ARTS & CULTURE

Le Tartuffe de Luc Bondy Reprise à l’Odéon – Théâtre de l’Europe

février 14, 2016 15:18, Last Updated: avril 2, 2021 12:41
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Luc Bondy a dirigé le théâtre de l’Odéon depuis 2012, non sans quelques polémiques suscitées par sa nomination mais qui se sont vite apaisées avec le succès de ses pièces.

La mise en scène de Luc Bondy du Tartuffe de Molière était dans un certain sens le fruit du hasard car le metteur en scène ressentait plutôt une réticence envers la pièce.

En 2013, Patrice Chéreau prépare la mise en scène de Comme il vous plaira de Shakespeare. Sa mort en octobre de cette même année laisse un vide auquel Luc Bondy fera face en montant une autre pièce. Il garde le casting choisi par Patrice Chéreau pour Comme il vous plaira qui n’a été gardé que partiellement par la reprise.

Un Tartuffe pas comme les autres

Après quelques hésitations et un Tartuffe très contemporain créé à Vienne en 2013, en allemand et en prose, Luc Bondy décide de relever le défi et recrée la pièce de Molière au théâtre de l’Odéon. Cette fois-ci, il rend à Molière ses vers, ce qui change de l’allemand contemporain. Le résultat n’en est que plus surprenant, jubilatoire.

Les acteurs articulent les vers de Molière avec aisance, toujours en mouvement comme s’il ne s’agissait pas de la langue du XVIIIe siècle ni de vers mais d’un français du quotidien avec lequel on lave la vaisselle ou on fait cuire le poulet – un poulet que l’on peut d’ailleurs voire et même humer, sur scène lorsqu’il est mis au four.

Le décor fabuleux de Richard Peduzzi conçu pour la pièce à Vienne sert le Tartuffe parisien et contribue à l’ambiance d’une famille riche d’hier ou d’aujourd’hui en dysfonctionnement de communication et dont les membres semblent perdus dans le vaste espace de leur demeure.

Une grande salle au sol en damier noir et blanc, qui rappelle l’abondance des châteaux ou le sacré des églises et produit le suspens d’un jeu d’échec, accueille les spectateurs qui s’installent dans leurs fauteuils. Sur scène, une grande table, un canapé, une petite croix au-dessus d’un lave-main. Sur les murs autour, des animaux empaillés.

Un grand escalier mène à l’étage vers une sorte de galerie ouvrant sur les chambres. Partout, de grands rideaux en velours qui permettent aux personnages d’apparaître et de disparaître puis de réapparaître encore dans des scènes loufoques ou intrigantes. Ils permettront surtout l’entrée inoubliable de Tartuffe – interprété par l’excellent Micha Lescot, qui nous offre sur scène un personnage visqueux à l’extrème. Caché derrière le rideau, on entend le son de sa voix juste avant de le voir faire son entrée.

Chantal Neuwirth et Samuel Labarthe, pendant les répétitions. (Tartuffe © Thierry Depagne)

L’intrus comme catalyseur d’un problème familial

Revenons au début. Avant même que les spectateurs prennent leur place, sur scène tout est déjà prêt, exposé. Le public est presque aussi éclairé que la scène. Entre une vieille dame en fauteuil roulant, Madame Pernelle. Visiblement mécontente, elle prend une tasse de thé près de l’immense table en attendant les autres membres de la famille. Les servantes s’affairent autour d’elle.

Les autres arrivent un par un, les petits enfants, la bru, le beau-frère d’Orgon. Un désaccord semble les séparer. Ils parlent tous de ce Tartuffe.

On attend le retour d’Orgon. C’est un homme d’affaires en costume trois pièces. Complètement aveuglé par Tartuffe, il semble être amoureux de lui et le seul dans la maisonnée à ne pas voir sa vraie nature.

La mise en scène explore les mécanismes familiaux et sociaux qui rendent possible l’emprise d’une personne sur une autre. Bondy refuse de se contenter de l’explication d’une passion amoureuse homosexuelle. Il cherche une autre explication, plus proche de la fascination pour un gourou ou pour une personne « tellement aimable » qu’elle finit par extirper l’héritage des vieilles dames. L’imposture est toujours la même qu’elle se présente sous la robe d’un religieux ou sous toute autre forme. Tartuffe représente l’arriviste cynique qui n’a de cesse de tromper son monde et de s’approprier le bien d’autrui.

La famille est aussi au centre de la pièce de Bondy. Une famille ébranlée par un intrus, intrus qui n’est peut-être que le catalyseur d’un problème existant, d’une déchirure latente qui ne demandait qu’à être révélée.

Chaque fois que le nom de Tartuffe est mentionné, les comédiens s’agitent frénétiquement sur scène – comme si un frisson traversait l’espace.

La mise en scène de Bondy privilégie le processus et la place des acteurs dans l’élaboration de la pièce. Il n’y a pas de dictats préalables mais un processus où les comédiens comptent beaucoup, leur gestuelle, leur caractère, leurs qualités, leur corps-même contribuent à la mise en scène.

Orgon refuse de voir la réalité. Elmire, incarnée par la belle et convaincante Audrey Fleurot, décide de la lui montrer.

L’intensité lumineuse atténuée au début de cette scène – symbolisant l’aveuglement d’Orgon – augmente au moment où il se réveille et prend conscience de l’imposture de son idole.

Mais Tartuffe a déjà pris sa revanche et Molière n’a d’autre moyen que de mettre en marche une sorte de Deus ex Machina sous les traits d’un représentant de l’ordre qui vient pour arrêter Tartuffe « au nom du roi ».

C’est le moment de retourner au poulet, ce poulet cru que Dorine – interprétée par la remarquable Chantal Neuwirth – a préparé tout au début du spectacle et qui arrive bien rôti sur la table pour la scène finale. La journée qui a commencé par un petit déjeuner trouble et dissonant se termine par un dîner festif célébrant le triomphe de l’ordre, du sens commun et de l’harmonie retrouvée.

 

en savoir plus

TARTUFFE

Odéon-Théâtre de l’Europe Jusqu’au 25 mars 2016.

Ateliers Berthier – 17e.

Avec

Christiane Cohendy, Madame Pernelle

Victoire Du Bois, Mariane

Audrey Fleurot, Elmire

Laurent Grévill, Cléante

Nathalie Kousnetzoff, une servante

Samuel Labarthe, Orgon

Yannik Landrein, Valère

Micha Lescot, Tartuffe

Sylvain Levitte, un exempt

Yasmine Nadifi Flipote, un valet

Chantal Neuwirth, Dorine

Fred Ulysse, Monsieur Loyal

Pierre Yvon, Damis

décor

Richard Peduzzi

costumes

Eva Dessecker

lumière

Dominique Bruguière

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