Vous n’avez pas encore basculé dans la musique par abonnement ? Il est temps d’y songer ; grand temps de quitter le CD et le téléchargement d’albums ou de chansons à l’unité (et bien sûr les sites pirates, si ce n’est déjà fait). Pour quelques euros par mois, vous aurez accès à plusieurs dizaines de millions de titres. Mais alors plutôt que choisir une plate-forme au hasard, après l’étude d’un comparatif rébarbatif, ou encore selon la sélection de vos amis, laissez-vous guider par l’analyse économique. Elle vous expliquera pourquoi vous devez passer au streaming et vous aidera à faire le bon choix de plate-forme entre Deezer, Apple Music, Tidal, Spotify ou même Amazon Music. Allez en piste !
Piste 1 : Prestissimo
Une précision de vocabulaire tout d’abord. Que la Commission d’enrichissement de la langue française et l’Office québécois de la même langue me pardonnent, j’emploierai le terme de streaming au lieu de diffusion en continu ou en flux, beaucoup trop long, ou même lecture en transit.
En recettes pour l’industrie musicale le streaming, donc, a dorénavant dépassé les autres formes d’écoute légales. Dans certains pays, comme la Suède, il est même passé devant le piratage en nombre d’utilisateurs. On recense aujourd’hui près de 100 millions d’abonnés payants dans le monde sans compter les auditeurs qui « payent » en acceptant des coupures publicitaires ou bénéficient d’un accès temporaire d’essai gratuit.
La progression est foudroyante. Le leader du marché, Spotify, a recruté 20 millions d’abonnés payants au cours des douze derniers mois et le second, Apple Music, à peu près la moitié.
Piste 2 : Prix, choix et confort
Ce sont les trois raisons qui doivent vous convaincre de suivre le mouvement.
L’abonnement mensuel standard est de dix euros alors qu’il faut en compter une quinzaine pour acheter un CD. Si votre consommation moyenne est au moins d’une petite dizaine par an, vous y gagnerez. À supposer bien sûr qu’il vous soit indifférent de louer ou posséder chansons et albums. En tant qu’abonné, vous bénéficiez d’un accès limité à la durée de votre engagement. Dès que vous résiliez votre abonnement et cessez de payer, « votre » musique disparaît tandis que la musique achetée à l’unité que ce soit des vinyles, des CD ou des fichiers numériques est à vous une bonne fois pour toutes. Elle ne s’évanouira qu’avec l’usure des supports et des matériels de lecture.
À vous donc d’estimer l’équivalence : un CD ou un morceau « vraiment à moi » contre combien de CD ou morceaux en location ? Si comme certaines ménagères fidèles à une marque de lessive dans les années 70, vous ne vous déferiez pas d’un baril de musique en propre contre deux barils de musique en prêt, l’abonnement n’est gagnant qu’à partir d’une consommation annuelle d’au moins une vingtaine d’albums.
Mais ce raisonnement ne tient pas compte de la découverte gratuite de nouveaux artistes et titres. Combien de fois avez-vous renoncé à acheter un nouvel album faute d’être sûr qu’il vous plaira suffisamment ? N’avez-vous jamais non plus trop souvent regretté des acquisitions ? L’intérêt du streaming ne réside pas dans l’étendue totale du catalogue (une vie entière d’écoute ne suffirait pas pour parcourir ses 30 millions de titres) mais dans la possibilité infinie de butiner.
Une fois abonné, vous pouvez faire toutes les recherches que vous voulez sans bourse délier : tels groupe ou chanteur dont vous avez entendu parler, telle interprétation d’un standard de jazz ou d’une symphonie concertante. Avouez que c’est mieux que d’écouter au casque à la FNAC ou de se faire un avis à partir des 30 premières secondes du début d’un morceau sur iTunes.
De plus, votre curiosité pourra être guidée par des suggestions personnalisées bien ciblées. Incomparablement meilleures que pour d’autres biens comme le livre ou les objets de décoration car la consommation musicale par sa fréquence et sa diversité génère incomparablement plus de données. L’algorithme de Spotify qui dresse une compilation hebdomadaire personnalisée pour chaque abonné connaîtra vos goûts musicaux plus sûrement que vous-même.
Juste quelques mots sur le confort pour vous signaler la simplicité des interfaces et des fonctionnalités (en particulier pour l’écoute sur téléphone mobile), vous rappeler que la qualité sonore peut être excellente (mais c’est évidemment plus cher) et apprendre aux moins informés d’entre vous qu’il est possible d’écouter sans connexion Internet (lors d’une course dans les bois, par exemple) car une partie de la musique en flux peut être stockée.
Piste 3 : Menu ou à la carte ?
Le tableau d’ensemble vous paraît trop beau pour être vrai ? Pourtant il l’est ! Le consommateur sort grand gagnant de l’apparition du streaming et ce en conformité avec la théorie économique.
Dans son principe, le streaming substitue à l’achat à la pièce le paiement d’accès à un catalogue. Dans le jargon des économistes, on parle d’offre jointe ou groupée (de bundle en anglais). C’est comme le buffet à volonté et la commande à la carte au restaurant.
L’exemple du restaurant est d’ailleurs souvent utilisé dans les manuels de microéconomie pour illustrer le gain de la vente jointe aux consommateurs. En associant darne de colin et choux à la crème dans un menu à 15 €, alors que les prix à la carte sont de 13 € et 7 €, des consommateurs qui aiment ce plat et ce dessert s’attableront en plus grand nombre, par exemple ceux qui étaient prêts à dépenser au maximum 12 € et 6 €, et d’autres mangeront plus en prenant des deux, par exemple ceux qui étaient prêts à dépenser au maximum 14€ et 6€ ou encore 12€ et 8€.
L’effet général de la vente jointe est que de nouveaux consommateurs, auparavant exclus par le même prix à l’unité, se manifestent. Donc la consommation augmente. Et plus encore bien sûr dans le cas du buffet à volonté puisque le coût d’une prise alimentaire supplémentaire est alors nul. La demande ne s’interrompt qu’à satiété.
C’est la même chose pour le streaming. Le coût marginal d’écoute d’un nouveau titre étant égal à zéro, vous consommez _ad libitum _et les consommateurs abonnés qui apprécient la chanteuse islandaise Björk, mais n’auraient acheté Vulnicura, son dernier album à 8,99 € que si son prix avait été plus bas, l’écouteront. Selon une étude récente l’abonnement à Spotify augmente de moitié la consommation individuelle de musique (mesurée en nombre de titres écoutés).
Notez que ce n’est pas l’effet immédiat qui est estimé ici mais la situation observée entre six mois et un an après la première prise d’abonnement. Notez aussi qu’une offre jointe de 30 millions de titres détruit ici une autre offre liée, de 8 à 12 titres cette fois : la musique en streaming a en effet pour conséquence de favoriser l’écoute de morceaux et non plus d’albums, un format déjà en déclin depuis l’apparition de magasins numériques comme ITunes Music Store, et qui est appelé à disparaître.
Piste 4 : Coûts de recherche et éclectisme
Revenons sur la question de la découverte déjà mentionnée. La théorie économique prévoit une diversité plus grande puisque la découverte est facilitée. La musique se range en effet parmi les biens dits d’expérience, c’est-à-dire dont les qualités (ou les défauts !) se révèlent après l’usage (voir ma chronique sur le vin).
Préalablement à leur achat, les consommateurs doivent donc recueillir des informations auprès d’experts ou procéder à des essais sur des échantillons. Ces coûts de recherche (ou search costs en anglais) ont tendance à restreindre la palette des biens consommés. Ramenés à zéro avec le streaming, on s’attend logiquement à l’écoute de plus de nouveautés.
Attention, la nouveauté s’entend ici pour chaque consommateur individuel, il ne s’agit pas forcément des dernières sorties. Tel est bien le cas. L’effet de la disparition de ces coûts de recherche a été mesurée dans l’étude déjà citée à partir de l’apparition de chansons, artistes et genres qui n’étaient pas auparavant écoutés et leur suivi dans le temps. La part dédiée à l’écoute de ces trois catégories de nouveauté augmente avec l’abonnement à Spotify et ce phénomène est durable. Selon une autre source, les abonnés de l’entreprise suédoise découvrent en moyenne 27 nouveaux artistes par mois.
Dit autrement, l’écoute devient plus diversifiée. Ce qui se retrouve également dans une moindre concentration des écoutes sur les morceaux et auteurs à succès. Ce qui tend à confirmer que le phénomène de super-vedettes qui est exacerbé en musique (par exemple, le top 1 % des artistes perçoit la moitié des recettes de concert) est moins dû à des goûts communs ou des talents indiscutables qu’à des coûts de recherche élevés qui favorisent la popularité médiatique et les classements.
Piste 5 : La conversion des pirates et les cannibales
Mais le streaming est-il aussi dans l’intérêt de l’industrie musicale, dite encore du disque, et parfois même encore phonographique ?
Comme elle sort d’une longue crise, cette industrie a tendance encore à se plaindre, y compris à propos du développement du streaming. Il transforme pourtant des pirates en consommateurs. La réduction de la consommation illégale de musique grâce au streaming est désormais empiriquement bien établie.
Rappelons à ce propos que la perte de recettes du piratage pour les majors Sony, Universal et Warner ainsi que pour les labels indépendants ne correspond pas à la totalité des titres téléchargés illégalement, mais seulement aux titres qui sinon auraient été achetés. Un amateur prêt à s’offrir l’album de Björk déjà cité s’il était à 5 € maximum et qui le télécharge sur un site pirate ne fait pas perdre de l’argent à One Little Indian Records, son label. Cela n’aurait été le cas que si le prix maximum qu’il était prêt à mettre avait été égal ou supérieur à 8,99 €.
On retrouve le raisonnement mené plus haut sur l’intérêt du bundling. Comprenez bien alors le double gain du streaming pour l’industrie musicale : les achats manqués à cause du piratage et la monétisation de titres qui n’auraient pas été écoutés car trop chers par rapport au consentement à payer de certains auditeurs.
Bien sûr, il y a aussi une face B : le streaming cannibalise bel et bien une partie des ventes à la pièce que ce soit sous la forme de fichiers téléchargés légalement ou de CD, voire de vinyles. Il s’agit d’une perte nette qui est également bien établie empiriquement. Nette car grâce aux découvertes qu’il rend plus faciles le streaming favorise aussi l’achat de musique. C’est notamment le cas des consommateurs utilisant la formule de l’écoute gratuite avec coupure publicitaire. Dans le jargon économique, le streaming est à la fois un substitut et un complément de la vente à la pièce, mais c’est l’effet de substitution qui l’emporte ici sur celui de complémentarité.
Une fois de plus on a l’impression que la face B n’est pas à la hauteur de la face A. Nous n’en sommes pas certains car tout dépend des chiffres retenus dans le calcul des recettes, à savoir la recette moyenne par titre vendu à la pièce et la recette moyenne perçue par titre écouté en streaming. Ces données sont mal connues car non publiques. Pour des valeurs respectives de 0.82 $ et 0,007 $, le gain efface juste la perte.
En résumé de ces premières pistes, si vous êtes amateur de musique, même petitement, et animé d’une curiosité minimale qui ne demande qu’à s’exercer il est temps de vous abonner. Et puis, n’oubliez pas de remercier Napster, le pionnier du piratage. Sans lui et quelques autres le streaming payant ne se serait pas développé ou l’aurait fait beaucoup plus tard et nous continuerions à acheter cher nos musiques à la pièce faute d’incitations pour l’industrie du disque de changer de modèle.
La semaine prochaine, je vous offrirai cinq nouvelles pistes pour choisir en connaissance de cause économique votre plate-forme entre Apple, Deezer, Spotify et consorts.
François Lévêque, Professeur d’économie, Mines ParisTech
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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