L’identité numérique, la face cachée de notre identité ?

20 octobre 2017 07:55 Mis à jour: 20 octobre 2017 01:41

« Tout le monde ment : le big data, les nouvelles données, et ce que l’Internet peut nous apprendre sur qui nous sommes vraiment » est un livre de Seth Stephens-Davidowitz analysant nos recherches Google. Cet ancien salarié du géant américain nous interpelle sur notre identité numérique.

L’existence et l’analyse de ces données cachées sous-entendent que notre identité numérique ne résulterait pas simplement de ce que nous diffuserions mais révélerait aussi notre présence masquée sur Internet. Par exemple, chaque recherche que nous effectuons dans un moteur de recherche peut donner des informations sur nos envies ou nos craintes sans que nous ne les exprimions.

Copie d’écran d’un tweet ayant fait polémique : Florian Phillippot accusé de ne pas manger des produits français. (Kelly Betesh/Twitter/CC BY)

Or cette gestion de l’identité numérique est centrale dans notre société. Plus de la moitié des employeurs font des recherches Internet sur les candidats ; les tweets des personnalités politiques ressortent avant chaque élection, la moindre trace laissée sur Internet peut parfois prendre des proportions incontrôlées.

L’identité numérique devient également importante dans nos établissements d’enseignement supérieur. En effet, les néo-bacheliers sont des digital natives, pour la plupart nés après Google (1998), qui ont découvert Facebook dès l’école primaire (2004) puis Instagram (2010) au collège.

Qu’est ce que l’identité ?
Dans le dictionnaire Larousse, l’identité est définie comme le « caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité. »

Le terme d’identité trouve son origine du latin idem, un dérivé du verbe être, qui signifie le même.

Si la définition de l’identité fait débat en sciences sociales, un certain consensus se retrouve sur l’essence de ce concept.

C’est notamment le cas de la définition d’Alex Mucchielli dans son ouvrage _L’identité : « ensemble de significations apposées par des acteurs sur une réalité physique et subjective, plus ou moins floue, de leurs mondes vécus, ensemble construit par un autre acteur. C’est donc un sens perçu donné par chaque acteur au sujet de lui-même ou d’autres acteurs ».

Ainsi l’identité serait unique, permettant de se distinguer des autres, de se reconnaître, de s’identifier à autrui.

Et l’identité numérique alors ?

Qui se cache sous le chapeau du numérique. (Abhijit Bhaduri/Flickr/CC BY)

La définition de l’identité numérique est, par nature, beaucoup plus récente et discutée.

Pour Julien Pierre, « l’identité numérique est une représentation, c’est-à-dire la redite d’un état, structurée par des capitaux qui la composent et les supports qui la contiennent, structurant les conditions d’existence sociale des individus ». Ainsi selon ce chercheur, l’identité numérique n’est que le prolongement de l’identité réelle de l’individu. Cette identité est basée sur l’existence sociale, donc le rapport aux autres.

S’agissant d’Internet le rapport aux autres ne comprend que ce qui est visible par autrui, cette définition ne prend donc pas en compte les requêtes des individus.

Pascal Lardellier définit aussi l’identité numérique autour du rapport aux autres, il met en avant le développement de l’ego avec le 2.0, avec notamment l’avènement d’un « Je expressif numérique ». Cet ego se développe avec le web social et la possibilité de s’exprimer, se mettre en avant, et donc prend plus en considération ce que nous publions que ce que nous faisons sur le web.

Dominique Cardon, de son côté, nous explique que l’identité numérique est « moins un dévoilement qu’une projection de soi. » Cette définition tend à contredire la définition classique de l’identité car nous sortons de l’équation A=A pour devenir A=A’.

Pour Fanny Georges « l’identité devient mixte elle se compose d’informations acquises en face-à-face et dans les sites sociaux ». Cette identité numérique correspond à la somme des traces conservées par le support multimédia, l’interprétation des traces de l’Autre envisagées par le sujet comme support de présentation de soi dans une « présence à distance »

Toujours selon cette chercheuse l’identité numérique est composée de 3 identités : l’identité déclarative (description, mise en page, l’identité agissante (modification de statut et de profil) et l’identité calculée (nombre de posts, de tweets ou d’amis)

Cette définition est très détaillée mais reste circonscrite à la partie visible par les autres sur les réseaux sociaux, elle est néanmoins très intéressante dans sa structure en prenant en compte plusieurs niveaux d’identité.

Une nouvelle définition de l’identité numérique
Comme certains auteurs le montrent, nous pouvons considérer que l’identité numérique est complémentaire de l’identité réelle mais elles ne sont pas assimilables, car, sous couvert d’alias, d’avatar, de pseudo, certains individus ont une vie totalement différente online que dans la vie réelle. Les pratiques, elles-mêmes, sont différentes, même si une base commune existe entre ces deux identités.

Identité numérique/identité réelle @FrançoisNicolle.

La définition que nous proposons s’appuie sur les définitions précédemment citées en prenant en compte la dualité du visible et du masqué.

L’identité numérique se compose de 5 strates : e-réputation, publications, activités, logs- in, et Moi.

Typologie identité numérique @FrançoisNicolle.

E-réputation : ce que les autres disent de nous, cela comprend tous les articles, publications qui mentionnent notre nom. Il s’agit par exemple des résultats d’une recherche Google sur notre nom.

Publications : ce que nous publions sur les différents sites sociaux. Par exemple nos publications sur Facebook, Instagram ou Twitter. C’est ce que nous rendons délibérément public.

Activités : ce que nous faisons sans que les autres internautes soient au courant. Cela comprend notre historique de navigations, nos cookies, nos recherches sur les moteurs, les messages écrits non envoyés.

Logs-in : assimilables à l’identité juridique, ce sont nos identifiants, nos mots de passes, il s’agit du processus d’identification

Moi : le Moi est l’identité intrinsèque à l’être humain.

Dans cette définition, l’identité numérique n’est plus une projection mais se rapproche d’un dévoilement. En effet nous pouvons distinguer deux types d’identité numérique. Tout comme pour l’identité réelle, il y a l’identité personnelle et l’identité sociale.

Or, pour reprendre l’expression de Dominique Cardon, « l’identité sociale est une projection de soi. » Elle correspond à ce que nous faisons dans le jeu social, pour se donner un rôle en société et comprend notre e-réputation et nos publications, ce que nous souhaitons rendre public. Mais notre identité numérique comprend aussi nos activités, logs-in et Moi, qui nous sont propres et ne contribue pas à ce jeu d’image.

Identité sociale/identité personnelle @FrançoisNicolle.

Il peut d’ailleurs exister de fortes tensions entre ces identités sociales et personnelles. Pour caricaturer nous pourrions prendre l’exemple d’un hacker qui peut dans le même temps tenir un blog sur la citoyenneté en ligne.

Un espace de liberté à domestiquer
Cette identité numérique nous ouvre un nouvel espace de liberté au travers des alias, des avatars et autres pseudos qui nous permettent d’être perçu pour ce que nous voulons. Si cet espace de liberté est à conquérir, il est surtout à préserver. En effet en communiquant toutes nos données aux géants du web nous dévoilons une part importante de nous : nos achats, nos trajets, nos désirs… Cette concentration de données au profit de quelques acteurs et le risque de dérives potentielles qui en résulte doit nous alerter sur la nécessaire éducation à l’identité numérique.

D’autant plus si nous imaginons que certains fondateurs de réseaux sociaux pourront faire le choix de la politique dans un futur proche.

The ConversationProtéger son identité c’est aussi protéger sa liberté.

 

François Nicolle, Assistant enseignant-chercheur ICD Paris, Propedia

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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