ENTRETIENS EPOCH TIMES

Loi agricole : « Cette loi ne correspond qu’à 20 ou 25% de la demande des agriculteurs », déclare Patrick Legras

mai 31, 2024 7:32, Last Updated: mai 31, 2024 7:35
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Entretien – Six mois après le début du mouvement de protestation des agriculteurs, la chambre basse a adopté mardi le projet de loi d’orientation agricole. Le texte vise à faire de « la souveraineté alimentaire un objectif structurant des politiques publiques », à « former les agriculteurs de demain » et à « simplifier les réglementations ». Si la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont appelé à voter le texte « malgré des manques et une faible ambition », la Coordination Rurale (CR) par la voix de sa présidente, Véronique Le Floc’h a estimé que « la loi agricole ne peut pas être approuvée en l’état ». Le porte-parole de la CR, Patrick Legras nous explique pourquoi.

Epoch Times – Monsieur Legras, la présidente du syndicat dont vous êtes membre, Véronique Le Floc’h a déploré une « loi agricole qui ne peut être approuvée en l’état ». Pour quelles raisons ?

Patrick Legras – Il y a plusieurs raisons. Même si nous sommes satisfaits du retrait du GFAI/GFAE (groupement foncier agricole d’investissement, ndlr) et de l’apparition du mot « revenu », le diagnostic modulaire nous apparaît très clairement comme une contrainte supplémentaire puisqu’il risque d’alourdir la procédure de transmission.

Le gouvernement nous a parlé de simplification et ajoute un stage de sensibilisation aux enjeux environnementaux. Il faudra qu’on nous explique. Je rappelle que le Conseil Stratégique Phytosanitaire (CSP) et le Certiphyto existent déjà. Donc, pourquoi rajouter un stage supplémentaire ?

Nous déplorons également avec cette nouvelle loi la création d’une suradministration avec « France Services Agriculture ». Cela signifie que de nouveaux fonctionnaires vont être embauchés et vont être certainement payés par les chambres d’agriculture étant donné que les comptes de l’État sont dans le rouge. Mais les chambres d’agriculture ne sont également pas en bonne posture financière. Je suis actuellement en déplacement à la Réunion. La chambre d’agriculture de l’île connaît un déficit de 6 millions d’euros. Et le gouvernement veut qu’il y ait plus de fonctionnaires… Ça ne peut pas continuer.

Enfin, cette loi, prévoit d’augmenter de 30% d’ici à 2030 le nombre d’apprenants dans les formations de l’enseignement agricole. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas un problème de formations, mais de revenus et donc de prix. Par exemple, à la Réunion, on parle du sucre. Il faut savoir que les primes ne sont pas données aux agriculteurs, mais aux industriels. Donc pour qu’il y ait un véritable changement, il faudrait donner un peu plus d’argent aux agriculteurs au lieu d’en donner aux industriels.

Il ne faut pas reporter le problème sur le manque de formation de l’agriculteur, mais sur le manque de performance de l’État dans l’analyse des besoins. C’est aussi à l’industriel d’être plus performant et de mieux rémunérer l’agriculteur. En fait, cette loi ne correspond qu’à 20 ou 25% de la demande des agriculteurs. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a failli être retoquée.

Le nouveau service « France Services Agriculture » ne répondrait-il pas à l’enjeu du renouvellement des générations ?

Ce service n’a pas pour objectif d’aller chercher des nouveaux adhérents, mais de mieux former et d’évaluer une exploitation, savoir si elle est transmissible ou non, d’estimer si elle a suffisamment d’appuis environnementaux et d’estimer également sa valeur de reprise.

Quel est l’intérêt ? C’est un doublon par rapport aux chambres d’agriculture qui, je le rappelle, sont en déficit. France Services Agriculture ne me dérange pas en soi, mais qu’est que ce qu’il va apporter ?

Aujourd’hui, beaucoup d’agriculteurs ne vivent pas de leurs revenus. Est-ce que vous pensez qu’embaucher encore des gens qui vont être obligatoirement payés, en partie, par les agriculteurs, va améliorer leurs revenus  ? Je n’en suis pas sûr.

Le texte prévoit également de simplifier les réglementations imposées au monde agricole, en particulier les règles sur la gestion des haies ou encore « d’accélérer les décisions des juridictions dans les contentieux portant sur des projets de retenues d’eau et d’installations d’élevage ». Pour vous, ce n’est pas suffisant ?

Aujourd’hui, la gestion des haies relève d’une réglementation franco-française. Je peux, en tant que responsable syndical et pour avoir une bonne image en matière de protection de l’environnement, planter des haies, mais je ne vais rien gagner en termes de revenus.

En plus, nous avions demandé que ces haies ou ces plantes viennent de productions françaises. Aujourd’hui, on se rend compte qu’elles vont venir de Belgique, de Pologne et d’Espagne.

À propos des retenues d’eau, qu’il y en ait 80 ou 150, ce n’est pas le sujet. Ce sont des chiffres donnés par des gens de la région parisienne. Il faut mettre des retenues d’eau là où il y a un intérêt et ne pas agir en fonction de l’attitude de certains mouvements. Je pense notamment aux Soulèvements de la Terre qui manifestent à chaque fois qu’on parle de l’installation d’une réserve d’eau.

Je plaide pour trois ou quatre jours d’assises de l’agriculture. On met tous les acteurs autour de la table et on fait en sorte que tout le monde en sorte satisfait.

Êtes-vous quand même satisfait par certains éléments du texte ?

Oui, encore une fois, le retrait du GFAI/GFAE et l’apparition du terme « revenu » constituent une victoire pour la Coordination rurale. Et l’élévation de l’agriculture au rang d’intérêt général majeur qui contribue à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation est un progrès notoire. Désormais, la sécurité alimentaire et la protection de l’environnement sont placées au même niveau.

Le sujet des traités de libre-échange est le grand absent de ce texte. Vous le regrettez ?

On sait très bien que c’est l’Europe qui s’occupe des traités de libre-échange et non la France. On se rend de plus en plus compte, qu’aujourd’hui, la France n’est pas forcément le décideur sur un grand nombre de sujets agricoles. C’est Ursula von der Leyen qui est obligée de ratifier la PAC ou d’autoriser le changement des normes écophyto, par exemple.

C’est dramatique d’avoir perdu autant de souveraineté et de pouvoirs de décision pour notre agriculture qui est quand même l’une des plus importantes et prestigieuses au monde, tant par sa diversité que par la qualité de ses produits.

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