« Les réseaux sociaux, c’est la vraie vie ». Face à des collégiens et lycéens, Karim Amellal, coauteur d’un rapport sur « la haine internet », répète son message : l’insulte virtuelle a des conséquences « bien réelles » et mène à des « passages à l’acte parfois catastrophiques ».
Son rapport, écrit avec les députés Gil Taieb et Laetitia Avia, servira de base à une proposition de loi déposée en mai, annoncée mercredi soir par Emmanuel Macron au dîner du Crif.
Jeudi après-midi, invité par l’association « Bâtisseuses de paix », l’auteur et professeur à Sciences-Po assure « le service après-vente de (sa) mission » devant une centaine de collégiens et lycéens, réunis sous les plafonds dorés et les lustres de la mairie du 11e arrondissement de Paris.
« Imaginez, vous êtes là dehors, place Voltaire. Vous marchez et à mesure que vous marchez, tous les gens autour vous disent « Sale noir », « Vous êtes pas chez vous en France », ils insultent vos parents… C’est interdit, et tout le monde est d’accord là-dessus, personne ne fait ça. Mais sur un fil Twitter, sur les commentaires Facebook, c’est tout le temps. Le problème, c’est que ce qui est interdit place Voltaire doit aussi l’être sur internet », résume-t-il.
Insultes antisémites, racistes, harcèlement… « Il y a une banalisation de la haine, une élévation de l’intensité de la haine dans la société en général, qui est démultipliée sur les réseaux sociaux. La haine est quasiment devenue la norme », déplore-t-il : « Il est urgent d’agir ».
Dans l’auditoire, les jeunes écoutent, discutent, ricanent. Et plongent régulièrement leur regard sur l’écran de leur smartphone.
« Pourquoi Emmanuel Macron a annoncé une loi au dîner du Crif ? Parce qu’il y a eu une explosion des actes antisémites. Et dans notre histoire, en France, l’antisémitisme est un masque de tout un tas de haines qui explosent de façon beaucoup plus dissimulée. Lutter contre l’antisémitisme, c’est lutter contre toutes les autres haines qui ciblent les personnes qui vivent dans ce pays. Les ressorts sont les mêmes ».
« Mais vous pensez que c’est avec une loi qu’on va arrêter tout ça ? », lance un lycéen de terminale.
« Tu as raison. On sait que ça suffira pas mais ça commence par là. Pendant tellement d’années, on n’en a pas parlé », souligne Karim Amellal : « C’est en train de changer parce qu’aujourd’hui, il y a des passages à l’acte, des gens qui « s’intoxiquent » tellement en ligne qu’ils vont aller agresser des gens. Il y a tellement de victimes que c’est devenu un problème de société » .
« Si on n’arrête pas ça, ça prend de l’ampleur et ensuite on peut pas revenir en arrière », abonde un élève de troisième. « Moi je suis contre (lever l’anonymat, ndlr). Si je dois donner mon numéro de téléphone pour m’inscrire (sur un réseau) et que je me fais pirater mon compte, il a accès à toutes mes infos », rétorque un autre.
Derrière ces prises de parole, plane le murmure des apartés, voire le silence.
« Il y a de l’autocensure. Tout à l’heure, un collégien a dit à une de ses responsables pédagogiques « Vous êtes d’accord avec ça ? Moi, je suis pour la liberté totale d’expression, on doit pouvoir tout dire ». « Mais quand elle lui a dit de le dire devant tout le monde, il n’a pas voulu », raconte la présidente de l’association « Bâtisseuses de Paix », Annie-Paule Derczansky, à l’issue de la séance.
Pour d’autres, c’est aussi l’occasion de se révéler.
Les deux heures d’échanges touchent à leur fin. Une jeune fille en jogging et baskets se lève.
Sans micro, voix forte, elle lance : « Depuis tout à l’heure, je vous écoute. (…) Personnellement, depuis le CP, je suis harcelée. Ça s’est arrêté en troisième parce que j’ai réussi à m’exprimer. Mais je me suis débrouillée toute seule. J’ai parlé aux professeurs, au directeur, au rectorat, j’ai porté plainte… Ça marchait pas ». « Pour moi, ça vient d’abord de chacun de nous : si chacun pense par soi-même, si on évite « l’effet mouton », ça évitera beaucoup de problèmes ».
D. S avec AFP
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