Les familles françaises de l’époque napoléonienne connaissaient des liens solides et durables. Leurs maisons n’étaient pas faites de briques et de mortier, mais d’attention et d’amour. C’est ce qui ressort des portraits talentueux du peintre français Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), et de ses esquisses de familles de la bourgeoisie française, florissantes et aimantes.
Parents et enfants
Dans nombre de ses dessins, Ingres exprime le lien fort qui unit des parents à leurs enfants par le biais des expressions personnelles qu’ils communiquent. Lorsqu’il se préparait à faire un croquis, Ingres observait attentivement le visage de chaque modèle. Il dit un jour : « Pour vraiment réussir un portrait, il faut d’abord s’imprégner du visage que l’on veut peindre, y réfléchir longuement, attentivement, de tous les côtés, et même y consacrer la première séance. »
Dans cette esquisse de Charles Hayard avec sa fille Marguerite, Ingres nous montre l’étreinte protectrice d’un père pour son enfant, et la petite fille en serrant son père contre elle place sa confiance d’enfant en lui. D’après le chapeau haut de forme posé sur la chaise, et placé à dessein dans la composition, on peut supposer que Charles vient de rentrer, ou qu’il est sur le point de partir, son pardessus n’ayant pas été enlevé. Sa fille le salue ou peut-être lui dit-elle au revoir. La pose est spontanée et informelle.
Une jeune famille
Dans son esquisse de la famille d’Alexandre Lethière, Alexandre prend une pose décontractée avec sa femme et sa petite fille. Comme dans un instantané qui rappelle le portrait de Charles Hayard et de sa fille, Alexandre porte toujours son pardessus, donnant l’impression qu’il est juste passé voir sa famille. Son expression bienveillante montre l’amour qu’il porte à sa famille. Son épouse a une expression pleine de satisfaction qui dénote le soin attentionné dont elle est l’objet.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une esquisse au crayon, la composition de l’artiste est superbe. Le bébé, dont le visage joyeux reflète un foyer heureux, est enlacé dans les bras de sa mère tandis que son père sert de figure protectrice. Ingres exerce une pression légèrement plus forte sur son crayon au moment de dessiner les visages et nous invite à les regarder plus attentivement.
Etant donné qu’un bébé a tendance à beaucoup bouger, le portrait de la famille Lethière a dû nécessiter un trait de crayon rapide, et pourtant les proportions et les traits du bébé ne manquent d’aucun réalisme.
Sanford Schwartz, critique d’art pour la New York Review of Books, note que les dessins d’Ingres donnent vie aux modèles. « Ingres rendait les modèles plus tangibles physiquement et plus présents psychologiquement qu’ils ne l’avaient peut-être jamais été dans la tradition du portrait. »
Dans le même article, l’historien Stephen Longstreet acquiesce : « Les gens sont réels. Ils respirent et existent solidement sur terre. »
En effet, Ingres savait capturer la personnalité profonde d’un modèle, et cette précision était le fruit d’une observation attentive. « Il parvient même à saisir la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes lorsqu’ils posent », avait noté Agnes Mongan, qui dirigeait le Fogg Art Museum de l’université Harvard, à Cambridge, dans le Massachusetts, selon ArtistsNetwork.
Un portrait composite
Le plus ambitieux des portraits de famille qu’Ingres ait composés est celui de la famille de son grand ami Edouard Gatteaux, achevé en 1850. Il s’agit en fait d’un portrait de famille imaginaire. Ingres a en effet réarrangé des dessins qu’il avait réalisés à des époques différentes, le père de son ami, Nicolas-Marie, graveur et médailleur, ainsi que sa mère Louise-Rosalie étant tous deux décédés à l’époque de la composition finale du portrait de famille. Nicolas-Marie était mort depuis déjà 18 ans, et Louise-Rosalie depuis 3 ans. Edouard, qui apparaît ici comme un jeune homme, aurait eu 62 ans à l’époque du portrait.
Pour concevoir son dessin, Ingres a utilisé trois lithographies individuelles représentant Edouard et ses parents que Claude Marie François Dien a faites d’après les propres dessins de l’artiste. Les lithographies ont été détruites pendant le chaos qu’a été la Commune de Paris en 1871. Ingres a découpé les personnages des gravures et les a recomposés sur une feuille plus grande. Il a ensuite complété le fond au crayon, ainsi que les autres personnages : la petite-fille de l’aîné des Gatteaux, Paméla de Gardanne, qui se tient derrière le groupe, et complètement à gauche en arrière-plan, la cousine d’Edouard, Mme Anfrye. L’artiste a également retravaillé au crayon la moitié inférieure du corps d’Edouard.
Une famille recomposée
Les familles changent parfois. De nouveaux enfants viennent s’y ajouter et de nouvelles personnes y sont intégrées par les circonstances. À l’époque d’Ingres, même la puissante famille élargie de Napoléon avait ses défis à relever.
Napoléon avait quatre frères et ceux-ci ont reçu des titres et des gouvernances au sein de l’empire. Le portrait de la famille de Lucien Bonaparte par Ingres présente l’idéal napoléonien d’une famille recomposée. Le plus jeune des Bonaparte, Lucien, s’est marié en secondes noces, et sa seconde épouse, Alexandrine, souhaitait un portrait de famille par l’artiste. Ingres nous donne un portrait vivant de la famille de Lucien Bonaparte où la musique joue un rôle central.
Alexandrine, assise au centre, est entourée de ses enfants : Charles est accoudé à la chaise de sa mère, le petit Louis-Lucien est à ses genoux et Paul-Marie est assis par terre.
Anna Jouberthon, une fille du premier mariage d’Alexandrine, se tient à gauche dans le portrait, une lyre à la main. Une des filles du premier mariage de Lucien joue sur une épinette, et une autre, Christine Egypte, est assise sur un tabouret avec un panier de fleurs. Les autres filles de Lucien, Giovanna et Laetitia, se tiennent au second plan.
Les instruments de musique jouent un rôle important dans ce dessin. Ingres lui-même jouait du violon.
La technique d’un maître
Les croquis ci-dessus témoignent d’une assurance et d’une habileté qui sont le résultat d’une longue pratique. Frank Wright, peintre et professeur d’histoire de l’art à l’université George Washington, voit en Ingres « un technicien miraculeux. Il était l’un des dessinateurs les plus remarquablement assurés qui aient jamais vécu. Lorsqu’il traçait une ligne, il le faisait avec tellement de conviction. Comment faisait-il pour dessiner avec une telle autorité? C’est une des choses qu’on ne peut pas enseigner quand on parle d’Ingres, on peut juste en être conscient. »
La vie d’Ingres était imprégnée d’art. « J’ai été élevé à la craie rouge », a-t-il déclaré un jour. En tant que tel, il gardait toujours son crayon de graphite à portée de main. « Il dessinait toujours avec une pointe acérée, parfois même avec une pointe en forme de ciseau, ce qui lui permettait de varier l’épaisseur du trait et de passer du pointu au large », écrit le graveur et historien d’art Avigdor Arikha dans le catalogue d’une récente exposition.
Ingres a appris à dessiner en copiant les dessins de son père et les œuvres des grands maîtres. Les dessins du maître de la Renaissance, Raphaël, ont eu une grande influence sur lui, mais il a également appris de ses célèbres contemporains. Il a fait son apprentissage auprès de Jacques Louis David.
Avec plus de 4.000 dessins à son actif, Ingres a perfectionné la technique de la ligne de contour. Aujourd’hui, les professeurs d’art enseignent deux styles de dessin : la forme ouverte et la forme fermée. La forme ouverte signifie que la figure dessinée s’ouvre sur l’arrière-plan et n’est pas enfermée dans un contour dessiné.
Ingres a perfectionné la forme fermée, les figures étant enfermées dans des lignes magistralement bien dessinées. « Avec un trait de graphite constamment et finement ajusté – tantôt étroit, tantôt épais, appuyé fermement ou plus rapidement – il définit les contours avec une remarquable gamme de modulations. La forme est décrite avant tout par de tels calibrages du contour et par la direction qu’une ligne emprunte », disait Agnès Mongan.
Phillip Wade, artiste et professeur de peinture, dit de lui : « Ses dessins se distinguent par une délimitation minutieuse de la forme, par des lignes parfaites et des ombres subtiles. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui pouvait faire des contours aussi soignés que lui ».
Un professeur d’harmonie
En 1801, l’artiste remporte le prestigieux Prix de Rome, qui l’envoie à Rome où il est nommé directeur de l’Académie de France. A Rome, il perpétue la tradition de l’enseignement aux jeunes générations : « Il s’attache à donner à ses élèves une base solide des techniques de dessin afin de prolonger les traditions de la Renaissance et de fournir un bon point de départ pour le développement de leur carrière », selon le site Web History of Art.
Lorsqu’il enseignait son art à ses élèves, Ingres utilisait, dit-on, des métaphores musicales : « Si je pouvais faire de vous tous des musiciens, vous gagneriez ainsi à être des peintres. Tout dans la nature est harmonie ; un peu trop, ou trop peu, perturbe la gamme et fait une fausse note. Il faut enseigner la justesse du chant au crayon ou au pinceau tout autant qu’à la voix ; la justesse des formes est comme la justesse des sons. »
Ainsi, l’art magistral d’Ingres a été mis au profit de l’harmonie, notamment dans ses dessins des familles de l’époque. Dans un dessin de famille composé d’esquisses réarrangées, les différents portraits montrent chaque membre s’adonnant à une activité différente mais vivant ensemble de manière harmonieuse. D’autres portraits montrent l’attention et la protection d’un parent pour un enfant ou un conjoint. L’harmonie est ce qui fait la force d’une famille, quelle que soit l’époque. Ces portraits vivants et intelligents des familles de l’ère napoléonienne sont aujourd’hui reconnus comme le plus grand héritage du peintre français.
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