Longtemps en péril, l’activité des Forges de Tarbes, seul site industriel français encore capable de produire des fûts d’obus de 155 mm, se trouve relancée par les énormes besoins des forces ukrainiennes pour ce type de munitions.
Les fûts d’acier rougeoyant s’empilent à proximité du cœur de forge dont ils viennent de sortir après y avoir été façonnés à plus de 1000 degrés. En quelques minutes, usinés sur d’autres postes de travail, ils prendront leur forme en ogive, avant de rejoindre les palettes de livraison à l’entrée de l’usine.
1500 fûts d’un obus par mois
Depuis l’automne, l’usine des Hautes-Pyrénées produit ainsi chaque mois environ 1500 fûts d’un obus de calibre 155 mm, le LU.211, qui équipe les dizaines de canons Caesar, fournis par la France à l’Ukraine. C’est un « obus très performant, le seul qui a une portée de 42 km avec un très haut niveau de précision », explique à l’AFP Jérôme Garnache-Creuillot, PDG d’Europlasma, maison-mère des Forges de Tarbes.
Le site envisage également de bientôt produire un 155 mm plus standard, le M.107, pour nourrir d’autres types de canons utilisés par Kiev car « aujourd’hui, on est sur des besoins extraordinaires en Ukraine », souligne M. Garnache-Creuillot. Ces besoins « représentent beaucoup plus que la production cumulée de l’ensemble des pays de l’Otan », ajoute-t-il.
L’Ukraine tire en effet 5000 à 7000 obus de 155 mm par jour, soit environ 2 millions par an, détaille Anthony Cesbron, directeur général adjoint des Forges de Tarbes. Celles-ci entendent bien prendre toute leur part dans l’approvisionnement : « la priorité, c’est de se doter d’un outil de production qui nous permette de passer de 1500 unités par mois à 5000 puis 10.000 et 15.000 à l’horizon 2025 », prévoit M. Garnache-Creuillot. Pour ce faire, des modernisations sont prévues et l’entreprise recrute : de 25 salariés au début de la crise, l’effectif est passé à 30, devrait atteindre les 50 fin 2023 et « plus de 60 personnes en 2024 », selon M. Cesbron.
Premier maillon de la chaîne de fabrication de munitions
À moyen terme, les forges comptent aussi sur le fait que la demande en obus de 155 mm va être largement alimentée par le besoin de réalimenter les stocks des pays de l’Otan qui sont actuellement consommés par l’Ukraine. Et plus largement, insiste M. Cesbron, la crise a « remis au premier plan la question de la souveraineté industrielle en matière de défense et rendu de nouveau important l’intérêt de maîtriser la chaîne complète de fabrication des munitions ».
En France, pour les obus de 155, les forges pyrénéennes constituent le premier maillon de cette chaîne, complétée ensuite par la poudrière d’Eurenco à Bergerac (Dordogne, charge explosive) et l’usine Nexter de La Chapelle-Saint-Ursin (Cher, assemblage final).
Pour les Forges, l’un des derniers vestiges industriels actifs de l’ancien arsenal, jadis poumon économique de la préfecture des Hautes-Pyrénées, « c’est un renouveau et un retour aux sources », estime ainsi Pierre Burtin, 55 ans, rentré en apprentissage à 14 ans à l’arsenal. C’était en 1982, au moment de son âge d’or et de ses quelque 3000 salariés. « Tout le monde avait un cousin, un oncle, une tante, un frère, une sœur qui travaillait là. » L’histoire de l’arsenal de Tarbes remonte à la guerre de 1870 et à la volonté d’éloigner le plus possible cette industrie stratégique de la frontière avec l’Allemagne.
Fournisseur essentiel de la défense française, l’arsenal intégré au GIAT (Groupement industriel des armements terrestres) en 1971, périclite avec la fin de la guerre froide et le coup de frein subi par les industries d’armement. Plans sociaux et restructurations s’enchaînent : au fil des années, les installations de l’arsenal ferment les unes après les autres.
Aujourd’hui, autour des forges – en fait l’ancienne obuserie de l’arsenal – le paysage urbain témoigne de ce passé : pour y accéder, la route se faufile entre les friches industrielles, certaines réhabilitées, d’autres aux vitres cassées et à l’architecture mangée par la végétation. Avec le XXIe siècle, les Forges, quasiment seules rescapées de l’arsenal, ont un temps abandonné la production de munitions pour la fabrication de raccords pour cannes de forage pétrolier. Elles sont passées de repreneur en repreneur et n’ont, à l’été 2021, échappé à la liquidation judiciaire qu’à la faveur du rachat par Europlasma.
Ce groupe spécialisé dans le traitement des déchets dangereux devait progressivement orienter le site vers d’autres utilisations que l’armement. Mais le vent de l’histoire et Vladimir Poutine en ont finalement décidé autrement.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.