Gaspard Koenig enseigne la philosophie à Sciences Po Paris. Il vient de publier « La fin de l’individu. Voyage d’un philosophe au pays de l’intelligence artificielle ». Pour rédiger cet ouvrage, il a entrepris un voyage de 2 mois en Europe, aux États-Unis, en Chine et en Israël où il a interrogé plus d’une centaine de professeurs, entrepreneurs, intellectuels, politiques, économistes et artistes qui travaillent dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA).
De ses rencontres, il a déduit que les dangers de l’IA ne se trouvent pas dans la suppression du travail ou l’émanation d’une super-intelligence dépassant les capacités humaines mais dans l’abolition du respect de la vie privée et dans la montée en puissance d’une Chine qui, à l’inverse de l’Occident, n’éprouve aucune gêne à exploiter cet outil essentiel pour l’économie du XXIème siècle qui pour la première fois depuis la révolution industrielle oppose le progrès technologique – et la prospérité qui en découle, aux libertés individuelles.
Pour Koenig, l’IA n’est pas une intelligence mais une logique algorithmique. Elle ne reproduit pas le processus de la pensée humaine mais seulement son résultat. Ainsi ce n’est pas une IA qui a battu 20 médecins parmi les meilleurs dans la reconnaissance de cancers mais 20.000 médecins qui ont labellisé des centaines de milliers d’images de cancers automatisées et synthétisées par cette IA qui ont gagné.
Une IA ne peut dépasser l’intelligence humaine du fait qu’elle n’a aucune conscience d’elle même à la différence d’une personne animée par un désir de vivre, produit par une intelligence cérébrale qui conscientise la perception d’un corps biologique. Elle ne peut non plus supprimer une grande quantité d’emplois du fait qu’elle n’arrive pas à intégrer l’imprévu: un chauffeur devra reprendre la conduite de son camion automatique pour éviter un enfant qui joue sur la chaussée. Au contraire, elle en créée à profusion: ce sont les pays qui développent le plus l’IA qui subissent le moins de chômage.
Le danger de l’IA réside néanmoins dans son essence: selon l’entrepreneur Peter Thiel « l’IA est communiste ». Elle s’immisce dans les moindres interstices de la vie privée pour capter les données de l’individu afin de le cerner le mieux possible. Puis, l’IA se substitue au libre arbitre de ce dernier en influençant ses choix non pas pour son intérêt mais pour celui du groupe. Par exemple, le site de géolocalisation Waze incite le conducteur à emprunter une route qui n’est pas forcément la plus rapide pour lui mais qui permet systématiquement de désengorger les voies congestionnées.
Ainsi l’IA s’insère parfaitement dans l’idéologie néo-confucianiste du parti communiste chinois. Cette idéologie, qui prend racine dans la pensée de Confucius, énonce que l’individu n’existe pas pour lui-même mais pour l’optimisation de la société. Il doit céder toutes ses informations à un « lac de données » partagé par les grandes entreprises et les institutions étatiques qui établissent le crédit social, la surveillance généralisée grâce à des réseaux de caméras identifiant instantanément les individus ou encore des algorithmes prédisant les futurs comportements délictueux afin de neutraliser préventivement des personnes n’ayant pas encore basculé dans ces agissements, comme dans le film de science-fiction Minority Report.
De son côté, l’Occident qui a déployé une civilisation respectueuse de l’individu, renâcle à s’engager pleinement dans l’accroissement de l’IA, au risque de décrocher économiquement. Pour éviter ce repli, Koenig prône une privatisation des données personnelles: désormais ce sera l’utilisateur qui décidera de partager tout ou partie de ses données avec l’IA et non l’inverse.
Ainsi l’économie de l’IA pourra continuer de croître en Occident, certes plus lentement qu’en Chine, mais de manière plus sûr pour l’individu et pour la société qui échappera à sa propre glaciation dans laquelle les pousse l’optimisation communautaire pouvant faire péricliter l’évolution humaine dépendant de créations philosophiques, techniques et artistiques émanant de fortes personnalités, souvent dissidentes par rapport à l’air du temps.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles d’Epoch Times.
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