LONDRES – Médecins Sans Frontières (MSF) dit que le bombardement de son hôpital à Kunduz par un avion de guerre américain est un crime de guerre. Les quatre enquêtes distinctes qui sont actuellement menées pour faire la lumière sur l’événement, qui a fait 22 victimes, devraient permettre de déterminer si l’organisation d’assistance médicale a raison. Si l’on se fie aux précédents, toutefois, il est peu probable que des poursuites criminelles soient engagées quelles que soient les conclusions des enquêtes.
MSF a appelé à l’activation de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (CIHEF), une institution qui a pour mandat d’enquêter plutôt que de juger. La CIHEF a été créée en 1991 par le premier protocole additionnel aux conventions de Genève et n’a pas encore mené d’enquête.
Nous examinerons ci-dessous les contextes historiques et judiciaires des attaques commises contre des établissements médicaux.
Ce genre d’attaque est-il courant en temps de guerre ?
Malheureusement, les attaques contre les hôpitaux ne sont pas rares dans l’histoire récente. Voici quelques-uns des cas les plus connus :
Sarajevo : L’hôpital de Kosevo était le principal établissement médical de Sarajevo lorsque la ville a été assiégée en 1992. Dans les trois années qui ont suivi, il a été touché plus de 100 fois par des tirs d’artillerie, dont certains provenaient de très près.
Vukovar : L’hôpital de cette ville croate a été bombardé pendant le siège mené par l’Armée populaire yougoslave (JNA), en 1991. Le 20 novembre, des miliciens de la JNA ont conduit sur une ferme isolée environ 300 personnes qui se trouvaient dans l’enceinte de l’hôpital et les ont exécutées. L’épisode ainsi que d’autres atrocités commises à Vukovar font partie des crimes de guerre dont la responsabilité a été attribuée par la Croatie au président serbe de l’époque, Slobodan Milosevic.
Mulliavaikal : En 2008-2009, Human Rights Watch (HRW) a documenté 30 attaques contre des établissements médicaux en moins de six mois au Sri Lanka. L’incident le plus connu est sans doute le bombardement du centre médical Mulliavaikal. Cet hôpital de fortune, mis en place dans la « zone protégée » à la fin d’une longue guerre civile, a été touché à plusieurs reprises par des tirs d’artillerie de l’armée sri-lankaise entre le 28 avril et le 3 mai 2009. HRW a qualifié ces incidents de crimes de guerre.
Des hôpitaux ont également été attaqués au cours des dernières années en Afghanistan, au Congo, à Gaza, au Soudan du Sud et en Syrie.
Les hôpitaux ne sont pas les seuls à faire l’objet d’attaques. Une étude récente menée par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) fait état de 2398 incidents de violence à l’encontre d’établissements et de fournisseurs de soins de santé enregistrés de 2012 à 2014 dans 11 pays.
Les hôpitaux bénéficient-ils d’une protection spécifique en vertu du droit international humanitaire (DIH) ?
Oui. Les attaques contre les hôpitaux ont été les premiers crimes de guerre à être définis comme tels. La codification des crimes de guerre rédigée par Abraham Lincoln pendant la guerre civile américaine, l’un des premiers textes de loi du genre, aborde spécifiquement ce type d’attaque. Les mots de Lincoln ont été repris presque tels quels en 1949, au moment de rédiger la quatrième Convention de Genève, qui constitue la source principale du DIH en ce qui concerne la protection spéciale offerte aux établissements médicaux en temps de guerre. La Convention a été signée par 196 pays.
Qu’arrive-t-il lorsqu’on soupçonne qu’un crime de guerre comme celui-ci a été commis ?
Lorsqu’on soupçonne une violation du DIH, c’est la force militaire impliquée qui, dans un premier temps, a la responsabilité de mener l’enquête et, si nécessaire, de punir les responsables.
Selon Dustin Lewis, chercheur principal pour le programme Droit international et conflits armés (PILAC, selon le sigle anglais) de la Faculté de droit de Harvard, la Cour pénale internationale (CPI) intervient uniquement « là où elle a juridiction et lorsque l’État en question n’a pas la volonté ou la capacité véritable d’enquêter et, si nécessaire, d’engager des poursuites. En d’autres mots, le système de la CPI est fait pour soutenir les enquêtes menées par les États ».
Dans le cas de Kunduz, le fait que le gouvernement américain n’a pas adhéré au statut de Rome, qui régit les règles de la CPI, complique également la situation, même si l’Afghanistan, où a eu lieu l’incident, fait partie des États signataires.
Combien de poursuites ont été menées en vertu du DIH pour des attaques contre des hôpitaux ?
Les cas concernant des établissements médicaux ayant été présentés devant des tribunaux pénaux internationaux sont très rares. Les affaires qui l’ont été comprenaient généralement un éventail plus large d’allégations de crimes de guerre.
Par exemple, l’attaque contre l’hôpital de Vukovar est spécifiquement citée dans les accusations portées contre l’ancien président serbe Slobodan Milosevic, mais celles-ci font essentiellement référence à l’exécution des personnes enlevées dans l’enceinte de l’hôpital, et non à l’attaque perpétrée contre l’hôpital. De toute façon, Milosevic est mort avant que son procès puisse être amené à terme.
De la même façon, les attaques perpétrées contre l’hôpital de Kosevo, à Sarajevo, font partie des crimes dont a dû répondre Stanislav Galic, un Serbe de Bosnie, devant le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à La Haye. Là encore, les choses se sont compliquées. Au départ, les juges de première instance ont conclu que les tirs d’artillerie qui ont touché les bâtiments de l’hôpital de Kosevo ne visaient pas de cible militaire potentielle. La chambre d’appels a pourtant soutenu que la conclusion de la chambre de première instance était partiellement incorrecte parce qu’il était possible que l’hôpital ait été utilisé comme base par ceux qui luttaient contre les forces de Galic, auquel cas l’hôpital avait été, du moins temporairement, une cible militaire.
Les approches nationales sont-elles meilleures ?
Pas vraiment. Les enquêtes menées au niveau national ont tendance à traîner pendant de longues années sans donner de résultat. Par exemple, un panel d’experts mis sur pied par le secrétaire général des Nations Unies pour déterminer les responsabilités des divers acteurs pendant la guerre a conclu que l’hôpital de Mulliavaikal avait effectivement été bombardé par l’armée même s’il était clairement identifié comme un établissement médical. En mai 2010, le président Mahinda Rajapaksa a créé la Commission sur les leçons apprises et la réconciliation. La commission, qui n’a pas enquêté sur des événements précis, a fini par conclure, de manière générale, que les civils qui étaient morts n’avaient pas été spécifiquement ciblés. En 2012, le Bureau de la justice pénale internationale du département d’État américain a demandé au gouvernement sri-lankais de mener une autre enquête sur ce qu’il considère comme des allégations crédibles selon lesquelles des violations graves du DIH – les attaques contre l’hôpital, entre autres – auraient été commises. Jusqu’à présent, aucune procédure criminelle n’a été entreprise.
Bref, la majorité des allégations d’attaques contre des hôpitaux ne provoquent pas grand-chose d’autre qu’une vague d’intérêt médiatique, des critiques virulentes et des déclarations soigneusement formulées par les coupables présumés.
Des efforts sont-ils déployés pour corriger la situation ?
Oui. Le CICR, l’organisation la plus étroitement associée au DIH, est si inquiet qu’il a mis en place un projet particulier appelé Health Care In Danger. Ce projet met l’accent sur la protection des soins médicaux en situation de conflit.
La question du droit international humanitaire fait partie des principaux sujets de préoccupation du Sommet humanitaire mondial. Le rapport de synthèse, qui résume les consultations menées jusqu’à présent, indique que les responsables doivent rendre des comptes et reflète les appels adressés aux États pour « réaffirmer leur engagement à mieux respecter le droit international humanitaire et à en assurer un plus grand respect ». Pour l’instant, toutefois, les participants au Sommet semblent à court d’idées sur la façon dont cela pourrait se faire ou sur ce que cela pourrait signifier dans la pratique et se contentent de parler de formations et d’engagements volontaires des États.
Cela signifie-t-il qu’il n’y a aucun moyen d’aller de l’avant ?
Pas nécessairement. Il y a d’autres façons d’approcher la question. Certains avocats soutiennent que les victimes des crimes de guerre ont plus de chances d’obtenir justice si elles poursuivent directement les auteurs des crimes que si elles s’appuient sur les tribunaux de crimes de guerre. Louise Hooper, une avocate des droits de l’homme basée à Londres, fait remarquer que de nombreuses victimes ayant intenté des actions contre des gouvernements en Europe et sur le continent américain ont gagné leur cause et ont été dédommagées. En 2011, par exemple, un groupe d’Irakiens dont des proches avaient été détenus, violés ou tués par les forces britanniques ont obtenu gain de cause et reçu 23 000 dollars chacun. « Quelle que soit l’intention derrière le DIH, la réalité, c’est qu’il est rarement appliqué dans la pratique, en particulier si les auteurs des violations viennent des États “puissants” de l’Occident, qui, dans certains cas, n’ont pas signé les conventions et les textes portant création de certains tribunaux », a dit Mme Hooper. « Une autre option – qui, en fin de compte, donnerait peut-être de meilleurs résultats – serait d’intenter une action collective en vue d’obtenir une compensation pour les victimes. Cela signifierait que les individus pourraient espérer obtenir une forme de justice même lorsque la communauté internationale est impuissante à agir à cause de la façon dont fonctionne la politique. »
Source : IRIN News
Le point de vue dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas nécessairement celui d’Epoch Times.
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