Safeguard Defenders est une ONG de défense des droits de l’homme basée à Madrid. Fin septembre Safeguard Defenders a publié un rapport bien documenté intitulé 110 outre-mer : la police transnationale chinoise devenue sauvage. Le rapport explique en détail comment le régime chinois a mis en place des cellules de police transnationale dans les grandes villes des pays démocratiques pour contraindre les immigrés chinois considérés comme des criminels à revenir sur le continent afin d’y être traduits en justice. Parmi les personnes visées, les plus importantes, mais pas nécessairement les plus nombreuses, sont les dissidents politiques et ethniques.
Selon le rapport, pour obtenir le retour d’une personne ciblée en Chine, les autorités utilisent un des trois moyens de coercition suivants :
– harceler ou punir ses proches en Chine ;
– harceler ou menacer directement la personne en ligne ou par l’intermédiaire d’agents infiltrés ;
– procéder à un enlèvement sur le sol étranger.
Beaucoup de gens se souviennent de l’enlèvement de Gui Minhai orchestré par Xi Jinping en 2015. M. Gui, écrivain-éditeur et citoyen suédois d’origine chinoise, a été kidnappé en Thaïlande et ramené en Chine aux côtés de ses collaborateurs travaillant pour sa maison d’édition à Hong Kong. C’est ainsi qu’ils ont été contraints de retourner « volontairement » en Chine pour y être jugés.
La police transnationale chinoise n’est pas une nouveauté, et son rôle dépasse souvent le simple « maintien de l’ordre ». Le rapport nous explique que le régime communiste chinois est « devenu sauvage ».
Cette police transnationale n’est pas une invention de Xi Jinping ni même du PCC. Elle a une longue, très longue histoire en Chine. Comprendre cela peut donner aux Chinois vivant à l’étranger une meilleure compréhension de ce à quoi ils sont confrontés. Cela peut les aider dans l’élaboration d’une stratégie appropriée et à long terme face au problème.
Il est essentiel de connaître le rôle joué par ces truands blanchis et rémunérés. Beaucoup appartiennent à des sociétés secrètes chinoises de types mafieuses qui existent depuis plusieurs siècles et ont toujours été très actives, tant en Chine qu’au sein de la diaspora chinoise. Ce point a été analysé par le professeur Lynette Ong, spécialiste de la Chine, de l’Université de Toronto, dans son étude de 2018 intitulée Les truands et l’externalisation de la répression menée par l’État chinois.
Examinons donc quatre incidents au cours de l’histoire de Chine, tous politiques, tous liés aux sociétés secrètes mafieuses d’une manière ou d’une autre, en allant du plus récent au plus ancien.
L’assassinat de l’écrivain Liu Yiliang en 1984
Liu Yiliang (alias Jiang Nan) était sur la liste noire du Kuomintang à Taïwan pour avoir écrit des livres dénigrant la famille Tchang Kaï-chek. Son assassinat a été planifié par les services de renseignement du gouvernement. Il a été exécuté chez lui aux États-Unis par trois sbires de l’Alliance du Bambou, un syndicat du crime taiwanais qui entretenait des liens étroits avec le Kuomintang. Un des assassins a lui-même été tué plus tard par des gangsters chinois détenus comme lui dans une prison en Pennsylvanie. Les deux autres meurtriers ont été condamnés à perpétuité à Taïwan. Cependant, ils n’ont purgé que six ans et ont ensuite été libérés sur parole par le Kuomintang.
L’assassinat de Chen Hanbo à Hong Kong en 1952
Chen Hanbo était un ancien espion du PCC qui a fait défection après 1949 pour s’installer à Hong Kong où il a écrit des livres révélant les opérations d’espionnage du PCC. Un agent, envoyé de Chine et aidé par les mafieux locaux, a tué l’ancien espion d’une balle unique en plein cœur.
D’autres incidents se sont produits à Hong Kong et dans les quartiers chinois d’autres pays. Par exemple, en 1984, dans le quartier chinois de New York, une statue de Confucius, construite grâce à des dons de sources pro-Taïwan, a failli être démolie par des truands chinois engagés par le PCC, le jour même de son inauguration. Pékin a continué à mépriser Confucius jusqu’à ce que, dans les années 2000, l’ancien sage devienne un outil d’infiltration culturelle, sous la forme des tristement célèbres instituts Confucius.
L’enlèvement de Sun Yat-sen à Londres en 1896
Sun Yat-sen a connu l’exil au Japon, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En octobre 1896, trois Chinois l’ont abordé dans la rue et l’ont emmené de force dans les bureaux de l’ambassade chinoise à Londres. Il aurait probablement été tué, comme d’autres révolutionnaires capturés à l’époque, si la nouvelle de son enlèvement n’avait pas attiré l’attention des médias britanniques. Par ailleurs, Sun Yat-sen lui-même était affilié à une société secrète de type mafieuse, la Triade, aussi nommée Hongmen. C’était d’ailleurs le cas de la plupart de ses camarades révolutionnaires. Sun Yat-sen était un des meneurs dans les tentatives de renversement de la dynastie Qing. En Chine, depuis la dynastie Han (202 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), il était impossible de gagner une rébellion armée sans faire appel aux sociétés secrètes.
La police transnationale chinoise la plus impitoyable a été mise en place par le troisième empereur de la dynastie Ming, Chengzu, qui a régné de 1402 à 1424. L’empereur Chengzu a envoyé le célèbre eunuque Zheng He à la tête d’une armada pour explorer les eaux de l’Asie du Sud-Est et l’océan Indien au cours de sept voyages, prétendument à la recherche de trésors et d’opportunités commerciales. Cependant, de nombreux historiens affirment que le véritable objectif était de retrouver et de tuer le neveu de Chengzu.
Nous constatons donc qu’historiquement, la police transnationale chinoise n’est en aucun cas un phénomène isolé et elle est intimement liée aux sociétés secrètes. Ces sociétés secrètes ont soit été mises en place par un régime collaborant avec des malfrats, soit elles ont toujours été constituées de seuls truands. Les sociétés secrètes chinoises sont très agiles et mobiles, et elles portent différents noms au fil des siècles, s’intégrant, se désintégrant et se regroupant. Elles peuvent rester en sommeil ou opérer de manière discrète pendant les périodes fastes et refaire surface lorsque les temps sont difficiles. Parallèlement à l’émigration des Chinois, qui s’est accélérée sous la dynastie Ming, ces sociétés secrètes ont pris racine dans le monde occidental et peuvent désormais fournir au PCC des sbires à la demande.
Cette longue tradition de surveillance transnationale par les régimes chinois s’explique partiellement par le fait que la Chine n’a jamais eu le concept d’une frontière nationale stricte et définitive, contrairement aux pays occidentaux après la paix de Westphalie de 1648. En théorie, les empereurs chinois régnaient sur l’ensemble du domaine connu « sous le ciel », c’est-à-dire aussi loin que ces dirigeants pouvaient projeter leur pouvoir et leur influence. Au cours des derniers siècles, les dirigeants les plus forts et les moins scrupuleux de la Chine ont cherché à étendre ce domaine par le biais de la diaspora chinoise, dont ils considèrent injustement les membres comme une extension naturelle de leur peuple soumis, et dans laquelle ils trouvent aussi des truands dont il peuvent tirer parti.
Parmi les ultra-nationalistes chinois d’aujourd’hui, un slogan est particulièrement populaire : « Ceux qui osent offenser notre Chine, nous les tuerons, quelle que soit la distance à parcourir ! » Cette réplique est une adaptation d’une phrase presque identique contenue dans une anecdote consignée dans les Archives du Grand Historien, dans laquelle un général de l’ethnie Han vient de tuer 1518 barbares lors d’une conquête du Nord-Ouest et expose leurs têtes coupées « pour que les gens les voient à dix mille li de distance… pendant dix jours ». Certes, le PCC n’en est pas encore là. Il essaie seulement de piéger une partie de son propre peuple en utilisant sa police transnationale, mais sa rhétorique est tout aussi acérée.
Le rapport de Safeguard Defenders parle de « stations » de police transnationale. Ce terme est loin de rendre avec précision ce dont il est question. En chinois, les locaux physiques d’une section locale d’une société secrète sont le lieu où se déroulent les événements importants à huis clos et où se déroulent les tâches disciplinaires telles que la torture d’un membre ayant enfreint les règles. Il s’agit souvent d’une maison ou d’un magasin d’apparence normale. Chacune des « stations » mentionnées dans le rapport Safeguard Defenders est en réalité un croisement entre une sorte de poste de police à l’étranger et un tangkou (cellule mafieuse). La plupart des individus qui s’y trouvent sont probablement des membres locaux des sociétés secrètes chinoises, travaillant sous la supervision d’un agent de sécurité chinois infiltré et de son équipe venue de Chine.
Comme l’a souligné le Pr Ong, confier les actes de répression de l’État à des mafieux peut s’avérer efficace, en particulier lorsque ces actes doivent être exécutés par l’intermédiaire de ces « tangkou policiers » à l’étranger. Les gangsters d’outre-mer connaissent mieux la situation locale et peuvent exercer efficacement leurs activités tout en évitant la surveillance des gouvernements locaux. En outre, lorsque certains de ces actes illégaux sont découverts et rapportés dans les médias, ils ne provoquent pas de crise diplomatique pour la Chine, car ils ont été commis par des ressortissants du pays.
Le rapport de Safeguard Defenders note avec intérêt que tous les tangkou chinois connus se trouvent dans des pays développés. La Chine n’a aucun mal à obtenir des pays en voie de développement qu’ils signent des accords autorisant des postes de police à opérer légalement sur leur territoire, de sorte qu’elle n’a pas besoin de recourir aux tangkou plus clandestins. Des sources gouvernementales chinoises ont ouvertement admis qu’elles pouvaient sans trop de difficultés récupérer leurs cibles dans des endroits comme le Vanuatu et même la Nouvelle-Calédonie. Depuis mai 2016, l’Italie est le seul pays développé à autoriser la collaboration de la police chinoise avec la police italienne pour surveiller les communautés chinoises. En Italie, les policiers chinois portent leur uniforme chinois.
Bien trop nombreux sont les Occidentaux estimant que les vents mauvais soufflant de la Chine sont dus à Xi Jinping. Ils croient donc qu’une fois Xi Jinping parti, une fois qu’un « réformateur » prendra le pouvoir, tout redeviendra normal. C’est le cas par exemple de Stephen Roach de l’université de Yale, ancien économiste principal de Morgan Stanley et longtemps partisan du PCC. Ce dernier s’est récemment reproché d’avoir découvert trop tard que les mauvaises politiques de Xi Jinping avaient fait chuter le taux de croissance du PIB chinois et rendu difficile pour Wall Street de faire des affaires avec la Chine. En réalité, la plupart des infiltrations graves et dangereuses de la Chine communiste en Occident remontent bien avant le mandat de Xi Jinping. De nombreuses manœuvres invasives ont été initiées par Jiang Zemin, que Wall Street adulait – Xi Jinping n’a fait qu’empirer la situation.
Il suffit de se familiariser avec le contexte culturel et historique plus profond de la surveillance transnationale chinoise pour comprendre qu’elle n’a pas commencé avec Xi Jinping et ne s’arrêtera pas avec lui.
Le professeur Lian est né et a grandi à Hong Kong. Il a obtenu sa licence en mathématiques au Carleton College et son doctorat en économie à l’université du Minnesota. Il a publié de nombreux articles dans des revues universitaires et professionnelles.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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