Il y a deux mille ans, un éminent historien romain a inventé l’aphorisme populaire « Mieux vaut tard que jamais ». Il s’appelait Titus Livius, dit « Le Padouan ». Fidèle à cet aphorisme, il a écrit beaucoup de choses qui méritent aujourd’hui une attention tardive.
La vie du Padouan (de 59 av. J.-C. à 17 ap. J.-C. environ) s’étend sur la période la plus importante de l’histoire millénaire de la Rome antique. Il a été témoin des dernières décennies de l’ancienne République qui s’effondrait et de la montée en puissance de l’autocratie impériale que nous connaissons sous le nom d’Empire romain. Il avait une vingtaine d’années lorsque le dernier grand défenseur de l’héritage républicain, Cicéron, a été assassiné par un sbire du tyran Marc Antony. Le Padouan a observé la totalité du règne du premier empereur, Augustus. Il est surtout connu pour son histoire de Rome, Ab Urbe Condita, décrite à son époque et à la nôtre par des termes tels que « monumental » et « magistral ».
Le peu que nous savons de l’homme lui-même suggère qu’il était en quelque sorte financièrement à l’aise, indépendant et solitaire. Il a reçu une formation en rhétorique, en philosophie et en histoire. Il n’a jamais occupé de poste public, bien qu’apparemment, il ait personnellement connu Augustus. La rédaction de son imposante histoire de Rome a absorbé toute sa vie d’adulte.
Bien que les Romains de l’époque aient tenu son œuvre en haute estime, nous savons que certaines parties des récits historiques du Padouan étaient sûrement basées sur des documents infimes, des histoires orales anciennes et douteuses, voire des légendes. Après tout, il a écrit il y a 2 000 ans sur des personnes et des événements qui se sont déroulés jusqu’à huit siècles avant son époque.
« J’espère que ma passion pour le passé de Rome n’a pas altéré mon jugement », opine-t-il dans son introduction à Ab Urbe Condita, « car je crois honnêtement qu’aucun pays n’a jamais été plus remarquable ou plus pur que le nôtre, ni plus riche en bons citoyens et en nobles actions. »
« Les vieux Romains », écrit le Padouan à propos de ses compatriotes avant le début de la République, « souhaitaient tous avoir un roi sur eux, car ils n’avaient pas encore goûté à la douceur de la liberté. » Mais en 508 avant J.-C., les Romains ont organisé une véritable révolution historique, tant au niveau des idées que de la gouvernance. Ils ont renversé la monarchie et établi un nouvel ordre qui comprenait un Sénat de nobles, des assemblées élues par le peuple, la dispersion du pouvoir centralisé, la limitation des mandats, une constitution, une procédure régulière, l’habeas corpus*, ainsi que le plus large éventail de pratiques favorisant la liberté individuelle que le monde ait jamais vu. Avant de tout perdre moins de cinq siècles plus tard, ils ont connu une ascension et une chute remarquables. Les lecteurs trouveront de nombreux articles sur Rome sur FEE.org/rome.
* : habeas corpus : notion juridique qui énonce la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement, contrairement à arrêter n’importe qui sans raison valable.
Le Padouan nous raconte les guerres cruciales de Rome contre les Carthaginois, les Samnites et d’autres peuples de la péninsule italienne. Il nous informe également de la rivalité entre Sulla et Marius, des derniers jours tumultueux de la République où des hommes forts s’affrontaient pour le pouvoir, du meurtre de Jules César et des machinations intéressées d’Augustus. Le Padouan a célébré le courage de ses ancêtres ; en fait, il est à l’origine de l’expression « La fortune favorise les braves », qui est encore couramment utilisée aujourd’hui comme maxime et comme devise.
Le Padouan pensait que la valeur de l’histoire était supérieure à la connaissance des noms, des lieux et des dates, comme l’indique ce passage :
« L’étude du passé apporte un avantage exceptionnellement bénéfique et fructueux ; il permet de voir, placés dans la claire lumière de la vérité historique, des exemples de tous les styles possibles. Vous pouvez ainsi choisir, pour vous-même et pour votre pays, ce qu’il faut imiter et, dans les cas de ce qui est malveillant à l’origine et désastreux dans ses effets, ce qu’il faut éviter. »
Son interprétation des événements historiques suggère qu’il possédait une admirable compréhension de la nature humaine. Considérez ces remarques :
« Il n’y a rien que l’homme ne tentera pas lorsque de grandes entreprises offrent la promesse de grandes récompenses. »
« Aura la vraie gloire celui qui la méprise. »
« Les hommes ne sont que trop habiles pour déplacer le blâme de leurs propres épaules vers celles des autres. »
« Les hommes sont plus lents à reconnaître les bénédictions que les malheurs. »
« L’État souffre de deux vices opposés, l’avarice et le luxe ; deux fléaux qui, dans le passé, ont été la ruine de tous les grands empires. »
« Il n’y a rien qui soit plus souvent revêtu d’un habit attrayant qu’une fausse croyance. »
« Les choses réussissent mieux à ceux qui tirent le meilleur parti de la façon dont elles se déroulent. »
La tendance des gens à envier ceux qui possèdent la richesse, qu’elle soit mal acquise ou bien méritée, n’est pas nouvelle dans l’histoire. Des siècles avant le Padouan, le 10e commandement reçu par Moïse avertissait : « Tu ne convoiteras point. » Le Padouan a noté combien le motif de l’envie peut être destructeur :
« La vraie modération dans la défense des libertés politiques est en effet une chose difficile : en prétendant vouloir des parts équitables pour tous, chacun s’élève en abaissant son voisin ; notre souci d’éviter l’oppression nous conduit à la pratiquer nous-mêmes ; l’injustice que nous repoussons, nous la faisons subir à notre tour aux autres, comme s’il n’y avait d’autre choix que de la faire ou de la subir. »
Peut-être en partie parce qu’il a observé l’impact corrosif de l’envie, le Padouan a exprimé son scepticisme à l’égard, faute d’un meilleur terme, du grand public :
« Telle est la nature des foules : soit elles se rabaissent et sont serviles, soit elles sont arrogantes et dominatrices. Elles sont incapables de faire un usage modéré de la liberté, qui est le juste milieu, ou de la conserver. »
Dans mes propres écrits d’historien, mais aussi d’économiste, j’ai souvent noté le lien puissant entre le caractère personnel et le destin des nations. Le Padouan en fournit une certaine confirmation dans ce passage :
« Les sujets auxquels je demande à chacun de mes lecteurs de consacrer son attention sérieuse sont les suivants : la vie et les mœurs de la communauté ; les hommes et les qualités par lesquelles, par la politique intérieure et la guerre étrangère, la domination a été gagnée et étendue. Puis, à mesure que le niveau de moralité s’abaisse, qu’il suive la décadence du caractère national, en observant comment il s’enfonce d’abord lentement, puis glisse vers le bas de plus en plus rapidement, et enfin commence à plonger dans la ruine, jusqu’à ce qu’il arrive à ces jours où nous ne pouvons supporter ni nos maladies ni leurs remèdes. »
Lorsque nous réfléchissons à notre propre avenir, il est indispensable de connaître un peu le passé. Les expériences de ceux qui nous ont précédés, surtout lorsqu’elles sont comprises dans le contexte de leur époque, sont pleines de leçons que nous ignorons à nos risques et périls. Si apprendre ces leçons nous met sur une meilleure voie, apprenons-les maintenant. Comme le dirait le Padouan : « Mieux vaut tard que jamais ! »
Lawrence W. Reed est le président émérite de la FEE (Foundation for Economic Education), membre senior de la famille Humphreys et ambassadeur mondial de la liberté Ron Manners, ayant servi pendant près de 11 ans comme président de la FEE (2008-2019). Il est l’auteur du livre Was Jesus a Socialist?, publié en 2020, ainsi que de Real Heroes : Incredible True Stories of Courage, Character, and Conviction et Excuse Me, Professor: Challenging the Myths of Progressivism.
Cet article a été publié originalement sur FEE.org
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