L’enfant qui mesurait le monde est le dernier livre de Metin Arditi, lauréat de nombreux prix littéraires depuis son premier roman Victoria-Hall (Actes Sud, 2004). Envoyé spécial de l’UNESCO pour le dialogue interculturel, il est actif surtout au Proche-Orient. Mécène et homme d’affaires, l’écrivain Metin Arditi situe les personnages de L’enfant qui mesurait le monde dans une île grecque dévastée par la crise et déchirée entre deux projets. Le premier est un hôtel gigantesque voire monstrueux mais qui fournira du travail, et le deuxième, une école unique qui mettra en valeur le beau, le bien et le bon, tout en préservant le paysage époustouflant de l’île et les vestiges de la Grèce Antique, la philosophie et le théâtre. Une école pour un monde meilleur. Au cœur de l’intrigue, un enfant autiste qui réussit à instaurer l’harmonie, l’amitié et la solidarité entre les habitants.
Le personnage de l’enfant dans L’enfant qui mesurait le monde est un enfant avec autisme. Vous êtes président de la fondation Pôle Autisme à Genève, comment avez-vous été sensibilisé à ce sujet ?
C’est très intéressant, car quand je commençais l’écriture de ce roman, je ne pensais pas que ça aurait pris cette trajectoire. Je voulais faire un roman sur la Grèce contemporaine avec la querelle des anciens et des modernes. L’hôtel, l’école. Le personnage de l’enfant était très secondaire. J’ai cherché comment ce village déchiré entre deux projets allait retrouver la paix. Je ne voulais pas que ce soit un personnage conventionnel, ni le maire ni un enfant savant qui dit des choses sensées. Je suis arrivé à cette idée d’un enfant qui ne parle pas. Mais qui par son exemple force l’admiration et l’adhésion du village et ramène les gens à plus d’intelligence. À comprendre ce qui est important dans la vie et ce qui ne l’est pas. Et je suis arrivé à cet enfant-là.
Je ne savais pas ce qu’était l’autisme. Enfin je savais comme tout le monde, mais je ne me suis pas posé la question au-delà. J’ai lu plusieurs livres et j’ai commencé à parler avec les chercheurs de la fondation de l’autisme. Et petit à petit, j’ai commencé à comprendre et j’ai été bouleversé. J’ai regardé parfois des interviews sur l’autisme sur l’Internet et j’ai pleuré. Quel drame, quelle douleur pour les parents et les enfants. Et un jour, quand j’ai parlé avec une de ces expertes pour lui demander conseil par rapport à mon personnage, comment il allait réagir dans telle et telle circonstances, elle m’a dit : « Tu sais, c’est ton enfant. Ce n’est pas le mien. Tu sais mieux que moi ». Car l’autisme est définit comme un trouble du spectre autistique (TSA). Il n’y a pas un autisme, il y a tout dedans. Quand j’ai eu fini mon livre, le président de Pôle Autisme m’a proposé de prendre sa place afin qu’il puisse se consacrer à la recherche. Donc, c’est la littérature qui m’a amené à l’autisme et non pas l’inverse.
C’est ce même enfant qui découvre le nombre d’or, symbole de l’harmonie tant recherché dans le livre. Vous êtes aussi envoyé spécial de l’Unesco pour le proche Orient. Auriez-vous une formule comme le nombre d’or pour la paix ?
Si seulement… non je n’ai aucun nombre d’or. C’est compliqué et même quand c’est simple c’est difficile.
Il y a eu des moments positifs….
Oui, la fondation Arditi qui a lancé un concours de nouvelles parmi les étudiants juifs et arabes en Israël où chacun devait se mettre à la place de l’autre. Nous avons reçu 500 textes. C’était vraiment très bien. C’est quasi un signal…
L’Art est présent dans tous vos livres
Oui l’art est toujours présent, il se manifeste tout seul en quelque sorte. L’art est très rusé. C’est un adjectif qu’on n’associe pas à l’art mais l’art est rusé. Il nous permet de faire connaissance avec nous-même de manière détournée. On lit un livre, il y a un personnage, et on nous dit : « Ce personnage ce n’est pas toi ». On s’approche du personnage, on le regarde, on voit ses forces, ses faiblesses, ses failles, on les commente. Bien-sûr, si c’est un bon livre, on s’identifie, le personnage c’est nous, qu’il soit jeune, vieux, homme ou femme, on se retrouve dans le personnage. Et on nous dit : « Tu peux y aller, ce personnage ce n’est pas toi, tu peux l’observer tranquillement ». L’alternative à ça, c’est le divan, mais ça coûte très cher la psychanalyse, il vaut mieux lire un bon livre !
J’ai passé 11 années en internat et ces 11 années ont été très significatives en ce sens que j’étais loin de mes parents pendant une longue période. Les arts ont joué un rôle très important dans mon enfance.
C’était l’occasion de ressentir des émotions qui étaient les plus proches de celles que l’on ressent quand on est dans les bras de la mère. Les arts sont bienveillants – pour qui les pratiquent en tout cas. Donc, j’étais bon élève pendant toutes ces années, je faisais du théâtre, de la musique, du piano, je chantais… Beaucoup de théâtre.
Le théâtre a une place très importante dans L’enfant qui mesurait le monde, vous croyez dans le pouvoir du théâtre ?
Oui, je suis dans une relation avec le théâtre quasi religieuse. Je crois que c’est très puissant. J’ai joué beaucoup de théâtre. J’ai adoré ça. J’aimais le théâtre plus que tout. Plus que l’écriture ou la musique. Il apprend à découvrir l’autre. À l’écouter. Il apprend à vivre.
Êtes-vous collectionneur ?
Non, pas du tout ! Je ne suis absolument pas collectionneur parce que je crois que je serai très facilement l’objet de ma passion. Je ne veux pas ce genre de relation. Et je ne veux pas non plus m’attacher. Au fond d’ailleurs, ma femme pense comme moi : quand quelque chose est beau sa place est dans un musée. C’est une question éthique. À l’époque où j’écrivais mon premier roman Victoria Hall sur la rencontre imaginaire entre Kafka et Proust, j’avais l’occasion d’acquérir une enveloppe écrite par Kafka et adressée à Felicia Bawer pour un prix très raisonnable mais j’ai trouvé que c’était très vulgaire de mettre la main là-dessus et de la montrer à des amis – ou de ne pas la montrer – c’est encore pire. C’est ridicule !
Est-ce que l’écriture était toujours présente dans votre vie ? Quand est né ce désir ?
J’ai été publié pour la première fois à l’âge de 13 ans, il s’agissait d’un conte que j’avais écrit pour ma mère, je n’avais pas d’argent pour lui faire un cadeau alors je lui envoyé un conte. Il y avait un copain où j’étais à l’école dont le père était le représentant de Hachette en Suisse qui l’a envoyé à Madame Lazareff, qui à l’époque, avait créé le magazine Elle. Puis, je n’ai plus écrit pendant très longtemps, j’ai fait des études scientifiques, j’étais dans les affaires et je n’ai jamais été un écrivain du dimanche. Un jour, on m’a demandé de participer à un colloque sur Jean de La Fontaine et j’ai fait une conférence dont j’ai tiré un livre et c’est comme ça que le goût m’est venu. J’ai enchaîné les essais, les conférences et je me suis consacré à l’écriture. C’est une évolution assez naturelle, on commence par les essais et on finit par des romans.
Vous avez pratiqué plusieurs métiers ?
Oui, physicien, professeur à l’École polytechnique, homme d’affaires et écrivain. J’ajoute – même si ce n’est pas un métier – que durant 18 ans je me suis occupé d’un grand orchestre symphonique, l’orchestre de la Suisse Romande, les treize dernières années comme président, une activité bénévole qui n’était pas loin d’un plein temps.
J’ai le sentiment que toutes ces activités ont en commun l’essentiel et le plus difficile : la recherche de la vérité. Le chercheur y est confronté par essence, mais l’homme d’affaires l’est aussi, peut-être même est-ce plus difficile pour lui, car cet impératif est masqué par le besoin de rester à flot sur le plan financier, de faire du profit, mais aussi masqué par les circonstances. Si l’on a du succès, on se croit meilleur que les autres, on néglige la concurrence. Si l’on est dans l’échec, on se désespère et on cherche des solutions de circonstance. Garder un regard objectif sur le monde est aussi la tâche de l’écrivain, qui doit débusquer la réalité de ses personnages. C’est très difficile…
J’ai choisi d’écrire à une époque où je pouvais me permettre de prendre le temps d’écrire. Et aussi où j’avais envie de retourner au monde des arts, monde qui était celui de mon enfance.
L’intrigue se passe en Grèce ?
La Grèce souffre des vieux problèmes. Le problème de la Grèce provient du fait que les citoyens n’ont pas de relations de confiance avec l’État, il n’y a pas de contrat. Ils aiment leur pays mais ils n’aiment pas l’État ; car l’État c’était les Turcs, puis des rois allemands et danois sans parler des Colonels. Le problème se pose là.
Dans votre dernier livre, Théophanie se rappelle des propos rapportés par sa prof de Mythologie – que lorsque les hommes se prennent pour les égaux des dieux ils sont punis. Avez-vous vécu ce sentiment de puissance ?
Si j’étais mu par des sentiments pareils, jamais je n’aurais quitté le monde de l’immobilier. Dans le monde de l’immobilier vous êtes propriétaires, vous augmentez votre part.
J’ai choisi cette voie d’écriture parce que c’est une voie d’interrogation. Je crois qu’on est à la recherche de son ignorance quand on écrit. C’est une démarche kabbalistique, c’est sans fin. Une histoire qui continue et dévoile toujours une autre vérité. C’est une quête. On ne peut pas avoir le sentiment de puissance quand on est en quête. On peut avoir un sentiment de puissance quand on est dans la situation de tirer un trait et de faire les comptes. L’écriture c’est tout à fait l’inverse, c’est se mettre constamment dans une situation d’interrogation sur soi. C’est plutôt le remède contre l’hubris.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.