L’Élysée a « ouvert les portes de ministères » à Nestlé Waters alors qu’il « savait » que le groupe « trichait depuis plusieurs années » sur les traitements de ses eaux minérales Perrier ou Hépar, a déclaré le 8 avril le rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur les eaux en bouteille.
« La présidence de la République était loin d’être une forteresse inexpugnable à l’égard du lobbying de Nestlé. Au contraire, les contacts sont fréquents et l’Élysée ouvre les portes de certains ministères au groupe suisse. La présidence de la République savait, au moins depuis 2022, que Nestlé trichait depuis plusieurs années », a déclaré le sénateur Alexandre Ouizille (PS), rapporteur de la commission.
En quatre mois, la commission a auditionné près de 100 personnes, dont trois ministres et anciens ministres, pour essayer d’ « établir une véritable transparence sur un dossier qui n’a cessé de faire l’objet de dissimulations au public, à certaines administrations, voire à la représentation nationale », a déclaré le président de la commission Laurent Burgoa (LR).
De son côté, Nestlé Waters a toujours défendu la « sécurité alimentaire » de ses produits et sa démarche de transparence auprès des autorités, niant toute pression sur les décideurs et demandant néanmoins une « clarification » de la réglementation sur la microfiltration.
Le groupe est visé par une enquête préliminaire ouverte par le parquet d’Épinal pour tromperie, soupçonné d’avoir eu recours à des traitements illégaux pour purifier ses eaux. Fin janvier 2024, Nestlé Waters a reconnu avoir recouru à des systèmes de désinfection interdits (lampe UV, charbon actif) pour maintenir la « sécurité alimentaire » de ses eaux des Vosges (Vittel, Contrex et Hépar).
En connaissance de cause, le gouvernement d’Élisabeth Borne aurait laissé l’entreprise vendre des bouteilles d’eau potentiellement à risque pour la santé. Le scandale a éclaté début 2024, après des révélations de journalistes du Monde, de Mediapart et de Franceinfo.
Les débuts de l’affaire
Début février 2024, Radio France et Le Monde ont publié des éléments accusant la présidence et les services du Premier ministre d’avoir cédé au lobbying de Nestlé.
Les deux médias citaient une note de début 2023 du directeur général de la santé (DGS) Jérôme Salomon, qui recommandait de « suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau pour les sites Nestlé » et d’étendre cette interdiction « au site d’embouteillage de Perrier ». En France, Nestlé est propriétaire des marques Vittel, Contrex et Hépar, puisées et embouteillées dans les Vosges, et Perrier dans le Gard.
Cette note, qui aurait été transmise au cabinet de la Première ministre, Élisabeth Borne, recommandait de refuser à Nestlé toute dérogation quant à la microfiltration, au risque d’un contentieux avec Bruxelles. Mais un mois plus tard, les cabinets de Matignon et de l’Élysée l’auraient autorisée, selon les deux médias.
Emmanuel Macron avait alors rejeté toute « entente » ou « connivence » avec Nestlé.
En janvier 2024, précédent des informations de presse, Nestlé Waters, filiale du géant suisse de l’agroalimentaire, avait reconnu avoir eu recours à des systèmes de désinfection interdits pour maintenir la « sécurité alimentaire » de ses eaux minérales.
Après cette alerte et sans toutefois ébruiter l’affaire ni informer les consommateurs, les autorités avaient ensuite permis aux industriels d’utiliser des microfiltres avec un seuil de filtration inférieur à 0,8 micron, qui fait depuis 2001 office de jurisprudence, faute de précision dans la réglementation européenne.
Mediapart assurait en juillet 2024 que Nestlé Waters avait eu recours à ces traitements interdits depuis au moins une quinzaine d’années, citant un rapport d’enquête des services de la répression des fraudes.
Nestlé a aujourd’hui toujours recours à des systèmes de microfiltration à 0,2 micromètre, soulignant qu’ils avaient été approuvés par le gouvernement en 2023 dans le cadre d’un plan de transformation soumis aux autorités.
Un rapport sénatorial déplore l’ « opacité » autour de l’affaire
Dix mois après de premières révélations sur le recours par Nestlé à des traitements interdits sur ses eaux en bouteille, un rapport sénatorial a jugé les pouvoirs publics comme les industriels responsables de l’ « opacité » qui entoure l’affaire.
« La rapporteure déplore le manque de transparence de certains acteurs privés comme publics auquel s’est heurtée la mission et, surtout, la lenteur de la mise en conformité de l’industriel, en l’absence de mesures plus volontaristes de l’État », peut-on lire dans une synthèse du rapport, adopté en octobre 2024 par la commission des Affaires économiques de la chambre haute.
Dans une déclaration transmise à l’AFP, Foodwatch estime que le rapport « confirme la lourde responsabilité des ministres dans cette affaire ». « Ils auraient dû informer et sanctionner Nestlé et ne l’ont pas fait », déplore l’ONG de défense des consommateurs, qui a déposé plusieurs plaintes dans ce dossier.
Audition tendue de la directrice générale de Nestlé Waters
La directrice générale de Nestlé Waters était sur la défensive le 19 mars, devant la commission d’enquête sénatoriale qui a déploré son manque de coopération.
« Je n’ai pas la raison pour laquelle ils étaient en place. Je sais que ces traitements permettaient d’assurer la sécurité alimentaire », a affirmé Muriel Lienau. Tout au long de l’audition, le rapporteur Alexandre Ouizille et plusieurs autres sénateurs, ont déploré leurs difficultés à obtenir des réponses claires.
Muriel Lienau a demandé à la commission de clarifier dans son rapport les recommandations sur la microfiltration utilisée par le groupe. « Nous avons soumis aux autorités locales des dossiers d’autorisation » du processus de microfiltration cartouche à 0,2 micron, a-t-elle ajouté, après avoir déclaré qu’il n’existe « aujourd’hui aucun règlement autorisant ni interdisant une technologie de microfiltration particulière ».
Elle a ensuite refusé de donner les noms des personnes qui l’ont informée des traitements illégaux après sa prise de poste, invoquant la procédure judiciaire en cours.
Alexis Kohler refuse de témoigner devant la commission d’enquête du Sénat
Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler a décliné le 8 avril la convocation de la commission d’enquête sénatoriale, invoquant le motif de « séparation des pouvoirs » à la veille de son audition.
Le sénateur socialiste Alexandre Ouizille, rapporteur de cette commission d’enquête, s’est dit « surpris » de cette décision. « Cela ne correspond pas à l’esprit qui était celui des échanges qu’on a eus avec l’Élysée », a-t-il regretté, rappelant que la présidence de la République avait accepté de livrer des documents à cette commission d’enquête.
Un courriel de fin 2024, reçu par Alexis Kohler d’un conseiller de la présidence, évoque pour Perrier dans le Gard des « sources de plus en plus régulièrement polluées, notamment de source bactériologique et en partie de matières fécales ». Il évoque aussi de possibles « problèmes entre les marques: ceux qui ont une eau pure n’ont pas intérêt à ce que leurs concurrents puissent utiliser des techniques de purification ».
Cette audition était particulièrement attendue depuis de nouvelles révélations en février 2025 concernant une rencontre entre des représentants de Nestlé et Alexis Kohler, à la suite de laquelle le gouvernement aurait autorisé le plan de transformation du groupe. Ce plan a consisté à retirer les traitements non conformes (filtres à charbon et UV) et à les remplacer par une microfiltration à 0,2 micron, dont la légalité a fait l’objet de nombreuses auditions de la commission.
Emmanuel Macron avait démenti être au courant de cette rencontre, ajoutant qu’il n’y avait eu ni « entente », ni « connivence », et Nestlé a de son côté démenti avoir exercé une forme de lobbying.
L’Élysée a « ouvert les portes de ministères » à Nestlé, selon la commission
Le 8 avril 2025, la commission d’enquête a rendu ses conclusions, suite au refus d’audition d’Alexis Kohler et à la réception d’une brève présentation de « 74 pages de documents » transmis par l’Élysée, démontrant, selon le rapporteur, la « densité » des échanges entre Nestlé et la présidence. Les échanges et rencontres entre Nestlé et l’Élysée vont de 2022 à fin 2024.
“La présidence de la République avait conscience que cela créait une distorsion de concurrence avec les autres minéraliers. Elle avait connaissance des contaminations bactériologiques, voire virologiques, sur certains forages », a assené le sénateur PS en citant certains passages de notes internes.
« Le 14 octobre 2024, Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, a relancé le secrétariat de M. Kohler, celui-ci ayant indiqué à Laurent Freixe, lors de leur entretien, qu’il fournirait les bons contacts à solliciter au sein des ministères », a expliqué Alexandre Ouizille, annonçant la prochaine mise à disposition du public de l’intégralité des documents transmis par l’Élysée à la commission – une première.
Après avoir entendu près de 100 personnes, dont trois ministres ou anciens ministres, leurs collaborateurs, des dirigeants de Nestlé, des ONG, des élus locaux, des responsables de l’administration, mais aussi les journalistes à l’origine des révélations ou des chercheurs spécialistes des eaux, la commission est en passe de conclure ses auditions.
Le rapport de la commission sera présenté le 19 mai prochain.
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