Le monde intrinsèquement si fermé du renseignement français peut-il s’ouvrir à la recherche, accepter la critique et laisser s’épanouir un champ académique digne de ce nom ? La première revue scientifique de l’Hexagone en fait le pari.
En septembre sortira le premier numéro des « Études françaises de renseignement et de cyber », quelques centaines de pages, deux fois par an, d’études sur cet opaque et énigmatique objet d’analyse, écrites par des chercheurs venus d’horizons divers. Sciences politique, droit, économie, histoire, sociologie, philosophie, informatique, mathématiques…
Renseignement et cyber « sont deux champs administratifs et académiques qui ont connu une croissance exponentielle ces dernières années, mais qui pour autant ne disposent pas d’un creuset universitaire permettant leur étude et leur promotion », explique à l’AFP Floran Vadillo, président de l’association à l’origine de la revue.
La France, de ce point de vue, a plusieurs trains de retard. Les « intelligences and war studies » (études du renseignement et de la guerre) sont aussi ancrées dans le monde anglo-saxon que marginalisées en France.
En faire un objet de recherche
En 2015, une loi a inscrit dans le marbre le cadre de leurs actions en posant objectifs, méthodes et outils de contrôle, notamment parlementaires. Le renseignement est, très officiellement, devenu une politique publique.
Reste à en faire un objet de recherche. « C’est indispensable », tranche Paul Charon, de l’Institut de recherche scientifique de l’école militaire (IRSEM). « Si on veut que la recherche se développe en France sur le renseignement et que le domaine cesse d’être uniquement un objet de fantasmes, cela passe par le développement du champ académique. Donc la création d’une revue et des créations de postes à l’université ».
Floran Vadillo juge à cet égard « significatif que des chercheurs partent en administration » faute de postes en université. Sortir le domaine de son cocon restrictif passe selon lui par un « apprivoisement réciproque » entre chercheurs et espions. Le conseil scientifique de la revue compte ainsi 37 chercheurs, dont dix étrangers, avec à leurs côtés un comité d’experts composé notamment d’anciens membres de grands services.
Rigueur et probité intellectuelle devront s’imposer
Mais cette revue bilingue (français et anglais) s’inscrit sur une page blanche et devra imposer sa rigueur et sa probité intellectuelle. D’autant plus avec des financements impliquant des entreprises privées, des dossiers de subvention déposés auprès d’institutions publiques et des partenariats avec des organes du secteur.
« Sur le papier, c’est un très beau projet. Mais on touche aux sempiternelles questions de l’indépendance du financement », relève un chercheur qui requiert l’anonymat, notant une « ligne de fracture très forte dans la communauté scientifique » sur le sujet.
« Il faut maintenir une recherche indépendante et rigoureuse, qui puisse agir comme poil à gratter si nécessaire et donc passer des messages qui ne sont pas forcément ceux des administrations concernées », relève de son côté Amélie Ferey, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
« J’espère que cette revue permettra un dialogue un peu apaisé. Mais c’est comme la démocratie : c’est un idéal à venir », ajoute-t-elle. « Le défi des intelligence studies, c’est de garder une véritable méthode universitaire, c’est-à-dire un état de l’art et une réflexion sur la méthodologie et les concepts utilisés ».
Premiers éléments de réponse en septembre.
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