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Le prix des noces : jamais assez cher et pourtant toujours trop cher

mai 17, 2018 19:49, Last Updated: mai 17, 2018 19:49
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L’amour n’a pas de prix. Mais il y a un prix à payer à ne pas mettre de prix à l’amour. Les planificatrices de mariage et les directeurs de pompes funèbres le savent fort bien. Face à ces événements, joie et peine se confondent pour dépenser sans économie. Ce qui fait justement des cérémonies du mariage et de l’enterrement un sujet d’économie. Au début de la pleine saison des noces, contentons-nous du mariage dans la chronique d’aujourd’hui.

Dès lors qu’elle est étiquetée « de mariée », une robe se vend beaucoup plus chère. Quatre fois plus chère même selon une étude américaine. Il en est de même pour les demoiselles d’honneur. Une robe comparable pour petite fille mais sans référence à une cérémonie nuptiale est deux fois moins chère.

La plus belle robe… (VisualHunt)

Ces écarts de prix sont considérables. Ils sont en partie dus à des biais méthodologiques de l’étude elle-même (sélection des produits comparables, données de vente en ligne uniquement, etc.) mais ils reflètent bien une constante : à événement unique (en principe), prix exceptionnel. L’observation vaut en effet pour d’autres prestations. Un traiteur ne proposera pas le même prix s’il est sollicité pour une noce ou pour une cérémonie d’anniversaire ou même une première communion.

À événement unique, prix exceptionnel

La référence au mariage produit un gonflement du prix car elle annonce que les acheteurs sont prêts à payer cher. Et ils sont prêts à payer cher car il s’agit d’une cérémonie d’exception, chargée d’émotion et appelée à marquer les esprits, voire à signaler sa richesse et témoigner de son rang par des dépenses ostentatoires. En mesure de distinguer les futurs mariés des autres acheteurs, les vendeurs peuvent pratiquer des prix différents et s’assurer ainsi un plus grand profit.

Cette discrimination par les prix s’étend même au sein de la clientèle des mariés. Une publicité américaine des années 1980 de De Beers, le géant sud-africain du diamant, montre le visage d’une femme et sa main portant une bague de fiançailles assortie de la phrase « Deux mois de salaire ont montré à Mme Smith à quoi ressemblera le futur ». Une variante donnera le slogan « Comment faire durer deux mois de salaire pour toujours ».

C’est une façon maligne de faire choisir des bagues serties de diamant plus chères à ceux dont les revenus sont plus élevés. Chacun peut facilement calculer le montant qui lui correspond et se sentir pingre en deçà et généreux au-delà. De plus, l’équivalence au salaire n’est pas la même partout. Au Japon, la réclame affiche trois mois de paye. Pour des raisons que j’ignore mais qui doivent être fondées, De Beers a considéré que les fiancés japonais étaient prêts à dépenser plus que leurs homologues américains.

Un diamant, bien sûr… (VisualHunt)

La publicité auprès des demoiselles Smith entre bien sûr en écho avec un autre slogan de De Beers, plus ancien puisqu’il date de 1947, « A diamond is forever ».

On prête d’ailleurs souvent à ce dernier la tradition qui s’établit aux États-Unis à partir de la Seconde Guerre mondiale d’offrir un diamant à sa future épouse. Avant-guerre, 10 % des bagues de fiançailles sont serties de cette pierre précieuse. La proportion est passée à 60 % à la fin du siècle. Ce succès est dû à un marketing particulièrement efficace mais aussi à la baisse du prix du diamant brut liée à une surcapacité minière, surcapacité que De Beers a cherché à contrecarrer par ce nouveau débouché.

Une étude économétrique de Margaret Brinig de l’Université de Notre Dame (Indiana) a montré qu’une modification légale aux États-Unis a également joué un rôle déterminant. À partir des années 1930 le droit accordé aux fiancées d’obtenir réparation en cas de rupture de l’engagement de leur promis s’éteint progressivement. Constatant que la demande pour les diamants augmente au fur et à mesure de cet abandon, l’économiste américaine suppose que la bague de valeur a alors servi de gage remplaçant la protection dont auparavant les fiancées bénéficiaient.

Douze mois de préparatifs et 44 tâches

Les coûts de recherche de l’information sont une autre cause du prix élevé des noces car ils limitent la possibilité de faire jouer la concurrence entre les fournisseurs (voir appendice). En effet, les tarifs des différentes prestations ne sont pas d’emblée affichés et sont difficilement comparables d’un fournisseur à l’autre. Pas facile par exemple de juger quel traiteur propose le prix le plus bas à qualité égale car les menus sont différents. Bisque de homard ou bouchée à la reine en entrée ?

Idem pour choisir l’animateur musical le moins cher car leur talent, leur sono et leurs horaires ne sont pas les mêmes. Les futurs mariés se lassent vite dans cette quête. D’autant qu’il ne s’agit pas seulement de trouver un lieu, un traiteur et un DJ pour la fête. Il faut aussi choisir les faire-part, les fleurs, le photographe, les habits de cérémonie, les petits cadeaux aux invités, etc.

En 1959, le magazine américain Brides conseillait aux couples de consacrer deux mois pour organiser leur mariage et suggérait une check-list comprenant 22 choses à faire. Trente années plus tard, la recommandation du même magazine est passée à 12 mois de préparatifs et 44 tâches. Il est vrai qu’il vaut mieux s’y prendre à l’avance car la saisonnalité du mariage est aujourd’hui plus marquée.

En France, six mariages sur dix ont lieu entre juin et septembre. Même le mois de mai voit plus de mariages aujourd’hui qu’en automne et hiver alors qu’il était autrefois le mois le plus creux de l’année par dévotion à la Vierge Marie. C’est le calendrier solaire et scolaire qui dicte désormais la date des noces. Sauf en basse saison, il est devenu quasiment impossible de réserver un lieu pour recevoir ses invités en s’y prenant seulement quelques mois auparavant.

Chercher le meilleur (fournisseur) a un coût

Internet et Google ont pourtant fait baisser les coûts de recherche. Fini ou presque de devoir visiter un à un de nombreux lieux de réception avant de trouver le bon. Leur site avec photos sous tous les angles, vidéos des salles et vues du ciel, avis et classements des clients précédents font gagner un temps précieux pour opérer la sélection finale. Mais le mariage étant une activité de sur-mesure auprès d’un grand nombre de différents prestataires, il n’existe pas de plate-forme tout-en-un agrégeant les prix et indexant les qualités. Il faut donc cliquer et encore cliquer.

Un seul clic suffit pour entrer chez Amazon en tapant « robe de mariage » mais il ouvre sur 10 000 références avec photo du produit et lien du vendeur. Il faut aussi naviguer de longues heures à la recherche d’inspiration avant de découvrir la prestation originale dont tout le monde se souviendra. Trouver par exemple le site de Hitch and Pooch qui aide à dresser le chien des mariés pour porter les alliances.

Choisir le chien qu’il faut… (site hitchandpooch.co.uk)

Afin de gagner du temps, vous pouvez bien sûr faire appel à un organisateur de mariage. L’aide d’un wedding planner est devenu la règle aux États-Unis, mais reste encore marginale en France.

Il n’est cependant pas dit qu’une information encore plus claire et plus commodément accessible sur les prix les fasse beaucoup baisser. Les prestations de mariage se rangent dans la catégorie des biens économiques dits d’expérience, c’est-à-dire dont la qualité se révèle seulement après leur achat. Pour ces biens (voir ma chronique sur le vin) les consommateurs ont tendance à se tourner vers les produits les plus chers, le prix signalant la qualité.

Un repas inoubliable. (VisualHunt)

Un coût moyen de 12 000 euros

Mises bout à bout les prestations pour un mariage s’élèvent en moyenne à 12 000 euros en France, le double au Japon et le triple aux États-Unis. Avec bien sûr à chaque fois une très grande dispersion dans la moitié haute de la fourchette. Par exemple de l’autre côté de l’Atlantique près d’une noce sur deux est à moins de 10 000 de dollars et une sur cent à plus de 100 000 de dollars.

Et vous qui vous marriez cet été ou le prochain quel est votre budget ? Je n’ai pas de conseils à vous donner même si une étude publiée dans Economic Inquiry conduirait à penser que le taux de divorce augmente avec les dépenses.

Soyons précis : pour un effectif de 3 000 personnes mariées ou divorcées résidant aux États-Unis et ayant accepté de répondre à un questionnaire sur Internet moyennant la rétribution de quelques dollars, l’article montre que les hommes qui ont dépensé entre 2 000 et 4 000 de dollars pour la bague de fiançailles ont 1,3 fois plus de chances de divorcer que ceux qui ont offert une bague entre 500 et 2 000 de dollars et les femmes qui ont célébré un mariage a plus de 20 000 de dollars ont 3,5 fois plus de chances de divorcer que celles dont le mariage a coûté entre 5 000 et 10 000 de dollars.

Attention, ne décidez pas de réduire votre budget pour réduire votre exposition au risque de divorce. En premier lieu, les résultats peu robustes de cette étude ne sont pas généralisables. En second lieu, rappelez-vous qu’un lien de corrélation n’est pas un lien de causalité. Il peut y avoir des variables cachées derrière certains montants du budget même si les auteurs de l’étude ont pris en compte de nombreux autres facteurs comme le revenu, l’âge, la région de résidence, l’écart de niveau d’éducation entre les conjoints, etc.

Enfin, même si les résultats étaient robustes et la causalité établie, vous réduiriez plus fortement votre risque d’exposition au divorce par d’autres décisions comme aller plus souvent à l’église, partir en lune de miel, ou patienter plus longtemps avant de demander la main de votre ami·e.

En tout état de cause, si, comme moi, vous êtes à la noce dans les mois qui viennent, je vous souhaite une fête réussie (pourvu qu’il fasse beau !).


François Lévêque vient de publier « Les habits neufs de la concurrence : ces entreprises qui innovent et raflent tout » aux éditions Odile Jacob.

Pourvu que le temps soit de la partie… (VisualHunt)

Appendice : diamond paradox et stratégies d’offuscation

Attention à la méprise, le nom de ce paradoxe n’a aucun lien avec le diamant des bagues de fiançailles. Il s’agit du nom de son découvreur, Peter Arthur Diamond. La Banque de Suède lui a décerné son prix 2010 en sciences économiques pour ses travaux sur les coûts de recherche, ces coûts qui incombent aux consommateurs ou encore aux chercheurs d’emploi pour trouver chaussure à leur pied. Son paradoxe peut se résumer ainsi : en présence d’un coût de recherche même très faible et d’un nombre de producteurs même très grand le prix d’équilibre du marché est égal au prix de monopole.

En d’autres termes, il suffit d’un minuscule frottement dans le marché lié à la recherche d’information pour que le prix, au lieu d’être égal au coût marginal comme en concurrence parfaite, bondisse au niveau le plus défavorable qui soit aux consommateurs et le plus favorable qui soit aux producteurs. Dans le modèle élaboré par Diamond les consommateurs en réalité ne cherchent pas. Ils s’adressent au premier fournisseur venu et n’en cherchent pas d’autres car ils savent que l’équilibre du jeu correspond à un prix unique. Ils n’ont alors dans ces conditions aucun intérêt à aller voir ailleurs en faisant un effort qui leur coûte même si ce coût est proche de zéro.

Il n’est évidemment pas réaliste de penser qu’un grain de poussière puisse ainsi faire basculer le marché de la concurrence la plus intense à son absence totale. Intuitivement, on s’attendrait plutôt à une progression : plus la recherche du prix est difficile (i·e, coûteuse) pour les consommateurs, moins la concurrence est intense.

C’est justement à quoi aboutit un jeu dans lequel deux catégories de consommateurs sont introduites, ceux qui aiment le shopping à qui on attribue donc un coût de recherche négatif (i·e, un gain) et ceux que ça barbe à qui on attribue un coût de recherche positif. À l’équilibre, les fournisseurs offrent des prix différents et seuls les clients qui aiment magasiner en ville ou sur Internet enquêtent sur les prix, les autres passent commande auprès du premier venu.

Naturellement, les entreprises peuvent sciemment rendre plus coûteuse la recherche par les consommateurs, rendre leur prix plus opaque. Annoncer sur son site « Nous consulter pour le prix », le signaler en tout petit à la fin d’un prospectus, ou encore proposer une multitude d’offres d’abonnement différentes mais très proches. Ces stratégies d’offuscation ont été nommées ainsi et modélisés par Sara et Glenn Ellison dans un article de la prestigieuse revue Econometrica. Ils enseignent tous deux au MIT et sont mari et femme dans la vie. Ce qui est rare pour des coauteurs économistes. Ils sont d’ailleurs en ce moment à Paris, pas cependant en lune de miel, mais en visite à l’École d’économie.

François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisTech

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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