De nos jours encore, bon nombre de stations se prétendent héritières des « radios libres » : qu’elles soient généralistes, musicales ou associatives, toutes cherchent à se prévaloir de cette autorité morale, pourtant révolue depuis des lustres. D’où vient cet attachement à une expression terriblement datée – « radio libre » –, née dans l’exubérance généreuse de la fin des années 1970 ?
Et tout d’abord, de quelle liberté s’agissait-il à l’époque ?
Aux origines des radios libres
Nées dans le sillage de la « free radio » anglaise (ce qu’on avait coutume d’appeler les « radios pirates ») et des « radio libere » italiennes, les radios libres firent irruption dans l’espace public français à partir de mai-juin 1977, il y a donc quarante ans. Résolument illégales, toutes aspiraient à faire vaciller le monopole d’État de la radiodiffusion et de la télévision, et à mettre un terme à une emprise qui remontait aux débuts de la télégraphie optique, c’est-à-dire en 1793 !
Réaffirmée avec force au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, cette mainmise de l’État sur la communication hertzienne s’était affublée de faux nez au fil des décennies. À côté du service public (Radio France et les trois chaînes de télévision, TF1, Antenne 2 et FR3, seules autorisées à émettre depuis le territoire), quelques stations dites « périphériques » (RTL, Europe 1, Radio Monte-Carlo et Sud Radio) s’étaient implantées par-delà les frontières, diffusant leurs programmes à vocation publicitaire à l’attention des auditeurs français. Cet « oligopole » – véritable entente anticoncurrentielle entre l’État et quelques rares opérateurs privés plus ou moins sous tutelle – s’avérait d’autant plus choquant au milieu des années 1970 que le nouveau président de la République, Valéry Giscard d’Estaing se prétendait le champion d’un « libéralisme avancé ».
C’est pour lutter contre cette situation déplorable que quelques poignées de jeunes gens décidèrent de prendre leurs responsabilités. Il leur en coûtait financièrement (un émetteur se monnayait quelques centaines, voire quelques milliers de francs), mais aussi et surtout légalement. La loi n° 72-753 du 3 juillet 1972 rappelait en effet qu’émettre en France – fût-ce sur la bande FM pourtant notoirement sous-exploitée – était un délit. Comme devait bientôt le stipuler la loi n° 78-787 du 28 juillet 1978, les contrevenants risquaient un mois à un an d’emprisonnement, et entre 10000 et 100 000 francs d’amende.
Cette liberté s’accompagnait donc d’une réelle prise de risque et ce fut là une des caractéristiques essentielles du mouvement entre 1977 et 1981. Beaucoup en payèrent d’ailleurs le prix, subissant, tour à tour ou simultanément, brouillages, saisies, procès et amendes. Quelques noms mythiques restent gravés dans les mémoires : stations écologistes (comme Radio Verte – la première d’entre toutes ! – et Radio Libre 44), gauchistes (comme Radio 93 et Radio Paris 80), libertaires (comme Radio Trottoir), syndicales (comme Radio Lorraine Cœur d’Acier et Radio Quinquin), régionalistes (comme Radio Uylenspiegel), musicales (comme Radio Joufflu), généralistes (comme Génération 2000), etc.
La section parisienne du Parti socialiste fut également chahutée en juin 1979 et François Mitterrand écopa, dans la foulée, d’une inculpation pour « infraction à la législation sur le monopole » : il avait participé – certes de loin ! – à une émission illégale baptisée Radio Riposte.
La défaite de Valéry Giscard d’Estaing en mai 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir le mois suivant changèrent la donne. La pression des pouvoirs publics se relâcha peu à peu, et les radios pionnières furent rejointes et souvent débordées par les « ouvriers de la onzième heure » : parmi les noms parvenus jusqu’à nous, citons RFM (longtemps brouillée néanmoins !), NRJ, Radio Nova et… Radio Libertaire.
La loi du 9 novembre 1981 portant dérogation au monopole d’État de la radiodiffusion desserra définitivement l’étau, puis celle du 29 juillet 1982 porta sur les fonts baptismaux une instance de régulation jusqu’alors inédite : la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (ancêtre indirect du Conseil supérieur de l’audiovisuel), chargée de délivrer les autorisations en matière de services locaux de radiodiffusion. Non sans heurts, le paysage radiophonique, tel que nous le connaissons encore de nos jours, se mit progressivement en place. Les « radios libres » avaient vécu. Elles cédaient désormais la place à des « radios locales privées », soumises à un cahier des charges, et donc à des règles et des obligations
Et aujourd’hui ?
Il est évident qu’imiter les radios libres d’avant 1981, par exemple en émettant en pirate, serait non seulement absurde, mais aussi contre-productif. De toute façon, en maintes zones urbaines, le spectre hertzien est saturé : autant dire que dénicher une fréquence vierge relèverait de la gageure ! Plutôt donc se rabattre sur le web, où la liberté est devenue un poncif…
Sur la modulation de fréquence, on recense actuellement près de 900 opérateurs, ce qui est un nombre très élevé. Plus de 20 % de ces derniers sont des associations, malheureusement parfois vieillissantes. Si les radios commerciales s’avèrent très dépendantes de leurs revenus publicitaires et donc de leurs annonceurs, les stations associatives, à de rares exceptions près, ne sont pas autonomes pour autant. Leur survie dépend le plus souvent d’une aide de l’État – le « Fonds de soutien à l’expression radiophonique » – qui est abondée par une taxe sur la publicité audiovisuelle.
La mythologie des radios libres n’est donc plus appropriée pour décrire la situation actuelle. De nos jours, tous les courants de pensée, à l’exception de ceux qui prônent la haine stérile, ont droit de cité sur les ondes. S’il reste un territoire à conquérir pour les radios associatives et commerciales, c’est désormais celui de la jeunesse créatrice et proactive. Il n’y a donc qu’à leur ouvrir les portes – certaines stations le font, d’autres moins – et donner soi-même l’exemple, comme au « bon vieux temps » des radios libres.
Thierry Lefebvre, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Université Paris Diderot – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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