemin à la DGSI intervient après celle de sept autres journalistes du site Disclose, de Radio France et de l’émission « Quotidien » de TMC, ayant pour point commun d’avoir enquêté sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen. Elle a soulevé une vague de protestations de journalistes et de personnalités politiques, qui y voient une atteinte au droit d’informer.
Reporters sans frontières (RSF) a réclamé « des explications aux autorités françaises », rappelant que la France occupe la 32e place dans son classement mondial de la liberté de la presse 2019.
« Il faut craindre qu’avec ces convocations les autorités cherchent à intimider les journalistes et à identifier leurs sources de manière à les sanctionner ou à les dissuader », souligne Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. « Si dans un pays le secret des sources n’est pas garanti, s’il est fragilisé par des actions comme celles-ci, les citoyens seront privés de leur droit à avoir des informations non officielles ».
L’association du prix Albert-Londres a également exprimé dans un communiqué « sa profonde inquiétude devant la multiplication de convocations judiciaires de journalistes qui n’ont fait que leur travail d’enquête ».
En revanche, l’exécutif a défendu le bien-fondé de ces convocations. Sur Europe 1, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye les a justifiées en affirmant qu’« on ne peut pas dévoiler l’identité d’un agent qui appartient aux forces spéciales », et que l’État se devait de protéger « un certain nombre de données » nécessaires pour « des activités de défense extérieure et des activités militaires ».
Par ailleurs, Fabrice Arfi, coresponsable des enquêtes à Mediapart, s’est interrogé dans un article mercredi sur l’indépendance vis-à-vis du pouvoir du procureur de Paris Rémy Heitz, qui dirige ces différentes enquêtes, dont l’une (liée à l’affaire Benalla) a également conduit à une tentative de perquisition dans les locaux du journal en ligne, début février.
« Dans le cas de Rémy Heitz, ses conditions de nomination, qui ont fait sursauter une bonne partie de l’appareil judiciaire, ne peuvent que susciter le soupçon sur son manque d’indépendance vis-à-vis du gouvernement qui l’a fait prince de Paris », a souligné le journaliste, ajoutant que le procureur de Paris n’a été nommé qu’« après qu’Emmanuel Macron a retoqué d’un trait de plume les trois postulants (…) retenus par le ministère de la Justice et le Conseil supérieur de la magistrature ».
En outre, une pétition lancée sur le site change.org par une journaliste yéménite en soutien aux reporters de Disclose, et adressée notamment à Emmanuel Macron, a recueilli à ce jour plus de 57 000 signatures.
D. S avec AFP
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