Législatives : « En Europe, l’arrivée au pouvoir des partis de droite nationale n’a aucunement altéré la normalité démocratique », rappelle Rodrigo Ballester

Par Etienne Fauchaire
30 juin 2024 21:18 Mis à jour: 30 juin 2024 22:23

ENTRETIEN – À l’issue de ce premier tour des législatives, le Rassemblement national a fini largement en tête, confirmant la tendance observée lors des européennes, tandis que la gauche rassemblée sous la bannière du Nouveau Front populaire finit en seconde position. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, et directeur du Centre d’Études Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest, Rodrigo Ballester analyse dans cet entretien les possibles conséquences politiques en Europe d’une victoire au second tour des élections législatives, d’une part, du Rassemblement national, d’autre part, du Nouveau Front populaire, et souligne que la « normalité démocratique » n’a jamais été altérée dans les pays européens où la droite nationale s’est emparée des rênes du gouvernement.

Epoch Times : Quel regard portez-vous sur l’alliance des gauches au sein du Nouveau Front populaire, qui regroupe des sociaux-démocrates, comme François Hollande et Raphaël Glucksmann, à Jean-Luc Mélenchon ? Quelles conséquences en Europe si cette coalition obtenait une majorité absolue à l’issue du second tour des législatives ?

Rodrigo Ballester : C’est l’union de la carpe et du lapin, une alliance totalement incongrue qui, au-delà de ses incohérences idéologiques, se révèle extrêmement dangereuse. À mon avis, si un barrage doit être dressé en France aujourd’hui, c’est contre l’extrême gauche. Je rappelle que le parti qui domine cette coalition, La France Insoumise (LFI), détient la majorité des circonscriptions.

C’est par ailleurs avec une grande stupéfaction que j’observe des figures socialistes comme Raphaël Glucksmann contraintes de faire des concessions majeures. La gauche traditionnelle de gouvernement a, selon moi, vendu son âme au nom d’un Front populaire qui n’a de populaire que le nom, et qui est infiltré par une idéologie dangereuse : l’islamo-gauchisme, un véritable danger pour la France.

Quelles seraient les conséquences en Europe d’une victoire électorale du Nouveau Front populaire ? Le parti de Monsieur Mélenchon a voté maintes fois à l’unisson avec le PPE, les socialistes, les libéraux et les Verts. Je ne m’attends donc pas à une levée de boucliers de l’Union européenne, si ce n’est une résistance face à leur programme économique, qui va à l’encontre des objectifs fixés par Bruxelles.

En termes d’indignation politique, Bruxelles continuera à appliquer un double standard, criant au scandale pour chaque gouvernement légèrement plus conservateur que le PPE, tout en faisant preuve de tolérance et de bienveillance envers l’extrême gauche, peu importe son degré de radicalité.

À quelles relations avec les autres pays membres de l’Union européenne peut-on s’attendre si le RN est en mesure de gouverner en obtenant une majorité à l’Assemblée nationale ?

D’une part, on peut s’attendre à des cris d’orfraie de nombreux gouvernements sociaux-démocrates, comme en Belgique. D’autre part, je prévois des relations bien plus apaisées avec l’Italie, la Hongrie, et en général avec les pays d’Europe centrale et de l’Est.

Il y aura sans doute également un regain des tensions plus marqué au sein du couple franco-allemand, la coalition au pouvoir outre-Rhin étant très orientée à gauche, malgré la participation du Parti libéral.

Mais après ? Il est possible que le pragmatisme des États reprenne le dessus et compose avec un gouvernement français qui mettrait de l’eau dans son vin, même s’il s’agit d’un gouvernement RN.

Vous avez souligné une « bienveillance » de l’UE envers l’extrême gauche.

L’Union européenne est devenue, sous couvert de valeurs communes et du respect de l’État de droit, un club progressiste où il faut suivre une ligne idéologique stricte. Les nombreuses sanctions financières imposées à certains pays européens en sont la preuve incontestable.

Prenons l’exemple de la Pologne. Lorsque la Pologne avait un gouvernement conservateur, Bruxelles l’a sanctionné en gelant 137 milliards d’euros de fonds communautaires, qui ont été débloqués presque sans condition peu après l’élection de Donald Tusk en octobre 2023.

De la même façon, la Hongrie a été privée de plusieurs milliards de fonds européens, puisqu’elle applique sa loi de protection des mineurs, qui interdit la promotion de la théorie du genre dans les écoles et auprès des mineurs. Si l’Union européenne n’a aucune compétence en la matière, elle inflige néanmoins des sanctions politiques.

Regardez également le dernier arrêt de la Cour de justice européenne, pris il y a à peine dix jours, contre la Hongrie. Elle a été sanctionnée d’une amende de 200 millions d’euros et d’une astreinte d’un million d’euros par jour et pour une infraction finalement assez technique en matière de droite d’asile.

Comment analysez-vous la coalition formée par Les Républicains et le RN lors de ces législatives et de quelle manière cette alliance s’inscrit-elle dans ce mouvement d’union des droites observé ailleurs en Europe ?

Ce qui s’est passé en France est un pas important, car le cordon sanitaire, bien qu’il n’ait pas encore disparu, commence à s’effriter. Permettez-moi une parenthèse : l’expression « cordon sanitaire » me paraît profondément infamante. Elle suggère que toute une partie de l’électorat est toxique, pire qu’un virus, et qu’il faudrait la mettre en quarantaine. Du point de vue démocratique, il s’agit d’un concept inquiétant.

Cela étant dit, cette dynamique politique s’inscrit dans une tendance européenne où une droite, longtemps muselée, du moins mise en sourdine, commence à hausser le ton sur trois sujets particuliers : l’immigration illégale, les politiques d’écologie punitive, et la souveraineté. Je note par ailleurs qu’il n’y a pas d’autres sujets, à mon avis, capables de réellement unir les différentes droites européennes. Cependant, je pense que ces sujets suffiront à les faire avancer ensemble.

Lors des dernières élections européennes, nous n’avons pas assisté à un raz-de-marée de partis conservateurs et nationalistes, mais à une tendance croissante qui se confirme depuis plusieurs années. Cette hausse des opinions conservatrices n’est pas intégrée au cercle de respectabilité de Bruxelles et ne fait pas partie du consensus solide formé par une alliance allant du centre-droit à l’extrême gauche.

Je parle du PPE, des socialistes, des libéraux, des verts et des communistes. Une étude récente du Mathias Corvinus Collegium a montré que sur des sujets cruciaux comme le Pacte vert, la migration, l’État de droit ou les accords commerciaux, le PPE vote à 95 % comme les socialistes et les libéraux, et même dans 50 % des cas comme les socialistes et les communistes.

Vous estimez que les droites en Europe pourront parvenir à s’entendre et s’allier contre l’immigration illégale, l’écologie punitive, le fédéralisme européen. Quels sont les domaines dans lesquels il existe des divergences entre elles ?

Les nouvelles familles de droite présentent une grande diversité idéologique. Par exemple, sur les sujets sociétaux tels que le mariage pour tous, l’euthanasie ou l’avortement, il existe des divergences marquées entre les familles conservatrices et nationalistes. Les Démocrates suédois, par exemple, ne partagent pas nécessairement les mêmes positions que le PiS ou Fidesz sur ces questions sociétales. Il en va de même en ce qui concerne la guerre en Ukraine ou les questions économiques, certaines approches favorisant le libéralisme, d’autres l’interventionnisme.

En fin de compte, ces partis de droite ne sont pas unis sur de nombreux sujets, mais ils partagent suffisamment de points communs pour construire des alliances solides à Bruxelles. Leur objectif principal est souvent de changer le centre de gravité actuel, dominé par le Parti populaire européen (PPE), qui vote presque systématiquement à gauche. La grande tragédie de la politique européenne réside dans le fait que le PPE, pourtant un parti de centre-droit, s’est comporté comme un parti de centre-gauche depuis au moins trois législatures.

Les gouvernements de droite populiste arrivés au pouvoir en Autriche, en Italie, en Hongrie, et ailleurs en Europe ont-ils été en capacité d’appliquer leurs programmes et leurs réformes ?

La capacité des partis de droite à mettre en œuvre le programme sur lequel ils ont été élus dépend de plusieurs facteurs, à commencer par la solidité de leur coalition.

Les coalitions fragiles au pouvoir ne favorisent pas la réélection, brisant la continuité nécessaire à l’application d’un cap politique. Autre facteur, l’expérience du pouvoir. Un gouvernement néophyte qui ne connait pas les rouages de l’État et de l’administration a tendance à s’éreinter au fur et à mesure de son mandat.

Par ailleurs, il faut également tenir compte de la coopération du pouvoir judiciaire, qui rend l’exercice du mandat plus compliqué si celui-ci s’oppose vigoureusement au gouvernement nouvellement élu.

Il est courant qu’un gouvernement novateur de droite ne soit pas réélu, comme l’ont montré les exemples de Mauricio Macri en Argentine ou des conservateurs en Autriche.

À l’inverse, la Pologne et la Hongrie offrent des cas où des gouvernements conservateurs ont maintenu le pouvoir avec succès. La Pologne a vu un gouvernement conservateur pendant sept ans malgré une coalition parfois fragile, tandis que Viktor Orbán est au pouvoir en Hongrie depuis seize ans, assurant stabilité et continuité.

On entend souvent ce refrain selon lequel l’élection Rassemblement national constituerait un risque pour notre démocratie. L’opposition dans les autres pays européens où la droite nationale s’est hissée au pouvoir a-t-elle été réduite au silence ?

L’arrivée au pouvoir des partis de droite nationale dans les pays européens n’a aucunement altéré la normalité démocratique. La démocratie consiste à élire un gouvernement et, si les électeurs n’en sont pas satisfaits, à pouvoir le remplacer quatre, cinq ou six ans plus tard.

Cette alternance est un pilier de la démocratie, et elle s’est produite dans de nombreux pays ayant choisi un gouvernement de droite. Récemment en Pologne, par exemple, le dernier gouvernement a perdu les élections. Des situations similaires se sont également produites en Slovénie et en Slovaquie au cours des dix dernières années.

En Hongrie, lors des élections européennes, Péter Magyar a obtenu 30 % des voix alors qu’il était quasiment inconnu. De même, lors des récentes élections municipales à Budapest, le candidat indirectement soutenu par Fidesz a perdu de justesse par seulement 41 voix. Et pourtant, ces résultats ont été acceptés avec élégance et fair-play

L’alternance politique est la meilleure preuve de cette normalité démocratique, démontrant que l’opposition n’est ni attaquée ni muselée.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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