Pour Napoléon Bonaparte, les campagnes qui ont bouleversé le monde, la soumission de l’Europe sous sa main de fer, les armées massives prêtes à marcher à ses commandes et l’ascension vertigineuse au sommet de la puissance mondiale, tout cela était terminé, et pourtant la partie la plus remarquable de l’histoire de Bonaparte ne faisait que commencer.
Nous sommes le 15 octobre 1815. Napoléon contemple la mer scintillante d’un promontoire de la minuscule île de Sainte-Hélène, un rocher de 9,6 km par 16 km qui se dresse au milieu de nulle part, à 1932 km de la côte africaine, le continent le plus proche. Le paysage inhospitalier de l’île se compose de flancs de montagnes qui s’élancent vers la mer, d’îlots de verdure sur les flancs des collines et dans les vallées, et d’étendues désertiques marquées par la présence de cactus.
Alors qu’il regarde le navire qui l’a amené sur l’île s’éloigner vers le point de fuite de l’horizon céruléen, un vent océanique souffle, agitant la plume de son chapeau. Enfin, le navire disparaît, et avec lui, toute chance pour Napoléon de revoir l’Europe.
L’ascension au pouvoir
Pendant plus d’une décennie, les guerres de Napoléon ont déchiré et meurtri, révolutionné et remodelé l’Europe en profondeur. Il s’est élevé pour combler le vide du pouvoir en France après les années chaotiques de la Révolution française et l’exécution du monarque français.
Homme à l’ambition démesurée, au génie brutal sur le champ de bataille et à l’énergie infatigable, Napoléon a entrepris de créer un empire français éclairé qui diffuserait les idéaux de la Révolution. Pendant un certain temps, il y est parvenu.
À son apogée, l’empire de Napoléon englobait la majeure partie de l’Europe. Il régnait en tant qu’empereur sur plus de 70 millions de personnes. Dans ses domaines, il a promulgué de vastes réformes politiques, juridiques, militaires et sociales. Il a notamment remanié le droit civil (connu sous le nom de code Napoléon), amélioré les administrations financières, créé une banque nationale, réorganisé le système éducatif, réorganisé l’armée et mis en œuvre des travaux publics tels que le pavage des rues et l’assainissement. L’influence de Napoléon sur l’histoire est presque incalculable.
Mais nul n’est invincible, quelle que soit la longue série de victoires remportées par Napoléon au cours de sa carrière militaire. Face aux forces insoumises de l’Europe, notamment la Grande-Bretagne et la Prusse, il a subi une défaite cataclysmique à Waterloo en juin 1815. C’est l’une des rares défaites subies par Napoléon, mais elle s’est avérée décisive. Il abdique peu de temps après.
Il s’est rendu aux Britanniques, qui l’ont envoyé dans l’endroit le plus abandonné et le plus isolé qu’ils aient pu imaginer : Sainte-Hélène, dans l’océan Atlantique sud. Cette décision est compréhensible, car Napoléon avait déjà échappé à l’exil une fois, lorsqu’il avait été banni sur l’île d’Elbe après avoir perdu la bataille de Leipzig en 1813.
Sur l’île
Le gouverneur britannique de Sainte-Hélène, Hudson Lowe, est déterminé à empêcher la répétition de ce cauchemar. Il limite les mouvements de Napoléon, surveille ses communications et envoie fréquemment des officiers britanniques pour prendre des nouvelles du prisonnier. Napoléon réagit en créant des chemins creux dans son jardin pour se cacher de la vue des officiers et en taillant de petits judas dans les volets de sa maison pour espionner sans être vu.
La maison qui arbore ces volets est un triste contraste avec les palais que Napoléon a possédés par le passé. Longwood House, comme on l’appelait, était délabrée lorsqu’il en a hérité. La structure humide et rongée par la moisissure a abrité Napoléon et les 28 compagnons qui l’ont suivi en exil, dont le comte de Las Cases, qui a décrit leur maison comme « un misérable taudis de quelques mètres carrés ».
Un autre compagnon, le comte de Montholon, a écrit à propos de l’île : « La vallée de Jamestown ressemblait à une entrée des régions infernales… on ne voyait que des rangées de canons et des falaises noires, construites comme par la main d’un démon pour relier les pics rocheux. » Si Sainte-Hélène ressemble à l’enfer, les démons sont les rats qui infestent l’île.
Pourtant, le climat était tempéré et sain, et l’île n’était pas dépourvue de beauté. Napoléon a ajouté à sa beauté en concevant et en plantant des jardins élaborés. Outre le jardinage, il dicte ses mémoires, écrit un livre sur Jules César, étudie l’anglais, lit les classiques et joue aux cartes. Il a maintenu les apparences impériales en exigeant que les hommes se présentent au dîner en tenue militaire, et les femmes en robe de soirée et avec des bijoux.
Pourtant, les restrictions, la solitude et l’inactivité de l’île ont dû profondément agacer Napoléon, dont l’esprit sans limites était toujours en ébullition. Lui qui avait régné sur des nations ne régnait plus que sur un minuscule domaine délabré. Celui dont les yeux avaient balayé les vastes champs de bataille d’Europe, enveloppés de fumée, ne voyait plus que des falaises escarpées et des sommets de collines arides. Au-delà, il n’y avait que des kilomètres et des kilomètres d’océan. Partout, il était confiné. Il aurait pu explorer davantage l’île, mais il refusa fièrement de le faire parce qu’il aurait été accompagné en permanence par un officier britannique.
C’est peut-être le manque d’exercice et les mauvaises conditions de vie de Napoléon qui l’ont rendu malade. Peut-être était-ce la pression psychologique de la captivité. Ou peut-être est-ce le fait que sa femme, Marie-Louise, n’avait envoyé aucune nouvelle. Il n’avait pas non plus de nouvelles de son fils. Quelle qu’en soit la cause, sa santé a commencé à se détériorer à la fin de l’année 1817. Il souffre d’une maladie de l’estomac, peut-être un ulcère ou un cancer. En mars 1821, il est cloué au lit. Il sait qu’il va mourir.
Un changement de cœur
Comme c’est souvent le cas lorsque les hommes sont confrontés à l’imminence du passage à une autre vie, Napoléon commence à réfléchir aux réalités éternelles. Il se rend compte que même lui n’est pas au-dessus de certaines lois immuables de l’univers, y compris le sort mortel de l’humanité.
Lorsqu’un jeune médecin se moque de la spiritualité croissante de Napoléon, il lui répond : « Jeune homme ! Vous êtes peut-être trop intelligent pour croire en Dieu ; je ne suis pas si avancé que cela. Tous ne peuvent pas être athées. » Le sentiment s’approfondit avec le temps et Napoléon finit par vouloir se réconcilier avec l’Église de son enfance, le catholicisme romain.
Ce fait est remarquable, non seulement parce que Napoléon a vécu une vie aux mœurs légères, qu’il a causé directement ou indirectement la mort de milliers, voire de millions de personnes, et qu’il a longtemps été personellement indifférent à la religion, mais aussi parce qu’il a mené une bataille politique peu glorieuse contre l’Église catholique.
Napoléon a reconnu l’importance de l’Église catholique en tant que force dans la société et la culture françaises et avait initialement cherché à en faire une alliée par le biais du Concordat de 1801. Mais les relations entre Napoléon et l’Église, en particulier son chef, le pape Pie VII, s’étaient détériorées au fil des ans. Elles atteignent leur paroxysme lorsque Napoléon annexe des territoires pontificaux, ce qui lui vaut d’être excommunié par le pape Pie VII. En représailles, Napoléon a enlevé le pape et l’a détenu pendant six ans, jusqu’à ce qu’il soit sauvé par des hussards.
Désormais, sur l’avant-poste stérile de Sainte-Hélène, alors que sa vie lui échappe comme la marée, Napoléon écrit dans son testament : « Je meurs au sein de l’Église apostolique et romaine » et demande à être enterré selon les rites catholiques.
Le vieil ennemi de Napoléon, le pape Pie VII, a entendu parler du souhait de Napoléon de se réconcilier avec l’Église. Il déclare à l’un de ses cardinaux : « Ce serait une joie sans pareille pour mon cœur si je pouvais contribuer à alléger les souffrances de Napoléon. Il ne peut plus être dangereux pour personne. Je ne peux que souhaiter qu’il ne cause de remords à personne. »
C’est dans cette optique qu’il envoie un prêtre, l’abbé Vignali, sur l’île de Napoléon, au milieu de la mer infinie. En avril 1821, l’abbé Vignali se présente à Napoléon, qui lui dit : « Je suis né dans la religion catholique. Je veux remplir les devoirs qu’elle impose et recevoir les secours qu’elle administre. » Il parle favorablement de Pie VII et déplore leur brouille.
Le 29 avril, dans la maison battue par les vents au bout du monde, Napoléon se confesse à Vignali et reçoit l’absolution. John Abbot écrit dans Napoleon at St. Helena que le comte Montholon a été « frappé par l’expression calme et paisible du visage de l’Empereur » après sa confession.
Un petit autel en bois est également installé dans la chambre voisine de celle de Napoléon et la messe y est célébrée. Enfin, le soir du 5 mai, alors qu’une tempête tropicale s’abat sur les affleurements de l’île et les murs de Longwood, les partisans de Napoléon offrent les prières pour le mourant devant le petit autel. Ce faisant, Napoléon s’éteint silencieusement. Sa suite recouvre le corps d’une cape qu’il avait portée au combat. Ils placent son épée à côté du corps et un crucifix sur sa poitrine.
Le grand conquérant a été conquis.
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