EUROPE

Les juges anglais incités à prendre en considération le « milieu défavorisé » des criminels

Le Conseil de détermination des peines a publié de nouvelles lignes directrices qui encouragent les juges à adapter leurs décisions si les criminels ont souffert de "pauvreté" ou de "logement précaire"
avril 8, 2024 19:30, Last Updated: avril 9, 2024 5:07
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En Angleterre et aux Pays de Galles, les juges devront prendre en compte l’environnement familial « difficile » ou « défavorisé » du criminel avant de se prononcer sur une condamnation, à la suite d’une recommandation du Sentencing Council.

En 2021, le Sentencing Council (Conseil de détermination des peines) a chargé l’Université du Hertfordshire (UH) de mener des recherches sur l’égalité et la diversité dans le système de justice pénale.

L’une des recommandations du rapport de l’UH, publié l’année dernière, était que les juges devraient « considérer la prise en compte des ‘milieux difficiles/défavorisés’, ‘au travail ou en formation’ et la  ‘perte d’emploi ou de réputation’  » lorsqu’ils condamnent des personnes pour  vol ou cambriolage.

Le Sentencing Council propose de nouvelles lignes directrices pour tous les délits, qui stipulent que « les tribunaux doivent tenir compte du fait que différents groupes au sein du système de justice pénale ont été confrontés à de multiples désavantages qui peuvent avoir une incidence sur leur délinquance ».

Ces « désavantages » comprennent :

– Expérience précoce de perte, de négligence ou d’abus

– Expérience de la discrimination

– Influence négative des pairs

– Expérience d’avoir été un enfant pris en charge (placé)

– Faible niveau d’éducation

– Pauvreté

– Logement précaire ou mal-logement

– Difficultés liées à l’abus de drogues et/ou d’alcool

Environ deux tiers des acteurs concernés par le système pénal ont globalement exprimés leur soutien à ces directives.

D’autres personnes ou groupes ont émis de « fortes objections », notamment en ce qui concerne la référence à la définition de la pauvreté et du mal-logement.

Selon la Fondation Restore Justice : « de nombreuses personnes ont traversé l’une ou l’autre ou l’ensemble des situations susmentionnées et/ou de nombreuses autres circonstances défavorables et désavantages, mais ces désavantages perçus ne devraient jamais être considérés comme une raison de commettre un délit ou comme une prédisposition à commettre un délit, ni être considérés (…) comme des facteurs atténuants ».

Et d’ajouter : « Ce serait en soi une attitude partiale et préjudiciable. De nombreuses personnes n’ont pas suivi la voie de la criminalité mais ont connu des circonstances difficiles ou ont été confrontées à de multiples désavantages à un moment donné de leur vie ou tout au long de leur vie et ont surmonté ces difficultés et ces désavantages tout en étant de bons citoyens respectueux de la loi. Alors pourquoi ces désavantages devraient-ils définir un délinquant ? »

Les Blue Collar Conservatives (les ouvriers / cols bleus conservateurs), groupe fondé par Esther McVey, députée conservatrice et ministre, avancent pour leur part les arguments suivants : « Nous pensons qu’il s’agit là d’une attitude extrêmement condescendante de la part des autorités : notamment pour les communautés ouvrières respectueuses des lois. Souvent, ce sont ceux qui viennent des communautés les plus pauvres qui seront victimes de ces crimes. »

« Le faible niveau de scolarité et la pauvreté ne sont pas des excuses »

Selon les Blue Collar Conservatives, « le faible niveau de scolarité et la pauvreté ne sont pas des excuses pour commettre des crimes».

Le groupe renchérit : « D’autres exemples sont très subjectifs, par exemple, citer l’expérience de la discrimination pourrait, d’une part, s’appliquer à tout le monde d’une manière ou d’une autre. Si cela n’est pas censé s’appliquer à tout le monde, comment un juge pourrait-il vraiment savoir si une personne a été victime de discrimination, déterminer pourquoi et dans quelle mesure cela devrait avoir une incidence sur sa peine ? »

Le député conservateur Philip Davies conteste : « Je ne suis pas d’accord pour dire que le fait d’avoir un passé difficile ou défavorisé vous rend moins coupable d’avoir commis un délit, tel qu’un vol, avec toute la violence que cela implique et la peur causée à la victime. Cependant, j’ai encore plus de mal à comprendre pourquoi cette atténuation est suggérée pour toutes les infractions. »

L’association des avocats spécialisés en droit pénal (Criminal Law Solicitors’ Association) admet quant à elle : « Il est forcément juste que toutes les circonstances pertinentes pour l’auteur de l’infraction soient prises en compte. Bien que la pauvreté et le dénuement social n’augmentent pas d’eux-mêmes le comportement criminel, l’impact sur le défendeur ne doit pas être négligé. »

La commission de la justice de la Chambre des Communes fait valoir : « Ces facteurs sont déjà pris en compte par les tribunaux ».

Pourtant elle ajoute : « Nous soutenons l’inclusion des nouvelles circonstances atténuantes et reconnaissons qu’elles favoriseront la cohérence des peines et contribueront à les rendre plus transparentes pour le public ».

Le Prison Reform Trust conteste une référence dans les directives à « l’intoxication volontaire » et en déduit que « cela suggère que les gens ont un pouvoir sur leur dépendance ».

Dans sa réponse, Alex Chalk, Lord Chancelier et secrétaire d’État à la Justice, précise : « En ce qui concerne le facteur « difficultés et/ou privations », le gouvernement est clair sur le fait que de nombreux exemples de difficultés ou de privations présentés dans la consultation, tels que le faible niveau d’éducation et la pauvreté, ne doivent pas être considérés comme des excuses pour commettre des délits. »

Le ministre de la justice : les lignes directrices sont « condescendantes » et « inexactes »

« Présupposer qu’un revenu relativement faible par exemple (ou même d’autres privations) indique une propension à commettre des délits risque de paraître au mieux condescendant, au pire inexact », ajoute-t-il.

Alex Chalk fait remarquer que « de plus, de nombreux citoyens, y compris sans doute des juges et des députés, auront rencontré des jeunes gens issus de milieux éducatifs ou financiers modestes qui ont fait preuve d’une intégrité scrupuleuse et d’un engagement à mener une vie respectueuse de la loi ».

« Cela dit, je tiens à souligner que je suis favorable à ce que la garde à vue ne soit utilisée qu’en dernier recours », poursuit-il.

Après avoir examiné toutes les réponses, le Sentencing Council a « décidé d’apporter quelques modifications à la formulation » et « d’ajouter les nouveaux éléments et leurs explications détaillées à toutes les lignes directrices spécifiques aux infractions pour les délinquants adultes ».

Un porte-parole du ministère de la Justice a déclaré au Telegraph : « Les décisions de condamnation sont prises par des juges indépendants qui tiennent déjà compte des circonstances de chaque cas conformément aux lignes directrices établies par le Conseil de détermination de la peine.

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