L’éternel serpent de mer de la proportionnelle

Par Ludovic Genin
17 septembre 2024 07:42 Mis à jour: 21 septembre 2024 06:06

En apparence, la proportionnelle paraît plus juste que le scrutin majoritaire, donnant une meilleure représentativité des électeurs, surtout après les dernières élections législatives anticipées, où des électeurs de la droite et du centre ont été appelés à voter pour des candidats de la gauche et de l’extrême gauche – et réciproquement, pour faire barrage au Rassemblement national. Le résultat a été un tripartisme de l’Assemblée nationale et une impasse politique risquant de rendre le pays ingouvernable.

Mais la question de la proportionnelle est plus complexe qu’il n’y paraît, car elle pourrait également aboutir sur un tripartisme de l’Assemblée comme le scrutin à deux tours. La création de la Ve République a eu pour principe de s’appuyer sur une majorité parlementaire afin de permettre d’appliquer la politique de l’exécutif, alors que la proportionnelle, en donnant la possibilité aux petits partis d’avoir des postes de députés, entraînerait une plus grande multipartition de l’Assemblée, rendant encore plus difficile de trouver une majorité.

Le retour de la proportionnelle dans le débat politique

La proportionnelle consiste à répartir les sièges des députés en proportion des voix obtenues pour chaque liste aux législatives, dans un scrutin à un seul tour. Cette réforme institutionnelle est brandie comme une solution à la crise de régime inédite que traverse le pays depuis les dernières élections.

Aujourd’hui, le pays n’a plus de gouvernement depuis deux mois – une instabilité politique provoquée par la dissolution de l’Assemblée et le front républicain de l’entre-deux-tours contre le RN. Certains y voient le signe d’un épuisement de la Ve République, et plus particulièrement de l’élection législative au scrutin majoritaire à deux tours.

Alors qu’il devait clarifier le choix des Français après les élections européennes, ce dernier vote des législatives n’a pas permis de dégager une majorité claire qui garantisse la stabilité des institutions, mais plutôt trois blocs incapables de s’entendre sur une politique majoritaire.

C’est « une situation de quasi explosion, comme avec la pire des proportionnelles mais avec les réflexes du scrutin majoritaire, c’est-à-dire que personne ne parle avec personne », résumait François Bayrou.

Traditionnellement défendue par les formations politiques marginales, la proportionnelle intéresse aujourd’hui plus largement la classe politique. Elle pourrait cependant favoriser davantage les alliances politiques éphémères qui ont mené au blocage parlementaire de juillet et ne serait pas forcément plus favorable au RN, qui ferait face à un front républicain en amont du premier tour.

Mais « le regard sur la proportionnelle a changé », observe la constitutionnaliste Marie-Anne Cohendé.

La proportionnelle versus les logiques d’appareils politiques ?

La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a elle-même relancé le débat en mars dernier, assurant qu’avec la proportionnelle, « l’Assemblée ressemblerait davantage aux Français ». Elle proposait des listes à la proportionnelle dans les départements les plus peuplés, et le maintien du scrutin majoritaire dans les autres. « Comme au Sénat, les parlementaires seraient élus sur des listes à la proportionnelle, dans les départements les plus peuplés – ceux où sont élus 11 députés ou plus » – et « le scrutin majoritaire serait maintenu » dans les autres, avait-elle détaillé, fin mars.

Mais la proportionnelle ne garantit cependant pas non plus une majorité stable, elle « obligerait les partis à négocier », assure Marie-Anne Cohendé. Selon la constitutionnaliste, « la proportionnelle ne va pas tout régler, mais elle peut affaiblir le Président, trop fort sous la Ve République, et aboutir à une vie politique moins violente. Mais il faut qu’on apprenne à faire des compromis si on veut de la stabilité ».

Le passage à la proportionnelle ne nécessite cependant pas de réviser la Constitution : une simple loi ordinaire permet de l’introduire aux élections législatives. « C’est la réforme la plus simple à mettre en œuvre pour changer notre modèle politique », conclut-elle.

Pour François Bayrou, le passage à la proportionnelle « invite à faire des alliances, mais pas de la soumission ». Elle pourrait, par exemple, donner aux socialistes la possibilité de s’émanciper de la tutelle de La France insoumise, argumentent ses partisans, même si pour d’autres cela permettrait de fragiliser les coalitions en favorisant les partis. « Cela permettrait aux sociaux-démocrates d’être vraiment sociaux-démocrates, de s’affirmer autrement », explique l’ancien socialiste François Rebsamen, opposé à une alliance des socialistes avec l’extrême gauche.

Le Premier ministre n’exclut rien

Concernant la vie des partis, Michel Barnier n’a pas exclu d’introduire la proportionnelle qui permettrait de voter pour des listes et non plus au scrutin uninominal à deux tours. « Il n’y a pas de ligne rouge. Si la proportionnelle en partie est une solution, je ne me l’interdis pas mais j’aurai besoin de discuter avec tous les groupes politiques », a-t-il dit.

Avant sa rencontre avec le nouveau Premier ministre, Laurent Wauquiez n’avait pas caché son opposition à la possibilité d’introduire la « proportionnelle qui menace la stabilité de nos institutions », alors que François Bayrou s’est félicité des ouvertures qu’il dit avoir perçues sur « la question de la loi électorale », à savoir l’instauration de la proportionnelle aux législatives pour laquelle il milite depuis des années, lors de sa rencontre avec Michel Barnier.

Quant à l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, il pourrait s’y rallier, « si était rétablie la possibilité de cumuler un mandat exécutif local et le mandat parlementaire », a-t-il expliqué dans une interview au Point, alors que beaucoup redoutent que la proportionnelle contribue à éloigner les députés du terrain. « Méfions-nous d’un mode de scrutin qui laisserait la possibilité aux états-majors de partis politiques parisiens de construire des listes de candidats sans aucun lien avec les réalités politiques locales », a néanmoins mis en garde l’ancien Premier ministre.

La proportionnelle permettrait d’avoir « une meilleure représentation des Français », et de « sortir [des] logiques d’appareils politiques », déclarait la socialiste Carole Delga. Cette réforme institutionnelle reste plébiscitée par le Nouveau Front populaire qui espère récupérer davantage de postes alors que le Rassemblement national en aurait fait une de ses conditions pour ne pas censurer le nouveau gouvernement.

Le Président s’y dit plusieurs fois favorable

L’introduction d’une dose de proportionnelle figurait dans la révision constitutionnelle abandonnée en 2018 et 2019, après qu’Emmanuel Macron avait annoncé y être favorable lors de sa campagne de 2017. Si le chef de l’État s’y est à nouveau dit favorable en 2022, la mesure ne figurait pas dans son programme de réélection.

Introduire « une part de proportionnelle » aux élections législatives « serait bon pour la démocratie », estimait encore Emmanuel Macron dans La Tribune Dimanche et La Provence en mai 2024. Pourrait-il mettre en place la proportionnelle avant la fin de son mandat ? « Si une majorité se dégage pour introduire une part de proportionnelle, oui. C’est l’engagement que j’ai pris. Je pense que ce serait bon pour la démocratie », disait alors le chef de l’État.

Mais le camp présidentiel est divisé sur la question. L’ancien chef des députés Renaissance Sylvain Maillard était contre, tout comme l’ancienne ministre des relations avec le Parlement Marie Lebec.

Reste à savoir quelle forme de scrutin proportionnel pourrait être adoptée. Intégral, partiel, mixte, à prime majoritaire… Les options sont nombreuses, et leurs impacts sur le jeu politique, tous différents. Scrutin à deux tours ou proportionnelle, la question reste aussi celle de l’éthique en politique et le fait de respecter l’expression des préoccupations des Français, plutôt que de prioriser les logiques d’appareils politiques.

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