Ils sont un chaînon vital pour l’alimentation des 103 millions d’Egyptiens et pourtant, ils sont forcés de vendre à perte: les petits exploitants agricoles, unique planche de salut du pays face à la guerre en Ukraine, se noient sous les dettes.
« L’agriculture est morte », se désespère Zakaria Aboueldahab dans ses champs de blé et d’oignons à Qalyoubia, à 30 km au nord du Caire.
« J’essaye de vendre ma récolte d’oignons mais je ne trouve pas de marché, je veux juste rentrer dans mes frais parce que je ne sais pas si je pourrai payer mon prochain loyer », affirme-t-il à l’AFP.
Il y a bien un marché pour les oignons en Egypte mais le financement, l’acheminement et les infrastructures agricoles ont changé. En conséquence, les petits exploitants ne s’y retrouvent plus.
La production alimentaire en Egypte
S’ils n’occupent que 35% de la surface agricole, les propriétaires fermiers de moins d’un hectare produisent près de la moitié des récoltes en Egypte, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
Ces petites fermes, concentrées dans le delta du Nil dans le nord, sont même les « principaux producteurs » de la consommation domestique car les grandes exploitations se concentrent sur l’exportation.
Selon le sociologue spécialiste de la ruralité Saker al-Nour, ils assurent quasiment à eux seuls la production alimentaire en Egypte.
Pour le pain par exemple, 60% du blé consommé en Egypte est importé, quasiment intégralement de Russie et d’Ukraine, deux marchés sévèrement affectés par la guerre. Mais pour le reste, il y a les petits producteurs locaux.
« Sans les 40% de blé produits localement », les conséquence de l’invasion russe de l’Ukraine « auraient été bien pires », affirme à l’AFP M. Nour.
Les récoltes locales « devoir national »
En mars, l’Egypte a décrété la livraison des récoltes locales « devoir national ». En juin, elles dépassaient 3,5 millions de tonnes, selon le ministère de l’Approvisionnement, soit plus de la moitié des objectifs de la saison –qui se finit en août– et l’équivalent de l’ensemble de la saison 2021.
Longtemps, sous le régime socialiste de Gamal Abdel Nasser, les livraisons obligatoires à l’Etat ont été un pilier de l’économie nationale.
Dans les années 1990, les réformes d’ajustement structurel de l’ouverture capitaliste les ont balayées. A chaque crise toutefois, l’Etat y revient.
« Mais sans les coups de pouce qui allaient avec », note M. Nour: finis les semis subventionnés, pesticides et autres engrais à prix cassés.
En plus, avec la flambée mondiale des cours des céréales après l’offensive russe en Ukraine, l’un des derniers cadeaux de l’Etat s’est envolé. Avant, ce dernier achetait au-dessus du marché pour inciter les exploitants à le préférer aux acheteurs privés mais, aujourd’hui, ces prix gonflés sont encore en-dessous des records historiques actuels.
« Je dois rembourser les vendeurs de pesticides, d’engrais et payer mes dettes, donc si un acheteur propose un prix bas, qu’est-ce que je peux faire? », se lamente M. Aboueldahab.
Les petits paysans ont besoin d’être « protégés »
Certains tentent de tirer leur épingle du jeu. A force de voir se multiplier les plans de poivrons chez ses voisins et les prix chuter, Mohamed Abdelmoez a ainsi décidé de passer à la culture du piment doux dans sa ferme d’al-Fachen, à 150 km au sud du Caire.
Si beaucoup aux alentours ont jeté l’éponge, lui a trouvé un partenaire inattendu: une startup qui propose une application pour « connecter les petits exploitants à l’écosystème », explique à l’AFP son patron Hussein Aboubakr.
Mozare3, le fermier en arabe, propose aux exploitants de connaître leur acheteur « avant même de commencer à labourer » et les prix de vente « pour les protéger », détaille M. Aboubakr.
« Les petits exploitants n’ont qu’un pouvoir de négociation très limité » et ont besoin d’être « protégés » car « ils n’ont pas de capacité de stockage », explique M. Nour.
32% des exploitants agricoles analphabètes selon la FAO
Si avant les coopératives étaient fonctionnelles, aujourd’hui Mozare3 est une alternative qui permet aux « petits exploitants de s’organiser et de former un bloc », renchérit M. Aboubakr.
Mais avec 32% des exploitants agricoles analphabètes selon la FAO, des associations villageoises non virtuelles seraient encore plus efficaces, prévient M. Nour.
Et avec le changement climatique dont l’effet se fait sentir chaque saison un peu plus, ces relais seront primordiaux.
Par exemple, assure l’expert, il faudrait un système capable d’informer en avance les fermiers dont les plants dépendent d’événements météorologiques majeurs.
Ces outils existent, dit-il. « Il faut maintenant qu’ils parviennent jusqu’aux petits exploitants ».
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