Le temps passé sur les écrans nous prive des plaisirs quotidiens

Les médias numériques peuvent être un cadeau ou une malédiction, selon l'usage que nous en faisons

Par Emma Suttie
16 juin 2024 16:23 Mis à jour: 26 juin 2024 23:09

L’attrait de l’internet est indéniable. Avec un simple téléphone portable, nous pouvons nous connecter avec presque n’importe qui sur la planète et accéder à l’ensemble du savoir humain en un instant. Pourtant, dans notre quête incessante d’informations et de connectivité, nous avons sacrifié quelque chose de vital : notre lien profond avec le monde réel et ses plaisirs authentiques.

En tant qu’êtres humains, nous avons du mal à faire preuve de modération, surtout lorsqu’il s’agit de choses que nous aimons. Des industries entières sont fondées sur cette tendance, des médias sociaux à l’industrie alimentaire, passée maîtresse dans l’art de créer de la nourriture qui crée une dépendance et nous incite à en redemander. Notre consommation de ces activités agréables porte même un nom : la consommation hédonique.

La consommation hédonique peut sembler être le nom de la dernière superproduction hollywoodienne, mais elle fait l’objet d’une étude récente, publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology, qui examine les raisons pour lesquelles nous abusons des plaisirs, et ces raisons pourraient bien nous surprendre.

L’étude a porté sur l’influence de la distraction sur la « consommation hédonique », terme utilisé par les chercheurs pour définir l’indulgence excessive à l’égard d’activités agréables telles que manger ou jouer à des jeux vidéo.

Stephen Murphy est chercheur postdoctoral en psychologie à l’université de Gand, en Belgique, et auteur principal de l’étude. Il décrit la nouvelle étude dans un article publié sur LinkedIn expliquant que lui et ses collègues « ont cherché à comprendre si la surconsommation de choses et d’expériences agréables est en partie due au fait que l’on ne parvient pas à ‘extraire’ le plaisir espéré de la consommation hédonique ». Par exemple, le fait de ne pas être pleinement attentif à un film ou à un repas conduit-il à une consommation plus importante par la suite (par exemple, grignoter, regarder des courts métrages sur YouTube) parce que la distraction a rendu ces activités moins agréables ?

Les auteurs de l’étude avancent une théorie selon laquelle l’une des raisons, pour lesquelles nous consommons trop, est que nous sommes distraits lorsque nous nous livrons à des activités que nous trouvons agréables. L’équipe de recherche a constaté que lorsque nous ne sommes pas pleinement concentrés sur ces activités, nous risquons de les apprécier moins, ce qui nous donne un sentiment d’insatisfaction. En conséquence, nous recherchons par la suite des choses ou des activités agréables pour combler le vide.

L’étude

L’étude a été menée en deux parties, la première portant sur la distraction en mangeant et la seconde sur un large éventail de « domaines de consommation ».

Étude 1

Pour tester leur hypothèse, les chercheurs ont d’abord mené une expérience sur le terrain avec 122 participants, principalement des femmes, âgées pour la plupart de 18 à 24 ans. Ils ont demandé à ces femmes dans quelle mesure elles pensaient apprécier leur déjeuner avant de le prendre. Elles ont ensuite pris leur repas dans l’une des trois situations suivantes : sans distraction, avec un peu de distraction, en regardant une vidéo, ou avec beaucoup de distraction, en jouant au jeu vidéo Tetris.

Après le repas, les femmes ont fait état de plusieurs facteurs : le plaisir qu’elles ont éprouvé à manger, leur niveau de satisfaction, leur désir éventuel de gratification supplémentaire et, dans l’affirmative, la quantité qu’elles ont consommée. Elles ont également noté tout grignotage ultérieur dans la journée.

Les personnes qui ont mangé en étant distraites ont moins apprécié leur repas et étaient moins satisfaites. Elles ont également grignoté davantage et ont ressenti un plus grand besoin de gratification supplémentaire par la suite.

Les chercheurs appellent cet effet « compensation hédonique » et pensent qu’il s’applique également à d’autres activités que l’alimentation.

Supposons, par exemple, que l’on soit distrait pendant que l’on regarde un film parce que l’on parle au téléphone ou que l’on plie du linge. Selon cette théorie, on pourrait être plus enclin à rechercher plus tard des activités que l’on a trouvées agréables, car on n’a pas reçu la quantité de plaisir escomptée si l’on avait été pleinement concentré sur le film. Cela peut se manifester par un en-cas en fin de soirée ou par le fait de scroller sur les médias sociaux pour combler le manque.

Étude 2

La deuxième phase de l’étude a élargi son champ d’action, au-delà de l’alimentation, afin d’évaluer l’impact plus large de l’effet.

Cette étude a porté sur plus de 6000 « épisodes de consommation » dans le cadre de diverses activités, notamment la nourriture, les boissons, les lectures de loisir, et les activités audiovisuelles (médias). L’étude a fait appel à un groupe de 220 participants, principalement des femmes âgées de 18 à 71 ans. Chacun d’entre eux a été invité à remplir quotidiennement sept courts questionnaires sur sa « consommation hédonique », sa distraction et son niveau de satisfaction.

Les résultats concordent avec ceux de la première expérience, selon laquelle les personnes qui consomment en étant distraites sont moins susceptibles d’apprécier l’expérience, se sentent moins satisfaites et ressentent un plus grand besoin de gratification supplémentaire par la suite.

« La surconsommation est souvent due à un manque de maîtrise de soi », a déclaré M. Murphy dans un communiqué de presse. « Cependant, nos résultats suggèrent que la surconsommation peut également être motivée par le simple désir humain d’atteindre un certain niveau de plaisir dans une activité. Lorsque la distraction se met en travers du chemin, il est probable que nous essayions de compenser en consommant davantage. »

Les pièges du multitâche

Bien que beaucoup d’entre nous adoptent le multitâche et ses avantages perçus, un nombre croissant de recherches suggère que nous ne sommes pas conçus pour cela. Un article, publié en 2019 dans la revue Cerebrum, s’est penché sur le multitâche et le cerveau. Les chercheurs ont constaté qu’en cas de multitâche :

• Le cerveau doit travailler plus fort.

• Nous sommes plus facilement distraits.

• Les tâches prennent plus de temps.

• Nous commettons plus d’erreurs.

En fin de compte, ils ont constaté que le cerveau est mieux adapté à la réalisation d’une seule chose à la fois.

Si l’on pense être l’exception, l’étude a également montré que nous avons tendance à surestimer notre capacité à effectuer plusieurs tâches à la fois et que cette prouesse perçue ne correspond souvent pas à nos capacités réelles.

Comme l’a montré l’étude initiale, cette distraction nous prive probablement du plaisir que nous cherchons à tirer d’une activité et nous incite à rechercher davantage de plaisir par la suite pour compenser le déficit.

Quand les récompenses ne sont pas aussi gratifiantes 

Il a été démontré que l’augmentation du temps passé devant un écran a des effets considérables sur la santé et le bien-être. Ces effets négatifs sont particulièrement prononcés chez les enfants dont le cerveau est encore en développement.

Le Dr Michael Rich est professeur agrégé de pédiatrie à la Harvard Medical School, professeur agrégé de sciences sociales et comportementales à la Harvard T.H. Chan School of Public Health et directeur du Digital Wellness Lab au Boston Children’s Hospital. Dans un article publié sur le site web de Harvard, il explique que les médias numériques sont séduisants parce qu’ils activent le système de récompense du cerveau.

« Pratiquement tous les jeux et médias sociaux fonctionnent sur ce que l’on appelle un système de récompense variable, qui est exactement ce que l’on obtient lorsqu’on va au casino et que l’on tire sur le levier d’une machine à sous. Ce système équilibre l’espoir de gagner gros avec peu de frustration et, contrairement à la machine à sous, procure un sentiment d’habileté nécessaire pour s’améliorer », explique-t-il.

L’article explique que la gestion de ce comportement compulsif est difficile pour les jeunes car leurs systèmes de contrôle de soi sont sous-développés alors que leur cerveau est encore en pleine croissance.

La dopamine est le neurotransmetteur associé au plaisir et à la récompense. Lorsque nous nous engageons dans une activité que nous trouvons agréable, le cerveau libère de la dopamine et nous nous sentons bien. Obtenir des likes sur les médias sociaux, gagner au blackjack ou battre le grand méchant dans le dernier jeu vidéo offrent des satisfactions rapides et constantes de dopamine et peut conditionner le cerveau à rechercher d’autres activités de ce type parce qu’elles nous inondent de ces substances chimiques qui nous font du bien. Cependant, des études ont montré que cette gratification instantanée peut altérer le système de récompense du cerveau et entraîner une diminution du plaisir pour les activités qui prennent plus de temps à se réaliser, comme la lecture d’un livre, les relations amicales ou la maîtrise d’une compétence. Cet effet peut éroder notre sentiment de plaisir pour tout ce qui n’est pas immédiatement gratifiant.

Dernières réflexions

Il est pratiquement impossible d’imaginer la vie sans les ordinateurs, les tablettes et les téléphones portables. Ces merveilles technologiques ont transformé notre façon de travailler, d’apprendre, de nous divertir et de communiquer avec les autres. Bien que nos écrans offrent des avantages incroyables, ils peuvent être nocifs s’ils sont utilisés à l’excès. Trouver un équilibre qui nous permette de profiter et d’apprécier le monde réel est une façon de retrouver les plaisirs et les liens qui enrichissent nos vies et font que la vie vaut la peine d’être vécue.

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