À quelques jours du second tour des législatives, les différents scénarios se précisent. Avec plus de 200 désistements, la stratégie de barrage entre le parti présidentiel Ensemble et le NFP pourrait empêcher au RN de former une majorité absolue à l’Assemblée. Le pays serait alors ingouvernable et les institutions ne pourraient plus se réformer avant la prochaine dissolution ou les prochaines présidentielles.
Autre possibilité en cas de majorité relative, la formation d’un gouvernement de coalition, allant des communistes au centre-droit, excluant le RN et LFI, dirigé par des technocrates sans étiquette politique, pour tenter de mener le pays avec des accords a minima.
Dans les deux cas, le pays rentre dans une période d’instabilité et de recomposition politique alors que la situation économique impose un sérieux budgétaire et que la solvabilité de la France doit être vite redressée.
214 désistements pour le second tour des législatives
214 candidats qualifiés pour le second tour des élections législatives ont annoncé leur désistement le soir du 2 juillet. Majoritairement de gauche (127) ou du camp macroniste (81), ces candidats étaient pour la plupart arrivés troisièmes dans une circonscription où le Rassemblement national (RN) était en tête au premier tour. Seulement 110 triangulaires et quadrangulaires subsistent au second tour, sur les 311 prévues à la sortie des urnes.
Pour mettre fin à ces désistements entre appareils politiques, le sénateur LR Stéphane Le Rudulier a déposé une proposition de loi le 28 juin afin de « protéger le choix des électeurs lors du second tour et sanctuariser la démocratie ». « Les désistements fourvoient et fragilisent la démocratie » peut-on lire dans l’introduction de la proposition de loi.
Le parlementaire veut supprimer la formalité de dépôt de candidature avant le second tour, car selon lui, « de tels accords ne font que renforcer l’aversion des Français pour la vie politique ».
Vers un blocage institutionnel et politique
Pour gouverner en France, il faut une majorité absolue à l’Assemblée, et sans majorité, le pays est impossible à réformer.
Interviewé sur Europe 1-CNews le 2 juillet, Eric Ciotti a accusé Emmanuel Macron de préparer un « chaos institutionnel et politique » en évoquant les désistements et les alliances entre le parti présidentiel et le Nouveau Front populaire (NFP). « [Ce barrage] va provoquer une prise de conscience dans le pays » a-t-il commenté.
Pour Eric Ciotti, Emmanuel Macron est responsable du chaos politique qui s’est installé dans le pays depuis sept ans. « Ce que veut M. Macron, c’est qu’il n’y ait pas de majorité absolue, que la coalition des droites ne puisse pas gouverner et que tout soit bloqué » a-t-il continué.
En cas de majorité relative, la donne sera tout aussi compliquée. Avec trois blocs possiblement irréconciliables, la France risque un blocage institutionnel, sans aucun Premier ministre en mesure de gouverner. Même si les partis n’arrivent pas à former une alliance suffisante, le président devra nommer un nouveau chef de gouvernement à la tête d’une majorité relative, comme c’est le cas depuis 2022.
Le difficile choix du Premier ministre
Le nouveau « front républicain » qui s’est formé pour faire barrage au RN pourrait se transformer en une coalition entre des partis que tout opposait jusque-là. Une union soutenue par la patronne des écologistes Marine Tondelier, qui estime qu’ « il faudra sûrement faire des choses que personne n’a jamais faites auparavant dans ce pays » en cas d’une Assemblée sans majorité claire, mais en rejetant l’idée d’un nouveau « Premier ministre macroniste ».
Si ce front réussit à empêcher une majorité absolue pour le RN à l’Assemblée, se posera en effet la question de qui gouverne la France, sachant que la future Assemblée nationale ne pourra pas être dissoute avant un an. On peut imaginer « l’option d’un Premier ministre technicien ou d’union nationale, si le président l’estime susceptible de créer un accord pour gouverner » a estimé Anne Levade, professeure de droit public à Paris-1.
La présidente sortante de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a évoqué en début de semaine une « grande coalition allant des LR aux écologistes et aux communistes ». De son côté, le camp présidentiel a déjà exclu La France insoumise du « champ républicain », et il est peu probable que les troupes de Jean-Luc Mélenchon acceptent d’y participer.
Mais cette coalition risque d’avoir un problème arithmétique : sans le RN ni LFI, et a fortiori sans tout ou partie de LR, il s’avérerait quasiment impossible d’aboutir ne serait-ce qu’à une majorité relative conséquente.
L’option baroque d’une nouvelle « grande coalition »
« Il y a à la fois un problème numérique et un problème de cohérence programmatique », affirme, dubitatif, le seul député LR élu au premier tour, Philippe Juvin. « Nous par exemple nous pensons qu’il faut limiter l’immigration légale et illégale. Est-ce que vous connaissez beaucoup de socialistes qui sont sur cette ligne? » en évoquant l’éventualité de cette nouvelle coalition.
Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris II, reconnaît qu’il s’agirait de « l’alliance de la carpe et du lapin ». D’autant que pour survivre sans être menacé de censure à tout instant, un tel « gouvernement pour le moins très très baroque » devrait bénéficier « au moins de l’abstention » de la part de LFI, qui s’engagerait « à ne pas le renverser », dit cet expert à l’AFP.
La majorité macroniste a déjà essayé de gouverner avec une majorité relative depuis les législatives de 2022, avec des « techniciens » comme Élisabeth Borne et Gabriel Attal, en faisant voter – tant bien que mal si l’on considère l’utilisation de 23 « 49-3 » – les lois grâce à des alliances avec Les Républicains et une partie de la gauche.
Encore faudrait-il au lendemain du 7 juillet trouver un nouveau Premier ministre « non-macroniste » susceptible de diriger une équipe allant potentiellement d’Olivier Faure et Marine Tondelier à Édouard Philippe ou Laurent Wauquiez.
La France dirigée demain par des technocrates ?
Une version édulcorée qui permettrait aux politiques de moins s’exposer serait le gouvernement technique composé de hauts fonctionnaires ou experts sans étiquette partisane. En Italie, l’ex-président de la Banque centrale européenne Mario Draghi a pu gouverner en période de crise politique avec le soutien des principaux partis.
Mais « nous n’avons pas de Mario Draghi » en France, balaie Philippe Juvin. Pour Benjamin Morel, l’idée c’est justement d’avoir « des hommes gris » qui « ne fassent pas d’ombre aux politiques ».
Une telle coalition « serait inédite dans la Ve République, qui a en fait été pensée exactement en opposition à ce type de système », relève la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, de l’Université de Rouen. Dans tous les cas, une coalition aussi composite « gouvernerait a minima », sans grande ambition réformatrice, selon elle.
Cela permettrait au moins en théorie d’adopter le budget pour rassurer les marchés et éviter l’option encore moins glorieuse de reconduire par ordonnances les dépenses et recettes de l’année précédente. Avec un risque : faire monter encore plus le RN, déjà grand gagnant du premier tour.
« C’est démocratiquement une catastrophe », reconnaît Benjamin Morel. « Les gens ont voté pour du changement et vous leur donnez des technocrates. »
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