ANALYSES

L’engorgement des urgences, « nouvelle maladie nosocomiale » de l’hôpital

novembre 12, 2024 6:58, Last Updated: novembre 21, 2024 14:18
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Pénurie de personnels, manque de lits d’aval dans les services pour absorber les flux entrants, rendez-vous introuvables en ville : les patients s’accumulent sur des brancards et les soignants s’épuisent.

C’est l’un des symboles de la crise de l’hôpital : près de 4.900 lits d’hospitalisation complète (avec nuitée dans l’établissement) ont été supprimés en 2023, confirmant une baisse continue de l’offre, avec 43.500 lits perdus depuis fin 2013, selon une étude de la Drees.

Les soignants critiquent régulièrement ces fermetures de lits, qui saturent les services, mettent les équipes sous pression et accentuent les tensions dans les services d’urgences, faisant fuir de plus en plus de professionnels de l’hôpital.

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Hôpital: les fermetures de lits se poursuivent

Au 31 décembre 2023, les 2962 hôpitaux publics, privés et privés non lucratifs disposaient très exactement de 369.423 lits d’hospitalisation complète, soit 4867 lits de moins qu’en 2022 (-1,3 %), selon le dernier bilan de la direction statistique des ministères sociaux (Drees).

Le repli du nombre de lits confirme selon la Drees « une tendance observée depuis plusieurs années », reflétant d’une part la volonté des pouvoirs publics de « réorganiser » les soins vers plus « d’ambulatoire », mais aussi les pénuries de personnel, qui ne « permettent pas de maintenir » tous les lits ouverts.

La promesse de l’ex-ministre de la Santé Aurélien Rousseau à l’automne 2023 de « rouvrir plusieurs milliers de lits d’ici la fin de l’année », n’a pas été tenue. Si les lits ferment, « ce n’est pas pour des raisons budgétaires », mais par « manque d’attractivité » des métiers du soin, avait-il alors assuré.

Les capacités de prise en charge en hospitalisation à domicile continuent en revanche d’augmenter (+4,1 %) pour arriver à 24.100 patients pris en charge simultanément sur le territoire.

Vers un ratio minimal de soignants par patient ? 

D’ici décembre, l’Assemblée nationale va examiner une proposition de loi déjà validée par le Sénat, pour fixer un nombre minimal de soignants par patient à l’hôpital et restaurer des conditions d’exercice « décentes ».

Si ce texte est adopté, la Haute autorité de santé (HAS) devra établir sous deux ans un référentiel sur le ratio minimal de soignants nécessaires par type d’activité et par lit ouvert. Ceci pour garantir « la qualité et la sécurité des soins », a expliqué le sénateur Bernard Jomier, à l’origine du texte.

L’hôpital est en « crise d’attractivité » : « les professionnels le quittent », a observé M. Jomier. Outre les conditions de rémunération, les soignants expliquent selon lui qu’ils doivent s’occuper de « plus en plus de patients, de plus en plus vite », en raison des contraintes budgétaires, leur donnant le sentiment de « devenir maltraitants ».

Des études internationales ont montré qu’au-delà de quatre malades par infirmière, « une surmortalité hospitalière est constatée », a souligné Étienne Lengliné (collectif inter-hôpitaux). En France, les infirmières soignent « 12 à 14 malades » chacune, largement « au delà des standards internationaux ».

Le déficit des CHU a triplé en un an

Les 32 centres hospitaliers universitaires (CHU) français ont atteint un déficit cumulé de 1,2 milliard d’euros fin 2023, soit trois fois plus qu’en 2022. Ces derniers chiffres montrent à quel point « la dégradation a été profonde et rapide », après le déficit de 402 millions d’euros fin 2022. « La capacité d’autofinancement des CHU, et par conséquent d’investissement, a chuté de 86 % », ont alerté les instances représentatives des directeurs, doyens et médecins. Ces difficultés sont « peut-être les plus graves depuis la création des CHU en 1958 ».

La dégradation « est liée à plusieurs facteurs externes », dont une explosion des dépenses en raison de l’inflation (avec un reste à charge pour les CHU de 585 millions d’euros en 2023), un manque de financement de mesures du Ségur de la santé et une baisse des recettes due aux fermetures de lits après l’épidémie de Covid-19, expliquent les présidents.

Ces chiffres « pèsent lourdement sur les espoirs d’embellie », récemment constatés sur le plan de l’attractivité des carrières et de la fidélisation des soignants, estiment-ils. Par ailleurs, les CHU sont « chargés d’une triple mission » de soins, de formation et de recherche, nécessitant « des finances saines et solides », observent encore les présidents.

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Les urgences en souffrance

Une succession de décès « inattendus » a été observée ces derniers mois dans des services d’urgences débordés. Pour les professionnels, la « surmortalité » liée à l’engorgement du système est difficile à quantifier, mais avérée.

En octobre 2023, Lucas, 25 ans, est mort aux urgences de Hyères (Var), d’un choc septique, selon ses parents, après des heures d’agonie. D’autres plaintes de familles ont été médiatisées début 2024, comme à Nantes ou Eaubonne (Val-d’Oise).

Les drames « évitables » sont-ils en augmentation ? « Difficile à dire, car aucun recensement n’est fait », note Marc Noizet, président de Samu-Urgences de France (SUdF). « Mais il y a une sensibilité accrue. Tout le monde a compris que le système de santé, extrêmement fragilisé, ne fonctionne pas comme il le devrait. »

Diverses méthodes ont été mises sur la table : filtrage strict des patients via le 15, mise en place du SAS, Samu amélioré associant la médecine de ville, revalorisation des gardes de nuits et weekends. Sans parvenir à stopper l’hémorragie.

Le SAS (service d’accès aux soins), Samu amélioré qui réoriente vers la médecine de ville les cas plus « légers », est présent aujourd’hui dans 63 départements, selon le ministère de la Santé. Lequel promet de déployer « partout » ce système soulageant certaines équipes.

Mais un problème s’aggrave : les patients restent sur des brancards, parfois plusieurs jours, en attente d’hospitalisation faute de lits disponibles dans les services spécialisés. Des « zones de danger », car impossibles à surveiller correctement, souligne l’urgentiste Marc Noizet. Il dénonce une « spirale infernale », née d’un mode de financement « à l’activité » introduit en 2004.

Une étude menée fin 2022 en France, notamment par l’AP-HP et l’Inserm, a montré que pour un patient de 75 ans et plus, passer une nuit sur un brancard augmente de 40 % le risque de mortalité hospitalière.

« C’est ce qui fait démissionner les soignants : ne plus travailler dans des conditions permettant la qualité et sécurité des soins », souligne Agnès Ricard-Hibon, porte-parole de Sudf et urgentiste dans le Val d’Oise.

« Il faut rouvrir des lits, concentrer les recrutements sur la médecine polyvalente », poursuit Marc Noizet.  Cet engorgement « est une nouvelle maladie nosocomiale », pointe l’urgentiste. « Ça doit devenir une cause nationale. »

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