Les Français ont encore dégarni leurs comptes courants au premier trimestre, alors qu’au même moment le Livret A faisait le plein. La répercussion sur les autres produits financiers – notamment les fonds euros – continue à se faire sentir. Pour autant, cela ne constitue pas des « circonstances exceptionnelles » selon le professeur de droit Paul Cassia, pour légitimer la décision de l’exécutif de geler le taux du livret A à 3% jusqu’en 2025.
Les ménages français ont de nouveau pioché dans leurs comptes courants au premier trimestre, selon un baromètre trimestriel de la Banque de France paru vendredi 11 août. L’encours des billets et des pièces et sur les comptes à vue ont en effet baissé de 18,5 milliards d’euros entre janvier et mars, après un recul déjà substantiel de 14,1 milliards d’euros les trois mois précédents. Il subsiste néanmoins 782,4 milliards d’euros sous cette forme au 31 mars 2023, comme le rapporte l’AFP.
Le Livret A fait le plein, malgré le gel de son taux à 3 %
Cette baisse est à rapprocher du remplissage du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire, qui ont attiré 25,4 milliards d’euros au premier trimestre, et encore quelque 9 milliards de plus depuis, d’après les données partagées chaque mois par la Caisse des dépôts.
Sur le mois de juin, la collecte nette concernant le Livret A s’est élevée à 1,34 milliard d’euros, soit nettement moins que les 2,47 milliards de mai. Le niveau reste toutefois conséquent, et c’est même le deuxième meilleur mois de juin depuis 2009, après les 3 milliards d’euros net collectés en juin 2020, au sortir du premier confinement. L’écart entre dépôts et retraits (« collecte nette ») représentait un surplus de 20 milliards d’euros sur les trois premiers mois de l’année, favorisé par la hausse du taux porté à 3% au 1er février. Ce résultat porte pour la première fois aussi l’encours total du Livret A au-dessus de la barre symbolique des 400 milliards d’euros (401,3 milliards).
« Lors de ce premier semestre, le Livret A a conforté sa place de placement préféré des Français », comme l’a constaté Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne.
Malgré le fait que leur taux soit gelé à 3% suite à une décision gouvernementale mi-juillet, les deux produits d’épargne réglementée – le Livret A et le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) – sont bien plus attractifs que les rémunérations des dépôts à vue proposées par les banques, de 0,04% en moyenne au mois de juin pour les particuliers. Les dépôts sur les Livrets A et sur son jumeau le LDDS sont respectivement plafonnés à 22.950 euros et 12.000 euros hors intérêts capitalisés, mais sont garantis par l’État et exonérés d’impôts et de prélèvements sociaux.
Répercussions sur l’assurance vie
Le placement en fonds euros de l’assurance vie est un autre produit financier qui fait aussi « les frais de cette concurrence féroce du Livret A », selon l’AFP. Pour autant, la fédération professionnelle France Assureurs insiste – à l’instar de son directeur général Franck Le Vallois – qu’« il n’y a pas de match entre le Livret A et l’assurance-vie ». « Les chiffres mensuels de flux d’épargne financière publiés par la Banque de France montrent que le Livret A prend des parts de marché aux dépôts bancaires. L’assurance-vie reste stable et représente, année après année, environ 20% de l’épargne financière (…) L’assurance-vie est un produit d’épargne de long terme, comme le montre la durée moyenne de détention des contrats, qui atteint treize ans. Sa performance doit donc s’apprécier sur la durée. »
Cependant, «le rendement du fonds euros net de frais et de fiscalité est inférieur à l’inflation» à court terme, pointe Cyrille Chartier Kastler, président fondateur du cabinet Good Value for Money. Dans ce contexte, le Livret A apparaît de loin comme «le placement privilégié pour un particulier qui a de l’épargne de précaution et veut l’investir de manière rémunérée», estime-t-il.
Les fonds euros connaissent actuellement une collecte nette négative – à savoir des prestations supérieures aux cotisations –, une tendance qui s’accélère depuis plusieurs années : ils ont dégonflé de 15,5 milliards d’euros au premier semestre, selon les chiffres de France Assureurs. En cumulé, sur les cinq premiers mois de l’année, cette collecte nette négative atteint les 12,3 milliards d’euros. C’est près du double en comparaison du premier semestre 2022.
« Le rendement reste faible puisque les fonds en euros sont aujourd’hui gorgés d’obligations qui ont été achetées à des taux très bas. La remontée du taux servi se fera très lentement puisque les rentrées de nouveaux contrats sont moins importantes, comme l’illustre la décollecte », explique Cyrille Chartier Kastler. Et de prédire : « La décollecte sur le fonds en euros va se poursuivre dans les prochains mois. »
Le gel du taux du Livret A est-il légal ?
Il n’y a pas que les assureurs qui sont préoccupés par la hausse continue du taux du Livret A. Celle-ci inquiète également Éric Lombard, le patron de la Caisse des dépôts qui « forme le vœu que ce taux reste stable dans la durée », « dès lors que ce taux sert de base au coût du financement du logement social, et il y a 170 milliards d’euros empruntés par le logement social ». Le taux du Livret A est en effet « passé d’un plancher historique de 0,5 % à 1 % au 1er février 2022, avant de doubler encore à 2 % au 1er août 2022 puis d’atteindre 3 % au 1er février 2023 », selon l’administration française.
L’État français, à l’image de son ministre de l’Économie Bruno Le Maire, a décidé d’intervenir mi-juillet afin de bloquer le taux du Livret A à 3% pour un an et demi. Cette intervention de Bercy est soutenue par François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, estimant qu’elle « vise à pleinement intégrer les deux fonctions de l’épargne réglementée : protéger l’épargne populaire et financer de façon très importante l’économie française ». La décision de Bercy « devrait également satisfaire la Caisse des dépôts et consignations et les banques », selon les termes de l’AFP.
Mais les arguments de M. Villeroy de Galhau ne sont point convaincants pour Paul Cassia, professeur de droit à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, pour qui « le taux du livret A doit suivre la formule mathématique prévue ». En effet, suite à l’intervention du gouvernement français, le taux du Livret A est maintenu considérablement inférieur à 4,1% comme l’aurait permis la formule de calcul naturel conformément à la hausse du taux de l’inflation.
M. Cassia, qui est aussi membre du conseil d’administration de l’association Anticor, questionne la légitimité de cette intervention de l’exécutif, notamment sur la durée du gel. Ce dernier a été fixé par Bercy à 18 mois à partir du 1er août, alors qu’un arrêté publié en 2021 prévoit une révision tous les six mois. « Ici, le choix du ministre ne respecte pas la réglementation », souligne le professeur en droit public.
M. Cassia a déclaré sur son compte X (ex Twitter) avoir « saisi le Conseil d’État de la décision de Bruno Le Maire de maintenir à 3% jusqu’au 1er janvier 2025 le taux du Livret A, afin de vérifier si des “circonstances exceptionnelles” permettent de ne pas relever ce taux à 4,1% ; [ainsi que] ce taux peut être gelé pendant 18 mois ».
« Soit on respecte l’arrêté, soit on le modifie, mais on ne fait pas ce qu’on veut », insiste Paul Cassia au micro de TF1, évoquant l’arrêté du 27 janvier 2021, dont un article prévoit bien une dérogation pour fixer le taux du livret A dans un scénario exceptionnel.
L’AFP a contribué à cet article.
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