L’inévitable et périlleux sérieux budgétaire des dépenses publiques françaises

Par Germain de Lupiac
9 août 2024 08:55 Mis à jour: 9 août 2024 12:41

L’abaissement en juin de la note souveraine française par l’agence de notation S&P Global Ratings en raison d’une dette croissante a redonné des arguments au ministre de l’Économie Bruno Le Maire, aujourd’hui démissionnaire, pour justifier de futures réductions des dépenses publiques.

Ayant pu maintenir in extremis sa note de solvabilité, l’exécutif veut réaffirmer son sérieux budgétaire et tourner la page des dispendieuses mesures de soutien du « quoi qu’il en coûte » pendant les crises sanitaire et énergétique.

L’objectif est de réduire à 108,3 % du PIB en 2027 le lourd endettement de la France – contre 111,6 % fin 2022, qui la range du côté des mauvais élèves européens, et d’arriver sous l’objectif européen de 3 % de déficit public (contre 4,7 % fin 2022).

Pour y parvenir, le gouvernement table sur la fin du bouclier énergétique, les gains des réformes comme celles des retraites ou de l’assurance-chômage, et le plein-emploi sur fond de croissance qu’il entrevoit à terme plus dynamique.

Trouver des économies dans les dépenses

Ces efforts sont jugés d’autant plus nécessaires que l’environnement économique se durcit, avec le rétablissement l’an prochain des règles budgétaires européennes et la forte remontée des taux d’intérêt qui alourdit significativement la charge de la dette.

Pour diminuer endettement et déficit publics jusqu’en 2027, « nous avons identifié, notamment, avec notre première revue de dépenses publiques, au moins 10 milliards d’euros d’économies », a souligné Bruno Le Maire. Ces économies devront être trouvées sur la santé, en luttant contre l’explosion des arrêts maladie et « les dérives » des dépenses en médicaments, a-t-il détaillé.

Sont également dans le viseur, les aides au logement, rabotées de deux milliards d’euros par an, et le soutien à l’emploi en cette période de chômage bas, plus particulièrement l’apprentissage et le compte personnel de formation. Autre cible, les avantages fiscaux sur les carburants dont bénéficient notamment les transporteurs routiers ou les agriculteurs, alors que la France engage le virage de la transition énergétique. Ils seront supprimés progressivement d’ici 2030, avec un accompagnement pour les professions concernées.

Ces propositions d’économies, qui feront l’objet de concertations, alimenteront en partie le projet de budget pour 2025 qui devrait normalement être présenté en septembre quand un nouveau gouvernement sera nommé et nécessitera au moins 12 milliards d’euros d’économies pour cette seule année, a indiqué une source à Bercy.

La « fragmentation politique » de la France

Interrogée sur la nécessité de trouver davantage d’économies pour le budget 2024, une source à Bercy a indiqué qu’ « il y en aura d’autres » qui totaliseront « sans doute davantage » que 12 milliards d’euros, citant une évaluation de la Cour des comptes.

Interrogé sur une possible désindexation des pensions de retraite et des prestations sociales sur l’inflation l’an prochain – une voie d’économies potentielle, le ministre démissionnaire de l’économie avait répondu sur BFMTV qu’aucune décision n’avait été prise.

Sans majorité absolue au Parlement, le gouvernement devra trouver des compromis avec les oppositions, un exercice difficile et d’ailleurs souligné par les agences de notation. S&P a relevé « l’incertitude sur la capacité du gouvernement à continuer à mettre en œuvre des politiques » du fait de la « fragmentation politique » en France.

Les sorties sévères des figures de l’opposition ne présagent en effet pas d’entente prochaine. De LFI au Rassemblement national en passant par Les Républicains, beaucoup ont taclé le gouvernement sur son sérieux budgétaire.

« Si aujourd’hui nous avons un niveau de dette élevé, c’est pourquoi ? C’est parce que j’ai sauvé l’économie française », se défendait M. Le Maire. Cet argument « ne suffit pas », avait objecté le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, interviewé dans La Tribune, « car des politiques comparables et tout aussi coûteuses ont été menées dans tous les pays d’Europe ».

« Il y a hélas une spécificité française », a repris Pierre Moscovici, « au-delà de la dette Covid, nous avons persisté à nous endetter en développant une politique du chéquier […] alors que le reste de la zone euro a fortement réduit sa dette. »

Le financement de la transition écologique pourrait tripler les dépenses publiques 

Dans ce contexte de disette budgétaire, les dépenses publiques annuelles nécessaires pour que la France tienne ses objectifs climatiques devraient plus que tripler à l’horizon 2030, jusqu’à 103 milliards d’euros par an – sauf réformes susceptibles d’en transférer une part vers les entreprises et les ménages, selon un institut de recherche.

Ce chiffrage englobe les investissements nécessaires pour que la France tienne ses engagements européens de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 et de viser la neutralité carbone en 2050. Cela inclut l’électrification du parc automobile, la rénovation des logements, le développement des transports en commun, des énergies renouvelables et nucléaire, etc.

Mais cet effort supplémentaire, en période de difficulté financière, pourrait être ramené à un « besoin minimal » de « 39 milliards d’euros d’argent public additionnel », soit plus que doubler les dépenses actuelles, si l’État adopte une série de mesures comme « renforcer la réglementation, recentrer les aides sur les bénéficiaires les plus modestes, éliminer certaines dispositions fiscales favorables aux alternatives fossiles, s’appuyer sur les Certificats d’économies d’énergie ou les tarifs des services rendus pour les usagers ».

Les principales dépenses publiques pour la transition écologique sont attendues pour la rénovation des bâtiments (entre 16 et 40 milliards d’euros en 2030, contre 7 en 2023-2024), le ferroviaire (9 à 11 milliards au lieu de 6 actuellement) ou pour le verdissement du parc automobile (5 à 10 milliards contre 3), selon l’étude.

L’an dernier, le rapport de référence de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz avait estimé le coût de la transition entre 25 et 34 milliards d’euros d’investissements publics supplémentaires d’ici à 2030 par rapport au budget 2023 (25 milliards d’euros d’investissements). Le gouvernement d’Élisabeth Borne s’était félicité dans la foulée d’une rallonge inédite de 7 milliards dans le budget 2024, finalement rabotée de 2 milliards en février avant une nouvelle coupe imminente.

Un avenir incertain

La baisse de la note par S&P (de AA à AA-) ne devrait pas en soi conduire à une augmentation des taux auxquels la France emprunte, mais elle exprime la dégradation des finances publiques de l’Hexagone, qui se rapproche encore d’un cran des pays du sud de l’Europe, en s’éloignant des plus disciplinés au nord. L’Allemagne n’a quant à elle jamais perdu son Triple A, et se retrouve désormais trois crans  au-dessus de la France.

Pour faire mentir S&P, qui ne voit pas le déficit de la France passer en dessous de 3 % du PIB en 2027 – contrairement au gouvernement qui vise 2,9% –  il faudrait apporter plus de gages. En l’état, « les réformes ne seront pas suffisantes pour permettre au pays d’atteindre ses objectifs budgétaires », a tancé l’agence de notation dans son analyse.

« Certains demandent des objectifs plus ambitieux ; mais la première évolution serait déjà de tenir ceux affichés », a averti le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, exigeant de la fermeté dans leur déploiement.

Mais entre refus d’alourdir la fiscalité et tension sociale face à une inflation élevée, maîtriser la dépense s’annonce délicat. Surtout après une douloureuse réforme des retraites et sans majorité absolue à l’Assemblée nationale.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.

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