« L’École fabrique une masse énorme de consommateurs semi-illettrés » – Jean-Paul Brighelli
Normalien et agrégé de Lettres modernes, Jean-Paul Brighelli a enseigné pendant 45 ans au collège, au lycée et en classes préparatoires. Il est également l’auteur de nombreux livres dont plusieurs essais consacrés à l’École.
Dans son dernier ouvrage, La Fabrique du crétin – Vers l’apocalypse scolaire, publié aux éditions l’Archipel, Jean-Paul Brighelli revient sur les dérives successives ayant conduit à l’effondrement du niveau scolaire en France.
« On a fait de l’École d’excellence à la française quelque chose qui n’est même pas en milieu de tableau, quelque chose d’absolument dérisoire. On recrute des maîtres et on les forme de façon à ce qu’ils enseignent l’ignorance avec une continuité remarquable », observe l’enseignant.
« Il n’est plus question de savoirs, mais de savoir-faire, de savoir-être, de savoir s’exprimer, de savoir se passer la main dans le dos et de savoir manipuler son portable pendant les cours. […] Il faut que l’élève soit heureux, il ne faut pas le contrarier, il ne faut pas lui mettre de mauvaises notes. »
Mais selon Jean-Paul Brighelli, « l’école ne dysfonctionne pas » comme certains pourraient être tentés de le croire, elle accomplit au contraire « ce pour quoi on l’a programmée » depuis plusieurs décennies. « On l’a détruite sciemment, on a voulu ce qui se passe actuellement », explique-t-il.
Selon lui, le démantèlement du système scolaire français s’inscrit en effet dans le cadre de la libéralisation de la société et de l’avènement du capitalisme mondialisé, qui n’a pas besoin d’un peuple instruit mais de « consommateurs semi-illettrés, susceptibles d’être déplacés comme des pions dans un système ubérisé des pieds à la tête, abrutis de télévision, manipulés à chaque élection pour la plus grande gloire d’une caste en auto-remplacement. »
« Autrefois, on disait panem et circenses, du pain et des jeux. Actuellement, on dit salaire universel et foot sur TF1. […] Ça suffit à tenir une société, et à la tenir très longtemps. »
Pour Jean-Paul Brighelli, deux mesures ont joué un rôle phare dans l’effondrement du système scolaire français et la désinstruction des enfants. La première est la loi Haby du 11 juillet 1975 qui met fin à l’organisation de la scolarité en filières et instaure le collège unique. La seconde est le décret signé par Jacques Chirac, alors Premier ministre sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le 29 avril 1976 qui autorise le regroupement familial sous certaines conditions.
Outre ces deux mesures, Jean-Paul Brighelli insiste également sur la façon dont les méthodes des pédagogistes promues à partir des années 70 – notamment l’apprentissage de la lecture et de l’écriture via la méthode idéovisuelle ou semi-globale initiée par Jean Foucambert, mais aussi l’idée que l’enfant doit construire lui-même ses savoirs – ont largement contribué à la destruction du système scolaire français.
Si les enfants des classes moyennes et populaires sont les premières victimes de la désinstruction nationale, Jean-Paul Brighelli souligne que ceux issus de milieux aisés font toutefois aussi les frais de l’effondrement du niveau scolaire.
« Actuellement, on ne forme même plus des élites, on va les recruter chez “les fils et les filles de”. C’est un système qui me fait vomir. Je ne suis pas pour privilégier tel ou tel segment de la population, je suis pour que chaque élève aille au plus haut de ses capacités. On en est très loin, on ne les incite plus, sauf exception. […] C’est une déperdition totale de capacités. La France est aussi en train de s’effondrer en même temps, tout va de pair. »
Après 45 ans passés à enseigner, Jean-Paul Brighelli se montre relativement pessimiste quant aux chances de voir l’École française retrouver son niveau et sa vocation.
« Toute personne qui voudrait véritablement réformer l’École serait éliminée, marginalisée ou ridiculisée, pourvu que le système continue sur sa lancée. Les parents le savent si bien, d’ailleurs, que ceux qui sont informés essaient de biaiser, de ruser, d’inscrire leurs enfants dans tel ou tel établissement qui a une meilleure réputation que tel autre, parce qu’effectivement, il y a 10% des établissements, privés ou publics, ça n’a aucune importance, qui sont de très bons établissements et 90% des établissements qui sont profondément viciés. »
Et Jean-Paul Brighelli de conclure : « Toute réforme de l’École ne portera ses fruits que dix ou quinze ans plus tard. Il faut avoir un projet politique global sur la longue durée, ce qui n’est pas du tout dans les gènes du système actuel où l’on navigue à vue en donnant des primes aux uns et aux autres. »
Retrouvez le témoignage intégral de Jean-Paul Brighelli dans la vidéo.