« Le travail forcé continue d’exister en Chine aujourd’hui » : un survivant de ce système d’esclavage moderne témoigne

Par Nathalie Dieul
21 août 2024 21:30 Mis à jour: 22 août 2024 19:17

Le 22 août a été proclamé journée mondiale de commémoration des personnes victimes de violences en raison de leur religion ou convictions. Imaginez-vous être incarcéré et faire de 16 à 20 heures de travail forcé par jour dans des conditions inhumaines, être torturé à cause de votre croyance ? C’est ce qui se passe encore aujourd’hui en Chine même si le système des camps de rééducation par le travail y a été officiellement aboli en 2013. Voici le témoignage d’un survivant de ce système d’esclavage moderne.

Lorsque j’ai rencontré William Huang à New-York en 2019, je ne savais pas que je ne verrais plus jamais une pistache du même œil, et par la même occasion toute nourriture ou objet en provenance de Chine. Ce jeune homme brillant, inscrit dans un programme de doctorat à la prestigieuse université Tsinghua de Pékin, a dû faire des travaux forcés pendant les cinq années qu’a duré son incarcération.

« J’ai été arrêté illégalement le 16 décembre 2000 », raconte William Huang à Epoch Times, depuis le pays où il a trouvé refuge en 2008, les États-Unis. « J’ai d’abord été envoyé dans un centre de détention. L’environnement là-bas était vraiment terrible », se souvient-il. « Personne en dehors du camp de travaux forcés ne peut imaginer ce que c’est. »

Son crime ? Croire en authenticité, bienveillance, tolérance. En effet, il pratique le Falun Gong, aussi appelé Falun Dafa. Cette pratique de qi gong de l’école de Bouddha comporte cinq exercices lents dont une méditation assise. Le 20 juillet 1999, le dictateur de l’époque, Jiang Zemin, a instauré une persécution sans précédent à l’encontre du Falun Gong. Cette persécution a encore lieu aujourd’hui, 25 ans plus tard.

Manger, dormir et travailler dans la même cellule

Pendant les deux premières années de son incarcération, William a été enfermé dans une pièce qui mesurait, d’après lui, moins de trente mètres carrés. À l’intérieur de la cellule numéro 27 du Deuxième centre de détention de la ville de Zhuhai (province du Guandong) se trouvaient une vingtaine de détenus, entassés là jour et nuit. La pièce était sale.

Non seulement ils étaient nombreux dans la cellule, mais tout le matériel utilisé pour le travail forcé y était aussi entassé. Les prisonniers mangeaient, dormaient et travaillaient dans la même cellule.

Les toilettes se trouvaient dans un coin de la pièce. « Les visites aux toilettes étaient réduites au minimum. Il fallait en obtenir la permission. Comme on accordait rarement la permission, j’ai souvent été constipé », précise l’ancien étudiant de l’université Tsinghua.

Les journées de travail, d’une durée de 16h minimum, étaient parfois rallongées d’heures supplémentaires. Dans ce cas, le travail ne se terminait pas avant minuit. Une fois le matériel rangé, il était une heure du matin lorsqu’ils pouvaient se coucher, alors que les détenus devaient se lever à 5 h 30 pour la journée de travail suivante.

Des pistaches pleines de pus et de sang

« On nous obligeait à faire toutes sortes d’objets artisanaux, comme des fleurs en plastique, des sapins de Noël, des décorations telles que des lumières de Noël, ou encore des jouets Spider-Man », se souvient William.

Malgré la saleté de l’environnement, les prisonniers de la cellule numéro 27 devaient aussi parfois fendre des pistaches à longueur de journée. « Il fallait utiliser une paire de pinces pour ouvrir la coquille des pistaches », explique celui qui nous parle de cette douloureuse expérience.

« Ma main droite développait des ampoules qui s’agrandissaient et se remplissaient de sang », explique-t-il. Les ampoules éclataient et laissaient échapper un mélange de pus et de sang. « Cela causait une douleur atroce. » Malgré le fait que les prisonniers souffraient de différentes maladies contagieuses ou sexuellement transmissibles, ils continuaient à toucher les pistaches pour les ouvrir.

Le travail des pistaches était difficile parce qu’il fallait casser la coquille suffisamment pour l’ouvrir, mais pas trop pour qu’elle ne se détache pas complètement de la pistache. Pour y arriver plus facilement, les détenus mouillaient les coquilles. Il leur arrivait de le faire avec leur urine à cause de la colère et du ressentiment qu’ils éprouvaient.

La cellule n’était jamais aérée et une odeur de produits chimiques emplissait la pièce. Les pistaches étaient aspergées d’eau de javel industrielle avant de se retrouver entre les mains des prisonniers.

William a vu plusieurs de ses codétenus s’évanouir. L’un d’eux est même mort à cause de l’environnement, du manque de nutriments et du manque de lumière du jour. Les gardes l’ont simplement sorti dans un drap de lit. Ils disaient : « Si vous mourez ici, votre mort ne vaut pas plus que celle d’un chien. »

Tortures et privations de sommeil

Quand ils avaient de la chance, les détenus devaient seulement travailler. Lorsqu’ils n’atteignaient pas leur quota ou que les gardes étaient de mauvaise humeur, les prisonniers étaient aussi battus, insultés ou torturés.

En guise de punition, William a été forcé de rester accroupi pendant trois jours consécutifs. Il a aussi été privé de sommeil pendant un mois consécutif lors d’une session de lavage de cerveau. Le jeune homme a reçu des chocs électriques à partir de matraques de haut voltage, incluant sur des parties sensibles du corps comme les oreilles et les paume des mains.

Du « made in China » destiné à l’exportation

Comme les autres objets réalisés, les pistaches étaient destinées à l’exportation pour être vendues en Occident, entre autres aux États-Unis, avec l’étiquette « made in China ». La fabrication de produits pour l’exportation était plus rentable pour les prisons qui faisaient davantage de bénéfices. Par conséquent, elles augmentaient constamment les quotas.

Parmi les différentes tâches des travaux forcés, l’assemblage des fleurs en plastique peut sembler facile comparé à l’ouverture des pistaches. Ce n’était pas le cas. Le quota était de 10.000 à 14.000 étapes de production de fleurs par jour. Pour y arriver, les détenus devaient souvent utiliser un petit outil pointu qui leur blessait parfois les mains.

À cause du froid intense qui sévissait en novembre et décembre 2001, les matériaux étaient très raides et difficiles à séparer. La peau se craquelait à la jointure des doigts et la douleur réveillait les prisonniers la nuit. Certaines fleurs étaient enduites d’une poudre d’or qui couvrait les travailleurs de la tête aux pieds. « Cela démangeait et était difficile à supporter », détaille l’ancien prisonnier de conscience.

Plusieurs modèles de fleurs étaient plus difficiles à réaliser que d’autres. L’une d’elle était composée de nombreuses petites fleurs aussi petites qu’un grain de riz. « Les fabriquer était dur pour les yeux. Je me sentais très étourdi la nuit », se souvient William Huang.

En septembre 2002, il a commencé à avoir du pus sous l’œil droit et autour des paupières. Le pus coulait en continu dans les fleurs qu’il assemblait.

En cas d’inspection officielle, les gardes faisaient cacher tout le matériel lié au travail par les détenus afin de prouver qu’il n’y avait pas de travail forcé au centre de détention de Zhuhai. Ils reprenaient le travail à l’instant où l’inspection était terminée.

Travail forcé en prison

Lorsque, au bout de deux ans, il a été transféré du Deuxième centre de détention de la ville de Zhuhai à la prison de Sihui dans la province du Guandong, le jeune homme n’était pas au bout de ses peines pour autant. Il allait y rester pendant trois longues années. En effet, il avait été condamné à un total de cinq ans d’emprisonnement, pour « subversion du pouvoir politique de l’État ». Par la suite, la raison de son incarcération a été changée pour « destruction de l’application de la loi ».

« En prison, l’environnement était aussi très mauvais. Nous devions continuer à faire du travail forcé tous les jours », raconte-t-il. Il devait par exemple fabriquer des pulls de haute qualité.

« Le travail forcé continue d’exister en Chine aujourd’hui »

En 2013, le régime chinois a officiellement fermé les camps de rééducation par le travail, un système aussi appelé laogai souvent comparé à celui du goulag soviétique. Cependant, le système du travail forcé continue d’être pratiqué encore aujourd’hui dans les prisons chinoises et autres centres de détention.

« Il y a aujourd’hui entre 5 et 8 millions de prisonniers dans près de 1000 camps de travail forcé », a déclaré le sinologue Jean-Luc Domenach à La Tribune de Genève en 2018.

« Le travail forcé continue d’exister en Chine aujourd’hui », affirme de son côté William Huang. « Si un pratiquant de Falun Dafa est emprisonné, habituellement, il est obligé d’effectuer du travail forcé. »

Selon le livre Les 20 ans de persécution du Falun Gong en Chine, une fois les atrocités qui y ont été commises révélées au grand jour, les camps de travail ont été transférés vers des installations plus secrètes en 2013.

« Les camps de travail de plusieurs décennies ont été remplacés par des centres de lavage de cerveau plus secrets, existant en dehors du cadre juridique de la Chine. Ces prisons noires sont moins surveillées et il est plus facile de nier leur existence », peut-on lire dans ce rapport qui a étudié la persécution du Falun Gong de manière approfondie.

« Ayant tiré les leçons de l’expérience des camps de travail, le régime chinois a adopté une politique de ne laisser aucune prison clandestine gagner trop de notoriété, de peur qu’elle ne devienne à nouveau l’objet d’un contrôle international. Quand de telles installations deviennent trop connues, elles disparaissent pour réapparaître ailleurs. »

Les mêmes produits « made in China » aux États-Unis

En décembre 2005, au terme de cinq années de souffrances, William Huang a finalement été libéré. En 2008, il a eu la chance d’émigrer aux États-Unis en tant qu’étudiant international. Il a pu y continuer ses études et devenir ingénieur.

« J’étais sous le choc la première fois que j’ai vu les produits que j’avais fabriqués, c’était exactement les mêmes. Ils étaient vendus dans des magasins aux États-Unis », témoigne l’immigré. « J’ai ensuite regardé l’étiquette. Elle ressemblait beaucoup à celle que nous attachions aux fleurs de plastique, en anglais et avec le prix en dollars, pas en yuans [monnaie de la Chine, ndlr]. »

Tous les produits « made in China » que nous achetons en Occident sont possiblement fabriqués dans de telles conditions d’esclavage moderne. Il est toutefois difficile de savoir lesquels.

« Je me sens mal parce que peu d’Occidentaux sont au courant de ce crime. Ils vivent pourtant dans un monde libre. Les médias ne couvrent pas assez ce genre d’informations », estime l’ingénieur. « Trop de gens, trop de responsables des grandes entreprises ne veulent pas connaître ce genre de vérité. Ils veulent encore faire des affaires avec la Chine. »

William Huang suggère de regarder La lettre de Masanjia, un documentaire filmé secrètement en Chine par une victime de camp de travail forcé dont l’expérience est similaire à la sienne. « Nous avons tous les deux été forcés de fabriquer ce genre de produits à la main en prison, dans un camp de rééducation par le travail ou dans un centre de détention. La situation est similaire ».

« Ma responsabilité »

« C’est ma responsabilité de faire savoir à davantage de gens la vérité à propos de la persécution [du Falun Gong, ndlr], à propos du travail forcé, à propos des lavages de cerveau, à propos de toute la diffamation que le Parti communiste chinois (PCC) répand à propos du Falun Gong », assure William Huang.

« La persécution du Falun Gong est en cours depuis 25 ans », ajoute-t-il. « Un quart de siècle, c’est trop long. C’est le pire crime commis par le PCC et aussi la plus grande violation des droits humains en Chine. Le PCC utilise la méthode de persécution du Falun Gong contre d’autre groupes, comme les Chrétiens, les Ouïghours et maintenant les habitants de Hong-Kong. »

Même si William Huang a été incarcéré à cause de sa croyance dans le Falun Dafa, c’est aussi sa foi qui lui a permis de survivre à ces années d’horreur. « Ça a été très long. Cinq ans, ce n’est pas comme cinq jours. C’est ma croyance dans le Falun Gong, dans les principes d’authenticité, de bienveillance et de tolérance, qui m’a permis de traverser cette épreuve. »

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