Les préjugés persistants d’André Comte-Sponville à propos du capitalisme et du rôle de l’entreprise privée

Par MATTHIEU CRESON
10 mars 2023 14:42 Mis à jour: 10 mars 2023 14:42

Dans un entretien globalement fort intéressant donné à L’Express (2 mars 2023) à l’occasion de la parution de son nouvel ouvrage, La Clef des champs et autres impromptus (Paris, PUF, 2023), le philosophe André Comte-Sponville prouve néanmoins une fois de plus qu’il ne comprend pas vraiment ce qu’est le capitalisme libéral. Une fois de plus car il en avait déjà donné la démonstration dans un livre paru en 2004, Le Capitalisme est-il moral ? (Albin Michel), question à laquelle il répondait qu’il n’est ni moral ni immoral mais amoral. Certes, le capitalisme n’est pas toujours parfait, dans la mesure où ce n’est pas une utopie. Mais l’économiste Pascal Salin nous a montré qu’il est, contrairement à ce que nous dit André Comte-Sponville, le seul système économique moral, dans la mesure où il se fonde sur le respect intransigeant des droits de propriété de l’individu.

Du constat de l’échec des sociétés socialistes… 

Insistons d’emblée sur le fait qu’André Comte-Sponville est un philosophe ayant signé des ouvrages tout à fait intéressants, tel son Petit Traité des grandes vertus (1995), pour lequel il reçut le prix La Bruyère de l’Académie française. Mais si ce penseur adepte d’Épicure, des Stoïciens et de Montaigne présente le mérite de réfléchir librement loin de toute systématisation philosophique, sa vision du capitalisme et du rôle de l’entreprise nous semble critiquable à plusieurs égards. Certes, il constate que les sociétés socialistes que l’on a voulu instaurer ont toutes échoué. « Les sociétés prétendument égalitaires qu’on a voulu créer à la place du capitalisme se sont révélées être bien pires », dit-il dans l’entretien donné à L’Express, avant d’ajouter : « J’aurais aimé que le socialisme réussisse. Il se trouve qu’il a échoué partout, souvent dans des conditions atroces et criminelles. » Bref, le socialisme a fait le contraire de ce qu’il promettait de faire : au nom de la morale, il a été l’un des systèmes politiques les plus immoraux qui aient jamais été, compte tenu du nombre de morts dont il est directement responsable ; et au nom de l’égalité, il fut en réalité vecteur d’inégalités qui se révèlent  beaucoup plus criantes que celles que l’on déplore dans les pays capitalistes.

En cela nous sommes bien d’accord.

… à l’apologie de la fiscalité et de la redistribution

Mais André Comte-Sponville se trompe doublement selon nous lorsqu’il dit dans le même entretien : « Prenons donc le capitalisme pour ce qu’il est : un système économiquement efficace, mais socialement injuste et écologiquement redoutable. Compensons ses effets pervers par la redistribution pour ce qui est des inégalités, et par une politique écologique plus exigeante ». Or c’est plutôt le socialisme qui fut « écologiquement redoutable », bien plus que le capitalisme. André Comte-Sponville aurait-il oublié notamment Tchernobyl ? Dans un livre intitulé Why Globalization works (New York et Londres, Yale University Press, 2004), le journaliste économique Martin Wolf rappelle au contraire que les pays socialistes comme feu l’URSS ont bien plus nui à l’environnement que les pays capitalistes : on citera ainsi parmi bien d’autres exemples l’assèchement de la mer d’Aral dans les années 60, provoqué par le détournement de deux de ses affluents afin d’assurer l’irrigation intensive de champs de coton…

André Comte-Sponville se trompe en outre lorsqu’il considère qu’il nous faut des entreprises suffisamment robustes créant suffisamment de richesses pour rendre les prélèvements et la redistribution possibles, afin que la société devienne moins inégalitaire. Car cela revient à dire qu’une entreprise n’a d’autre rôle que celui d’être ponctionnée de manière que soit financée la sacro-sainte « justice sociale », ainsi qu’en témoigne cet autre propos qui figure dans le même entretien : « Plus nos entreprises sont riches, mieux ça vaut. Et plus l’État redistribue, mieux ça vaut ». Mais à ce compte, la France serait l’un des pays les moins inégalitaires qui soient ! En 1960, les prélèvements s’y élevaient à 30,3% du PIB ; ils ont atteint en 2021 44,3% de ce même PIB, ce qui représente une augmentation de 14 points. En 2020, la France a occupé la deuxième place en Europe, après le Danemark, pour ce qui concerne le poids des prélèvements (47,5% du PIB), loin devant la moyenne des 27 (41,3%). En outre, elle consacrait en 2020 31% du PIB aux dépenses sociales publiques, confortant ainsi sa place de pays le plus redistributeur de l’OCDE – dont la moyenne était de 20%.

La France a besoin non pas de plus mais de moins de prélèvements, de fiscalité et de redistribution, dont les excès la paralysent, freinent sa croissance et minent la prospérité générale depuis plus de 40 ans. André Comte-Sponville fait donc encore une fois fausse route lorsqu’il dit : « La justice sociale passe par la redistribution, donc essentiellement par l’État, la fiscalité et les services publics ». Une telle phrase contredit d’ailleurs ce qu’on peut lire sur la couverture du même numéro de L’Express : « Fin de vie, Covid, capitalisme : le plaidoyer libéral d’André Comte-Sponville ». Non, la vision qu’a ce dernier du capitalisme ne relève en rien d’un quelconque « plaidoyer libéral ». On préfèrera à un tel propos cette citation de Thomas Jefferson, qui était lui, quelque 130 ans avant l’avènement de l’État-providence, parfaitement conscient des dangers que peut représenter notre « redistribution » : le « bon gouvernement », dit-il lors de son premier discours d’investiture, le 4 mars 1801, est celui qui « retiendra les hommes de se porter tort l’un à l’autre, et pour le reste les laissera libres de régler leurs propres efforts d’industrie et de progrès, et n’enlèvera pas le pain de la bouche du travailleur qui l’a gagné » (nous soulignons).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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