Dans son champ de salades de l’aride Imperial Valley californienne, Andrew Leimgruber perpétue fièrement la tradition : dans sa famille, on est agriculteur depuis quatre générations et malgré le déclin du fleuve Colorado, il n’est pas question que ça change.
Sans l’eau de la rivière, amenée jusqu’ici par un imposant canal, cette oasis tapissée de verdure du sud californien « serait un désert », résume le trentenaire. Comme lui, les fermiers de la région sont inquiets. Car le fleuve Colorado, ressource cruciale pour 40 millions d’Américains, n’est plus que l’ombre de lui-même à cause de la sécheresse historique qui frappe l’Ouest américain depuis plus de 20 ans.
Washington exige des coupes massives pour faire face à cette situation, aggravée par le réchauffement climatique. Résultat, les sept États qui dépendent de la rivière se querellent actuellement pour savoir comment couper jusqu’à un quart de leur consommation. Au milieu de ces tensions, le comté d’Imperial apparaît comme le coupable idéal, avec sa consommation maximale dépassant celle du Nevada et de l’Arizona réunis.
Face aux États voisins qui réclament un meilleur partage pour assurer l’avenir de métropoles comme Phoenix, le fermier contre-attaque : sa région est un des potagers des États-Unis, en hiver, l’Imperial Valley produit une grande partie des légumes consommés par les Américains.
Selon un traité vieux de plus de 100 ans, les grands agriculteurs de la région ont le droit de tirer 3,8 milliards de mètres cubes du Colorado par an, soit plus que n’importe qui d’autre dans l’Ouest américain. « Cela nous a mis une cible dans le dos », peste auprès de l’AFP M. Leimgruber, entouré d’arroseurs automatiques tournant à plein régime.
Une luzerne gourmande en eau pour nourrir les vaches
« Ce sont des régions comme celle-ci qui assurent l’alimentation du pays, et je pense que cela doit être protégé », insiste-t-il. « Se débarrasser de nous est devenu une sorte de solution de facilité (…) mais ils ont tort de ne pas prendre en compte le fait que nous nourrissons le pays », abonde Tina Shields, membre de l’agence qui gère l’irrigation du comté. « Nous ne sacrifierons pas notre communauté pour le développement urbain », prévient-elle. « Nos agriculteurs sont déterminés à faire partie de la solution, mais ils ne sont pas la solution. »
L’enjeu est immense : dans la région, l’agriculture et l’élevage génèrent plus de 2 milliards de dollars par an. Dans la vallée, environ 30% des champs servent à cultiver la luzerne, une plante particulièrement gourmande en eau. Essentielle pour nourrir le bétail américain, elle est aussi appréciée à l’exportation. « Ce que certains voient, c’est que nous exportons notre eau vers la Chine », lâche à l’AFP un salarié agricole, qui souhaite rester anonyme. Mais seuls 15% de la production de luzerne est exportée, s’empresse de préciser M. Leimgruber. Le reste demeure aux États-Unis pour nourrir les vaches. « La Californie est le premier État producteur de lait du pays, et c’est grâce à la capacité de l’Imperial Valley à cultiver la luzerne », prévient-il. « Beaucoup d’Américains pensent qu’il n’est pas possible d’avoir des étagères vides. »
Ce comté de 180.000 habitants, voisin du Mexique, est également l’une des régions les plus pauvres des États-Unis. Menacer l’agriculture, c’est potentiellement couper les vivres à quantité de travailleurs locaux, pour la plupart latino-américains comme Ramon Cardenas. Après 30 ans passés dans cette vallée, le quinquagénaire espère que rien ne va changer. « Nous dépendons de ça », souffle-t-il en désignant ses collègues en train d’emballer des laitues.
Des fermes photovoltaïques
Pour réduire sa consommation d’eau sans sombrer dans le marasme économique, la région pourrait se reconvertir dans l’énergie solaire. C’est l’un des endroits les plus ensoleillés des États-Unis et le pays cherche partout de nouveaux endroits pour implanter des panneaux solaires, afin d’assurer sa transition énergétique.
Certains agriculteurs ont commencé à louer leurs terres pour les transformer en fermes photovoltaïques. Mais nombre d’entre eux restent dubitatifs: ils estiment que cela détruit des emplois et gâche le potentiel d’exploitations capables de produire en toutes saisons. « Les gens ne comprennent pas à quel point cette terre est productive », s’agace M. Leimgruber. « On ne peut pas faire pousser ce type de cultures dans le Midwest – si c’était possible, ils l’auraient déjà fait. »
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