Le premier long métrage de Chloé Zhao Les chansons que mes frères m’ont apprises peint d’un trait sensible la vie des Indiens dans la réserve de Pine Ridge dans le Dakota du Sud. Chloé Zhao a vécu quatre ans parmi les Lakotas, une tribu du peuple sioux, avant de tourner son film.
Le film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes et au festival de Sundance, le principal festival américain des films réalisés hors du système hollywoodien. Il a bénéficié du soutien du Sundance Institute.
Un film qui échappe à tout classement
Les chansons que mes frères m’ont apprises raconte l’histoire d’une grande famille bouleversée par la mort soudaine du père.
Johnny vit avec Jashaun, sa sœur de 13 ans, et sa mère alcoolique dans le Dakota du Sud. Il vient de finir ses études et s’apprête à quitter la réserve pour commencer une nouvelle vie avec sa petite amie à Los Angeles. À l’occasion des funérailles de son père, il rencontre ses 25 autres frères et sœurs issus de neuf mères différentes. La question du départ et de la séparation est omniprésente tout au long du film.
Pour le spectateur, le film présente une occasion de découvrir ces gens attachés, malgré tout, à cette terre aride qui est la leur et à leur quotidien qui ne relève ni du passé ni du présent.
Chloé Zhao, la réalisatrice qui a quitté la Chine à l’âge de 14 ans et qui mène une vie plus ou moins nomade depuis, questionne les attaches qui relient les gens à leur « chez soi » malgré les combats souvent perdus d’avance qu’ils doivent mener.
Dans une fiction hyperréaliste ou un poème documentaire – difficile à dire car le film échappe à tout classement – Chloé Zhao capte la misère décadente d’un peuple sans avenir mais aussi la beauté époustouflante de ses membres et de la relation qui les unit à leur pays.
Une splendide courtepointe
Le récit se déploie scène par scène telle une courtepointe – l’une de ces splendides couvertures faites en patchwork, tissée de filaments de réalité ressemblant plutôt à des souvenirs ou à des rêves.
En effet, la réalisatrice raconte comment elle a commencé le tournage sans scénario mais avec un simple fil conducteur. Les scènes ont été écrites chaque matin au fur et à mesure de l’avancement du tournage. Les acteurs, tous habitants de la réserve depuis leur naissance – à l’exception de quelques uns, ont complété les tableaux avec des détails qui se présentaient sur place ou les menaient dans un sens qui leur convenait. La scène de l’incendie, par exemple, a réellement eu lieu et elle a été intégrée au film.
Les jeunes acteurs jouent à merveille des scènes qui auraient pu faire partie de leur réalité.
La caméra, comme pour un documentaire ou une vidéo faite maison, prend des angles inattendus et surprenants, instaure une intimité. Cette intimité dégage également de rares dialogues. Certes, les personnages ne sont pas bavards. Le film est basé plutôt sur l’ambiance qui règne dans la réserve que sur une intrigue quelconque. Les admirables paysages arides et sauvages du Dakota du Sud confèrent un aspect presque surréaliste à la dure réalité.
Le chef opérateur Joshua James Richards saisit la valse de la nature, les étincelles du feu, le souffle du vent lui aussi omniprésent qui pénètre tout, nettoyant les hommes de leurs idées superflues et emportant avec lui les sentiments trop lourds.
Chaque scène, chaque portrait, nous laisse entrevoir l’essence de la vie de ce peuple déraciné – ou en quête de ses racines – sur sa propre terre.
Loin des clichés, Zhao expose avec finesse les rituels des coutumes des Lakotas.
La fable du cheval sauvage
Le film s’ouvre avec la voix off de Johnny qu’on voit monter à cru sur un cheval blanc. « Si on veut dresser un cheval, il faut respecter sa liberté. Si on le monte trop, on gâte son esprit. Tous les animaux sauvages ont quelque chose de mauvais en eux et ils en ont besoin pour survivre ».
Le cheval, auquel on a enlevé le côté sauvage, serait-il une sorte de métaphore de la condition des Amérindiens ? Désormais privés de leurs racines, les Indiens mènent une vie passive, remplie de nostalgie et d’alcool dans une nature désertique qui, après avoir été synonyme de liberté, est devenue leur purgatoire.
À Pine Ridge, il y a ceux qui ne consomment pas d’alcool et qui militent contre l’alcoolisme et pour un retour aux valeurs ancestrales, ceux qui boivent, et ceux qui font de la contrebande. La boisson, qui a ravagé les Indiens, est illégale dans la réserve mais le trafic peut parfois être un moyen pour des jeunes de gagner quelques sous qui leur permettront d’aller s’installer en ville.
Une douleur silencieuse
Les chansons que mes frères m’ont apprises est aussi l’occasion de soulever un problème enterré parce qu’on le croit peut-être résolu, imaginant des villages d’Indiens qui vendent leurs marchandises multicolores aux touristes dans une ambiance folklorique et gaie.
La vérité est tout autre. La souffrance des Indiens est restée silencieuse. Et il ne s’agit pas que du massacre des bisons ou de la prise en main de l’éducation des enfants par des nones, mais de la tentative globale de s’intégrer à la société américaine qui a échouée. Menant une vie absurde dans la réserve, les Indiens n’ont jamais pu réellement exprimer leur douleur ni se réconcilier avec le passé.
Cependant, le fil conducteur du film passe par les liens entre les membres de la réserve caractérisés par une tendresse, une sorte de compassion et de solidarité, qui rendent les personnages attachants.
Johnny le trafiquant d’alcool, la mère qui n’arrive pas à s’occuper de ses enfants, Travis le tatoueur ravagé par l’alcool, le frère en prison, le frère qui avait vécu avec le père et fait du rodéo, autant de personnages attachants qui passeront dans nos cœurs, emportés par le vent, comme leurs ancêtres et leur renaissance tant attendue.
L’espoir
« Tout recommencera avec la septième génération, la septième génération c’est toi », dit Travis l’artiste tatoueur à la petite Jashaun qui porte l’espoir de ce film. Le rêve de Jashaun est d’avoir la robe indienne de Pow Wow qui lui permettra de participer au festival des danses traditionnelles. C’est Travis qui lui fabriquera sa robe. Jashaun pourra enfin danser au rythme des « chansons de ses frères ».
Infos pratiques
Les chansons que mes frères m’ont apprises
film américain de Chloé Zhao (premier film) – 1h34
Avec John Reddy, Jashaun St. John, Irene Bedard, Taysha Fuller, Travis Lone Hill, Eléonore Hendricks.
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