Régulièrement interpellés par des concitoyens inquiets pour leur sécurité, les maires de France, réunis à Paris, sonnent l’alarme sur l’irruption de produits stupéfiants, notamment de cocaïne, dans les territoires ruraux comme urbains.
Avec quelque 3000 points de deal, 240.000 personnes qui en vivent et un chiffre d’affaires estimé entre 3,5 et 6 milliards d’euros, la drogue serait une jolie entreprise si elle ne tuait pas, y compris des adolescents de 14 ans, et ne ruinait pas la santé de ses consommateurs.
Au point que pour la première fois, le Congrès des maires de France s’est emparé de la question cette semaine. « J’avais tiré la sonnette d’alarme il y a trois ans en allant dans des départements ruraux que j’avais bien connus quand j’étais jeune, où je voyais manifestement des points de deal dans les centres-bourgs, des zones parfois de production, et des relais de distribution », a témoigné David Lisnard, président de l’Association des maires de France.
Le maire LR de Cannes raconte également comment sa ville s’est transformée sous l’effet du narcotrafic, avec la multiplication d’établissements de blanchiment : d’abord « des kebabs qui n’ont jamais un client mais déclarent de gros chiffres d’affaires, puis des pizzerias et maintenant des barbiers ».
Même cause, même effets à Morlaix, ville de 15.000 habitants dans le Finistère confrontée depuis quelques années à une « très forte augmentation du volume du narcotrafic », selon son maire Jean-Paul Vermot (PS), avec son lot de crimes violents comme l’assassinat à coups de couteau d’un jeune homme de 18 ans en 2021 dans la station balnéaire voisine de Carantec.
« On voit dans la rue une violence beaucoup plus accrue, notamment avec la consommation de cocaïne et de substances comme la MDMA ou le crack », poursuit l’élu, alors qu’avant « on devait plutôt faire face à un endormissement avec le haschich ».
Une situation inquiétante
La situation est aussi inquiétante dans les communes d’outre-mer. José Mirande, maire du Marin (Martinique), décrit ainsi l’« énorme augmentation de la criminalité. Il y a eu 23 meurtres l’an dernier, 24 cette année déjà, avec une situation sociale, 25% de chômeurs, qui amplifie le phénomène de mule ».
Selon la gendarmerie nationale, 75% des saisies de cocaïne en 2024 ont été effectuées soit aux Antilles-Guyane soit sur le territoire national en provenance des Antilles-Guyane.
Le directeur général de la police nationale a annoncé mercredi que près de 45 tonnes de cocaïne ont déjà été saisies par les services français en 2024, soit le double des saisies de 2023. « En zone gendarmerie, il est quand même plus facile de trouver un dealer que de trouver un docteur », a reconnu le colonel de gendarmerie François Devigny.
L’estimation des ventes, jusqu’à 6 milliards d’euros, n’est pas très loin « du budget du ministère de la Justice, qui est de 7,5 milliards », souligne le sénateur Étienne Blanc (LR, Rhône), auteur d’une proposition de loi visant à recalibrer l’Office antistupéfiants (Ofast) en une véritable « DEA à la française », du nom de l’agence américaine de lutte contre la drogue, et à créer un parquet national anti-stupéfiants (Pnast).
Vers une « mexicanisation »
Selon le sénateur (PS, Saône-et-Loire) Jérôme Durain « il y a une extension territoriale du problème, c’est la France des sous-préfectures, la France des villages et non plus seulement les grandes métropoles qui sont touchées ». « On n’est pas encore dans un narco-État, une “mexicanisation”, mais il y a une pente glissante », déplore-t-il.
Avec à la clé, règlements de comptes, meurtres, trafic d’armes, etc. « Les petites villes ne sont pas à l’abri avec de nouvelles formes de vente, une ubérisation (…), 30 à 40% des consommateurs se faisant livrer leur cocaïne à domicile », a rappelé François Devigny.
Face à cela, la captation des avoirs criminels ne représente qu’un pourcentage epsilonesque. « Le crime paie, le bien mal acquis profite presque toujours, donc il faut avoir une stratégie différente et travailler sur le narcoblanchiment pour détecter les capitaux illicites, le recyclage de l’argent sale et rechercher les investissements en France et à l’étranger », souligne-t-il.
Pour le maire de Morlaix, on ne résoudra pas cette question d’ordre public « si on ne traite pas profondément la question de la santé publique », notamment par des actions de prévention avec la jeunesse.
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