Par défaut d’une fiscalité allégée sur la transmission, la vigne française rachetée par des grands groupes

"Ça a détruit des familles", au profit des grands groupes

Par Ludovic Genin
25 octobre 2024 05:28 Mis à jour: 22 novembre 2024 09:11

Bourgogne, Champagne, Bordeaux… Quand la valeur des vignes s’envole, la fiscalité sur les transmissions empêche la nouvelle génération de prendre la suite, ont affirmé les représentants des vignobles, qui pressent les parlementaires de réduire la facture.

« On est en train de perdre des joyaux » que seuls des investisseurs financiers ou des grands groupes ont les moyens de reprendre, a affirmé lors d’une conférence de presse Jérôme Bauer, président de la Confédération nationale des appellations d’origine contrôlée (Cnaoc).

Des restrictions qui interviennent dans un contexte de restrictions budgétaires dans le cadre du projet de loi de finances 2025, qui maintient l’allègement de la fiscalité pour les agriculteurs, dont sont pour le moment exempts les vignerons sur les droits de succession.

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« On ne sera plus propriétaires de nos terres parce qu’on n’y arrivera plus »

Les vignes deviennent un « cadeau empoisonné » pour les enfants de viticulteurs qui « vont s’endetter pendant 40 ans » afin de régler les frais liés à la transmission familiale et ne pourront investir, a affirmé Jérôme Bauer.

« On ne sera plus propriétaire de nos terres parce qu’on n’y arrivera plus », a renchéri Thiébault Huber, pour la Bourgogne, où un « groupe de luxe » – en l’occurrence LVMH – vient d’acheter 1,3 hectare pour 15,5 millions d’euros.

« Souvent on entend ‘C’est des problèmes de riches’  » mais « ça a détruit des familles », a soulevé M. Huber.

Comme le principal syndicat agricole FNSEA, les organisations demandent un élargissement aux terres agricoles du « pacte Dutreil », qui allège fortement la fiscalité des transmissions d’entreprises familiales. En échange, précisent-elles, les repreneurs s’engageront à ne pas vendre les parcelles avant au moins 15 ans.

À l’heure actuelle en Champagne, un hectare vaut autour d’un million d’euros. Pour le racheter à son parent, un enfant doit verser 150.000 euros à l’État, contre 50.000 avec la mesure défendue par la profession, a expliqué le syndicat général des vignerons (SGV) de la Champagne.

« Ce qu’on veut, c’est transmettre à nos enfants, installer des jeunes, continuer à faire vivre une histoire », a plaidé Maxime Toubart, du SGV Champagne, lançant un « appel du coeur vers les parlementaires », tout en reconnaissant que l’évaluation du coût de la mesure restait à faire.

Le gouvernement commence à aider les vignerons, notamment ceux touchés par la sécheresse, pour trouver des solutions pérennes au maintien de leur activité.

La ministre de l’Agriculture Genevard au chevet des vignerons des Pyrénées-Orientales

La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, s’est rendue la semaine dernière au chevet des vignerons des Pyrénées-Orientales, annonçant un financement pour un projet de réutilisation des eaux usées dans ce département durement frappé par une sécheresse prolongée.

Lors d’un déplacement marqué – ironie du sort – par de violentes ondées orageuses de pluie et de grêle, Mme Genevard a visité la station d’épuration d’Argelès-sur-Mer, projet visant à la réutilisation des eaux qui devrait permettre de distribuer 1,3 million de mètres cubes aux agriculteurs à partir de juin 2026.

« On est très impatients de voir ce dispositif mis en œuvre, parce qu’il faut ne négliger aucune piste pour recueillir de l’eau pour faire fonctionner notre agriculture et sauver notre territoire », a déclaré la ministre, annonçant le déblocage de 2 millions d’euros de l’État pour participer aux 12,5 du budget global de l’installation.

Ce projet de réutilisation des eaux usées, à l’étude depuis 2021, avait été identifié en mai comme une piste prioritaire par l’ex-ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.

Selon Marion Galaup, directrice de la régie locale des eaux, il devrait permettre d’irriguer 580 hectares de surfaces agricoles. « Ça n’est pas rien, c’est autant de vergers et de vignes qui vont peut-être être sauvés », a souligné la ministre.

Ce déplacement ministériel intervient par ailleurs dans un contexte de grogne croissante des agriculteurs dans toute la France. « J’entends le désespoir. J’entends la détresse. Elle peut nourrir la colère. Ça je peux le comprendre […] le tout c’est que tout se fasse dans le calme, sans violence », a affirmé Mme Genevard.

Guy Jaubert, président de la Fédération des vignerons indépendants du Roussillon, a dit en marge de la visite espérer que la ministre « entende » les appels à l’aide de sa filière.

Une fiscalité allégée pour les agriculteurs dans le Budget 2025

Abandon de l’augmentation de la fiscalité sur le gazole agricole, réduction de l’assiette imposable des éleveurs bovins… À l’heure des hausses d’impôts, les agriculteurs y échappent, le gouvernement Barnier ayant repris les engagements du précédent exécutif – ce qui ne concerne pas pour l’instant les vignerons.

Sous Michel Barnier, le projet de loi de finances 2025 (PLF) comprend plusieurs mesures d’allègements fiscaux, représentant un manque à gagner pour l’État de 394 millions d’euros, selon des éléments communiqués par le ministère de l’Agriculture.

Du côté du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), les allègements de charges, principalement pour l’emploi de saisonniers, atteignent 188 millions d’euros. « Le redressement budgétaire rendu nécessaire par la situation de nos finances publiques ne se traduit pas, dans ces budgets-là, par un abandon de l’engagement financier de l’État » à l’égard de l’agriculture, a déclaré le ministère de l’Agriculture à la presse.

Les allègements visent, selon le PLF, à « soutenir le monde agricole face aux enjeux du changement climatique et du renouvellement des générations et contribuer à notre souveraineté alimentaire ».

Le document entérine l’abandon par l’exécutif du relèvement de la fiscalité sur le gazole agricole (GNR), un des déclencheurs des manifestations.  Le texte comprend des dispositifs visant à réduire l’imposition de certains agriculteurs en activité : ceux qui doivent mobiliser leur épargne de précaution face à un aléa, ou encore les éleveurs de vaches à lait ou à viande.

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