Il était une fois un voleur singulièrement malfaisant et cruel. Les textes anciens ne nous révèlent pas son nom. On sait qu’il vivait sous le règne du sage empereur Go-Sanjo Tenno, peu après l’an mille. Son histoire fait songer à celle de Jean Valjean, le héros du roman de Victor Hugo : Les Misérables.
On se souvient de l’épisode où Jean Valjean, évadé du bagne, est accueilli avec bonté par Mgr Myriel, l’évêque de Digne. Au matin, Jean Valjean s’enfuit en emportant un plat d’argent et deux chandeliers. Arrêté par les gendarmes, traîné devant l’évêque, il l’entend avec stupéfaction déclarer : « Cet homme n’a pas volé, je lui ai offert ce plat d’argent et ces deux chandeliers, laissez-le aller en paix. »
Alors… une petite lumière s’éveille dans l’âme endurcie du bagnard, une petite lumière qui va transformer sa vie.
Dans ce conte zen, le voleur est un bandit de grand chemin, sans foi ni loi, et à la différence de Jean Valjean il a volé bien autre chose qu’un pain. Mais les deux histoires sont jumelles.
En ce temps-là, vivait aux environs de Heian-Kyo, dans un temple perdu dans la forêt, un moine connu pour sa grande sagesse, nommé Shichiri Kojun. Ce soir-là, le saint homme était seul. Il récitait des sûtras au pied d’une statue du bouddha. Soudain, la porte du temple s’ouvre à la volée. Un homme d’aspect effrayant, grossièrement vêtu, fait irruption dans la salle de prière. II met sur la gorge de Shichiri sa longue épée effilée : « Moine, donne-moi l’argent des offrandes ou je te coupe la tête et la fais rouler au pied des autels. »
Shichiri était installé en Siddhasana (la posture de méditation), le dos droit, les genoux repliés, il garda la position et pas un muscle de son visage ne tressaillit : « Prends l’argent qui est dans le vase des offrandes, ne me dérange pas dans mes prières. »
Et il reprit la récitation des sûtras.
Le voleur se dirigea vers l’endroit indiqué et commença à remplir ses poches. Dans sa hâte, il faisait tinter les pièces, et parfois un juron lui échappait quand l’une d’elles roulait sur le sol. Il fallait reconnaître qu’il était embarrassé par sa grande épée.
Au bout d’un moment, sans tourner la tête, le moine déclara: « Ne prends pas tout l’argent, je dois payer l’impôt du temple demain matin. »
Le voleur, impressionné par la fermeté de la voix et le sang-froid imperturbable du moine, laissa en maugréant un peu d’argent au fond du vase des offrandes. II s’en allait avec son butin lorsque le moine dit encore : « Quand on reçoit un présent, on doit remercier, fais-le ! »
Le voleur subjugué marmonna un vague merci et disparut.
Un an plus tard, le voleur fut arrêté. II avoua, entre autres méfaits, le vol commis au temple, crime qui était puni de mort. Confronté au moine, il l’entendit avec stupeur déclarer : « Moi, Shichiri, je déclare que cet homme n’a pas profané le temple, je lui ai donné une grande partie de l’argent des offrandes, et il m’a remercié, tout est en ordre. » Le voleur fut condamné à cinq ans de prison seulement.
Quand il fut libre, il vint trouver Shichiri dans le temple perdu dans la forêt et il devint son disciple. Dans les années qui suivirent, les visiteurs et les pèlerins admirèrent sa profonde piété. Ainsi a-t-il été rapporté des histoires du passé.
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