Législatives : l’hypothèse d’une « grande coalition » penchant à gauche

Par Ludovic Genin
4 juillet 2024 10:16 Mis à jour: 21 octobre 2024 08:53

À trois jours du scrutin, la gauche et la majorité sortante s’efforcent de convaincre leurs électeurs de leur nouveau « front républicain » contre le RN, alors que les nombreux désistements pourraient priver le parti à la flamme de majorité absolue à l’Assemblée.

Dans l’hypothèse où le RN ne pourrait pas gouverner, les macronistes, une partie de la gauche et certains LR pourraient essayer de former une « grande coalition », loin pour le moment de faire consensus. Car sans majorité absolue, le pays serait bloqué et ingouvernable, comme il l’est depuis les législatives de 2022, avec l’utilisation à 23 reprises de l’article 49-3 par un Premier ministre déjà « technique », comme l’a été Élisabeth Borne.

La nouvelle assemblée serait d’ailleurs encore plus ingouvernable avec un camp macroniste qui arriverait en 3e position après le RN et le NFP, et des divergences politiques encore plus accentuées entre l’aile gauche proche de LFI et l’aile droite proche des LR.

Sans majorité absolue, pas de pays gouvernable

Un sondage Toluna Harris Interactive, publié le 3 juillet, chiffrait le nombre de sièges pour le Rassemblement national entre 190 et 220, loin des 289 requis pour obtenir une majorité absolue, quand ils étaient autour de 260 députés au soir du premier tour.

En cause, l’ampleur des désistements – 130 pour la gauche, plus de 80 pour les macronistes – qui a fait chuter le nombre de triangulaires et pourrait contribuer à contenir une partie de la vague bleu marine. Le Nouveau Front populaire (NFP) obtiendrait entre 159 et 183 sièges, le camp présidentiel entre 110 et 135.

Jordan Bardella a indiqué plusieurs fois qu’il refuserait Matignon en cas d’absence de majorité absolue et a dénoncé « des accords électoraux du déshonneur » avec une « coalition Macron-Mélenchon » qui paralyserait le pays. Marine Le Pen évoque quant à elle toujours un seuil possible de quelque 270 députés, complété avec des soutiens « divers droite, divers gauche, LR ».

Mais si le RN échoue à obtenir une majorité, les macronistes et une partie de la gauche envisagent de former une « grande coalition » qui risque cependant d’avoir un problème arithmétique : sans le RN ni LFI, et a fortiori sans tout ou partie de LR, il s’avérerait quasiment impossible d’aboutir ne serait-ce qu’à une majorité relative conséquente. Le pays serait toujours ingouvernable.

« Il y a à la fois un problème numérique et un problème de cohérence programmatique », a déclaré le député LR Philippe Juvin, en évoquant l’éventualité de cette nouvelle coalition. « Nous, par exemple, nous pensons qu’il faut limiter l’immigration légale et illégale. Est-ce que vous connaissez beaucoup de socialistes qui sont sur cette ligne? »

Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public et constitutionnaliste, ce gouvernement serait «pour le moins très très baroque » et il faudrait, pour que cette alliance survive sans être menacée de censure qu’elle bénéficie « au moins de l’abstention » de la part de LFI.

Ce scénario est loin de faire l’unanimité, d’autant plus que l’absence du mouvement de Jean-Luc Mélenchon empêcherait d’avoir une majorité absolue, quand Emmanuel Macron martelait en Conseil des ministres cette semaine qu’il n’était « pas question » de « gouverner » avec LFI.

Une grande coalition soutenue par la gauche

L’hypothèse d’un gouvernement de coalition fait pourtant son chemin à gauche même si elle risque de fracturer la fragile alliance du NFP. Plusieurs responsables de gauche ne rejettent pas cette hypothèse évoquée par le Premier ministre Gabriel Attal, à condition d’en avoir le leadership. Si cette perspective se confirmait, « il faudra sûrement faire des choses que personne n’a jamais faites auparavant dans ce pays », a reconnu la patronne des Écologistes Marine Tondelier, rejetant tout Premier ministre macroniste.

Le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a quant à lui posé des conditions en refusant d’être « le supplétif d’une majorité en déroute », ou qu’également M. Attal reste Premier ministre. Rappelant que le programme du NFP est « arrivé largement devant celui de la majorité actuelle », il a conditionné un éventuel accord au fait de revenir sur la réforme des retraites et sur la loi immigration.

La France insoumise a pour sa part déjà décliné toute potentielle participation. « Les insoumis ne gouverneront que pour appliquer leur programme », a affirmé le coordinateur de LFI Manuel Bompard. À l’inverse, François Ruffin, qui tente d’être réélu dans la Somme et a pris ses distances avec LFI, a semblé plus réceptif, rappelant que « des grands moments dans notre Histoire se sont faits avec une coalition ». Il a lui aussi posé des préalables, comme le retour de l’impôt sur la fortune, le référendum d’initiative citoyenne et l’abrogation de la réforme des retraites.

Chez les écologistes, la députée Sandrine Rousseau, réélue au premier tour et plus proche des insoumis, est davantage réticente : « Cela ne peut pas être le programme d’Emmanuel Macron, il faudra que ce soit celui du NFP », a-t-elle affirmé sur LCI, alertant « tous (ses) camarades », sur le risque de trahir les électeurs.

On trouve aussi au sein du PS des sceptiques : « Il n’y aura jamais de gouvernement d’union nationale, c’est exclu au regard du fossé entre droite et gauche », et « négocier avec la majorité présidentielle, ça n’existe pas », assène un élu.

L’hypothèse d’un gouvernement technique et pluriel

S’ils parviennent à empêcher le RN de l’emporter, les macronistes, la gauche et certains LR, devront bâtir un « gouvernement technique » qui s’appuierait sur cette « grande coalition ». Un gouvernement technique et pluriel, avec une majorité à gauche, pourrait être à la tête du pays demain.

C’est le souhait émis par le Premier ministre Gabriel Attal en campagne, pour qui l’alternative serait « une Assemblée plurielle, avec différentes forces politiques qui sont représentées ». Une telle coalition « serait inédite dans la Ve République, qui a en fait été pensée exactement en opposition à ce type de système », relève la constitutionnaliste Anne-Charlène Bezzina, de l’Université de Rouen. Pour Benjamin Morel, ce serait « démocratiquement une catastrophe », au vu du vote des électeurs.

Les Français ont en effet mis largement en tête des dernières élections leur souhait d’avoir plus de sécurité, plus de pouvoir d’achat et moins d’immigration. Alors qu’ils appellent démocratiquement à un changement, ils risquent d’avoir au lendemain des élections un gouvernement « techno » orienté à gauche.

Un Premier ministre et des ministres de gauche

Dans l’éventualité d’une telle coalition, reste la question du futur locataire de Matignon.

Cité par Gabriel Attal, le leader de Place publique Raphaël Glucksmann a assuré qu’il ne se mobilisait pas « pour être Premier ministre ou ministre », même s’il a reçu « des messages ». « Je ne rentre pas dans des discussions avant le second tour », a-t-il ajouté.

Sont cités également comme potentiels ministres ou Premier ministre les socialistes Valérie Rabault, députée sortante de la première circonscription du Tarn-et-Garonne, Boris Vallaud, député sortant de la troisième circonscription des Landes, la présidente des Régions de France Carole Delga, l’eurodéputée Place publique Aurore Lalucq, ou encore François Ruffin et Marine Tondelier.

Devant ce retournement de situation voulu par les appareils politiques, la question clé du second tour sera la proportion d’électeurs qui suivront les consignes de désistement et qui voteront pour un parti souvent opposé à leurs convictions politiques, ou s’ils renforceront le message qu’ils ont voulu faire passer au gouvernement, aux élections européennes et au premier tour des législatives.

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