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Pourquoi le libre-échange ne marche pas pour les salariés

décembre 13, 2016 12:12, Last Updated: décembre 14, 2016 10:38
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Selon la théorie économique conventionnelle, le libre-échange est gagnant autant pour les pays développés que ceux en développement. C’est sur cette base que les mondialistes ont vendu l’ALENA (Accord de libre-échange Nord-américain) aux Américains et l’accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais ça ne s’est pas joué comme ça.

Des millions d’emplois de l’industrie manufacturière perdus par la suite, des ouvriers américains frustrés dans des états de la « ceinture de rouille »comme le Wisconsin, l’Ohio et le Michigan ont voté pour Donald Trump, le premier candidat depuis des décennies qui s’oppose à la doctrine du libre-échange.

Mais pourquoi le libre-échange ne marche-t-il pas ? Et que peut faire le Président Trump pour inverser la délocalisation presque complète de l’industrie américaine ?

Les politiques économiques courantes ne peuvent  pas répondre à ces questions. C’est pourquoi Epoch Times a parlé à Steve Keen, auteur du livre phare « L’imposture économique » et conférencier à l’Université Kingston de Londres, afin qu’il puisse donner des explications sur la façon dont Trump pourrait ranimer l’industrie américaine.

Epoch Times : Pourquoi le libre-échange ne marche-t-il pas comme annoncé ?

Steve Keen : Le point de départ de la théorie conventionnelle est que l’on peut augmenter l’efficacité en se spécialisant. Par exemple, la Chine est meilleure que les Etats-Unis dans la production d’acier et de textile, mais son avantage concurrentiel est relativement plus élevé dans l’acier que le textile.

Ainsi, selon la théorie conventionnelle, les États-Unis devraient produire plus de textile et la Chine devrait produire plus d’acier. Cela entraine une augmentation relative de l’efficacité de sorte que les deux pays produisent plus que s’il n’y avait pas de libre-échange.

Steve Keen est professeur à l’Université Kingston de Londres et auteur du livre phare « L’imposture économique », dans lequel il fait un nettoyage minutieux de l’imparfaite théorie économique dominante. Il a sorti son premier livre sur le commerce international en 1980. (Avec l’aimable autorisation de Steve Keen)

Il faut admettre qu’il y aura des gagnants et des perdants, l’industrie sidérurgique aux États-Unis souffrira tandis que l’industrie textile en tirera un profit. La théorie est que les gagnants indemnisent les perdants et ainsi il y en a plus pour tout le monde.

Même la théorie de l’économiste classique David Ricardo (1772-1823) concernant le vin et les vêtements a parlé des ouvriers dans une industrie perdant ses emplois. Ce que les économistes néoclassiques disent est que les ouvriers dans l’industrie en perte peuvent obtenir un travail dans l’industrie gagnante.

Cela suppose le plein emploi, chaque personne qui désire un travail en trouve un, ce qui n’existe pas dans le monde réel. On suppose également que l’on peut déplacer des ressources d’une industrie à une autre. Les ouvriers peuvent se recycler, il est possible de recycler un ouvrier textile en ouvrier métallurgiste. Cela prend du temps, mais cela peut être fait.

Mis à part le fait que la Chine produit maintenant plus de tout, il n’est pas possible de transformer une machine à tisser en un haut fourneau. Et c’est pourquoi vous avez la «ceinture de rouille ». Dans le cas de la Chine et des États-Unis, les aciéries aux États-Unis ne deviendront pas de usines textiles; ils se transforment juste en rouille. Ainsi, ce que vous obtenez est la destruction absolue des ressources physiques d’un pays.

Mais on envoie du capital là où les salaires des ouvriers sont bas, comme en Chine ou au Mexique et on obtient une redistribution des revenus entre classes sociales. Les ouvriers du pays développé perdent et les capitalistes de l’autre pays gagnent.

Les capitalistes du pays développé possèdent toujours des machines et emploient des gens, mais dans un pays différent et à des salaires inférieurs. Ensuite ils vendent les produits sur les marchés américains aux mêmes prix mais à des coûts inférieurs, donc ils tirent profit. La classe ouvrière doit alors financer sa consommation avec un niveau de dette élevé parce qu’elle n’a plus assez de revenu.

Les ouvriers dans le pays en voie de développement gagnent aussi, car c’est aussi un transfert de richesse du pays développé vers celui en voie de développement.

M. Trump est habitué à jouer dur et maintenant il devra négocier avec des bureaucrates et les bailleurs de fonds. – Steve Keen

Epoch Times: Comment les sociétés occidentales pourraient-elles laisser faire?

M. Keen : Leur motivation est le profit, et la question est de savoir si les entreprises ou le gouvernement pourraient restreindre leur avidité. Vous ne pourrez pas si vous ne vous souciez pas de ce que les salariés pensent.

Mais dans une démocratie, on en arrive au point où les travailleurs ont tant perdu à cause de la mondialisation qu’ils sont dégoûtés d’entendre le conte de fées affirmant que tout ceci est pour leur propre bien et ils ne veulent plus en souffrir. Quand ils regardent leurs rues et leurs usines délabrées, tous ces tristes emplois et leurs revenus en baisse, ils disent : « vous savez, je vais voter contre ceci. »

C’est ce que nous voyons maintenant à l’échelle mondiale avec Trump et le Brexit, cette révolte contre la mondialisation et la financiarisation. Les perdants absolus de tout cela sont la classe ouvrière du premier monde. Les gagnants sont les sociétés multinationales.

Les exportations mondiales de marchandises en trillions de dollars (Source : La Banque mondiale)

Epoch Times: La plupart des gouvernements occidentaux ont essayé de compenser les pertes d’emploi par une extension de l’État-providence. Cependant, avec l’élection de Trump, les ouvriers ne semblent plus être satisfaits de leur futur.

M. Keen : Oui, l’estime de soi des êtres humains s’acquiert avec la participation à une communauté. Lorsqu’un être humain est payé pour rester en vie, il n’est pas particulièrement heureux de cela, son estime de soi est assez basse. Mais s’il a un travail et peut contribuer à une communauté, c’est de là que vient son estime de lui-même.

Toute cette assistance sociale remplaçant le travail existe dans cette zone de la « ceinture de rouille » et rend les gens irrités et amers. Leur estime de soi est défiée et ils ne sont pas heureux avec cet état de choses.

Voilà pourquoi Trump est si attirant, ils ne se soucient pas de savoir s’il est politiquement incorrect. Ils aiment le fait qu’il est comme une grenade humaine, qu’ils ont envoyé sur Washington.

Epoch Times: Alors, qu’est ce que Trump peut faire pour inverser la situation ?

M. Keen : Une fois que vous avez transféré toutes vos ressources à l’étranger, il est très dur de changer le processus. Vous n’avez pas seulement perdu la capacité industrielle, mais vous avez aussi perdu les compétences, vous n’avez plus d’ingénieurs ni concepteurs désormais. Ils avaient l’habitude de construire de nouvelles versions chaque année, mais maintenant ils sont partis.

Ce qu’il peut faire sur le plan fiscal est bien son plan d’investissement dans l’infrastructure. S’il rentre dans un  programme massif comme il en a parlé et qu’il insiste sur la politique du « made-in America », ce qu’il fera, cela financera la réindustrialisation qui s’en suivra. Je ne m’inquiète pas d’un potentiel déficit parce qu’il a la monnaie de réserve mondiale dans ses mains et la Réserve fédérale peut imprimer autant qu’elle en a besoin.

Ainsi, si vous produisez tous les composants d’infrastructure dans le pays, vous n’avez même plus besoin de tarifs douaniers. À mon avis, même si cela n’est pas une barrière douanière au sens des règles de l’OMC, cela pourrait être le premier conflit qu’il aura avec l’OMC.

Tout cela parce qu’il y a une demande du gouvernement pour fabriquer les composants dans le pays, des besoins en capitaux pour investir et des employés formés pour ce travail. Au final, vous obtenez une augmentation de la productivité par l’infrastructure, autre côté positif.

L’emploi industriel aux Etats-Unis depuis la mise en place de l’ALENA en 1994 (Source : la Réserve fédérale de St. Louis)

Epoch Times: Qu’en est-il de droits de douane ?

M. Keen : Ce ne sera pas tranquille et il y aura des répercussions sur les sociétés américaines. M. Trump est habitué à jouer dur et maintenant il devra négocier avec des bureaucrates et les bailleurs de fonds.

Il y aura des tentatives de contrôler ce que Trump fera avec l’OMC et il sera intéressant de voir si ces tentatives seront réussies.

Epoch Times: Qu’en est-il de l’automatisation, ne rend-elle pas le processus entier vide de sens ?

M. Keen : L’une des motivations pour déplacer la production à l’étranger était la main-d’œuvre bon marché. Mais comme les robots sont de plus en plus performants, on peut avoir des machines que l’on peut recycler pour des processus d’assemblage différents.

L’impression de 3-D est maintenant devenue courante. Donc cela signifie que l’on peut produire dans un pays sans besoin de main-d’œuvre bon marché, mais également sans main-d’œuvre du tout.

Dans une société humaine performante ce ne serait pas un problème. Le problème d’un système capitaliste néoclassique est que les employés sont perdants parce que leur seule source de revenu est le salaire. S’il n’y avait plus besoin de salaires, il n’y a plus de revenu non plus.

Donc nous devons penser à un système de revenu post-capitaliste. Trump est un allier approprié, mais pas l’idéologue d’un gouvernement de petite taille.

La théorie économique conventionnelle vous fait penser que le chemin passe par la réduction du gouvernement autant que possible. Trump ne semble pas penser à cela. Il semble être beaucoup plus pragmatique dans ses prises de positions.

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