Arrivé à l’Assemblée nationale lundi, le projet de loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030 est actuellement débattu en première lecture par les députés — 1700 amendements ont été déposés — et il le sera encore jusqu’au 6 juin, jour d’un vote solennel avec pour objectif une promulgation la veille du 14 juillet. Un « hasard » du calendrier, car il s’agit de la date de la fête nationale et des armées. Le gouvernement table sur une hausse significative du budget des armées au cours des sept prochaines années, mais prévoit toutefois des objectifs d’équipements militaires revus à la baisse, qui laissent penser à certains observateurs, dans un contexte d’un retour tragique de l’histoire et d’inflation, à un manque d’ambition. L’occasion de faire le point sur les tenants et aboutissants de ce texte législatif, dont le vote au Parlement constitue néanmoins une étape cruciale pour un exécutif politiquement fragilisé et encore embourbé dans la crise des retraites.
Budget de la LPM
413,3 milliards d’euros sur sept ans : il s’agit du besoin identifié par le gouvernement en matière de dépenses militaires jusqu’à 2030. Une augmentation de plus de 40% par rapport à la précédente loi de programmation militaire 2019-2025 (295 milliards). Déjà en hausse depuis six ans, le budget de la Défense devrait donc connaitre une croissance par marches successives au cours des prochaines années avant de finalement atteindre puis dépasser 2% du produit intérieur brut français. L’enveloppe allouée pour les armées s’établira ainsi à 68,9 milliards d’euros en 2030. 400 milliards d’euros sont financés par des crédits budgétaires ; 13,3 milliards le seront en partie par des ressources extrabudgétaires (5,9 milliards d’euros) : un dernier point qui représente un « hiatus » aux yeux du Haut conseil des finances publiques (HCFP), relate Public Sénat.
Le 10 mai, lors d’une audition conjointe de la commission des finances avec la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, Pierre Moscovici, président du HCFP, a ainsi annoncé que « le Haut conseil ne peut pas assurer que la trajectoire des besoins programmés, qui est évaluée à 413 milliards d’euros, soit entièrement pris en compte dans le projet de loi de programmation des finances publiques ». En d’autres termes, « il y a donc un hiatus de 13,3 milliards d’euros ». La part de ce budget qui dépend d’un financement par solidarité interministérielle et par marges frictionnelles (les 7,4 milliards d’euros restant hors ressources extrabudgétaires) constitue un point « d’incertitudes », estime-t-il.
« Il n’y a rien de trop », assure le ministre des Armées Sébastien Lecornu. Et pour cause : le budget de la défense devrait être grignoté de 7% à cause de la seule inflation, soit une trentaine de milliards d’euros, et sera pour une bonne partie allouée à l’entretien d’un équipement militaire en déshérence. De quoi faire dire au ministre devant l’Hémicycle que cette enveloppe de 413 milliards d’euros sur sept ans est nécessaire pour la « réparation d’un outil » de défense « abîmé dans le passé par des politiques court-termistes ».
Objectifs de la LPM
Dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’escalade des tensions géopolitiques, l’exécutif vise l’atteinte de plusieurs objectifs par l’intermédiaire de cette LPM. Tout d’abord, la modernisation des outils de dissuasion nucléaire via l’acquisition de futurs sous-marins lanceurs d’engins, missiles M51 et ANS4G… Une actualisation qui consomme 13% des crédits. En second lieu, la « fidélisation » des troupes et l’amélioration de l’attractivité du secteur de la défense. Si l’objectif d’emploi de 275.000 militaires et civils (hors réservistes) demeure inchangé, les crédits grimpent de 87 à 98 milliards d’euros sur la nouvelle période pour augmenter les rémunérations dans cette perspective.
S’agissant des équipements (avions, blindés…), 268 milliards d’euros sont prévus. Le budget dédié à leur entretien opérationnel grimpe de 40 % (49 milliards d’euros), tout comme celui de l’entraînement des forces militaires (65 milliards).
Les « nouveaux champs de conflictualité » font l’objet d’une attention accrue dans ce budget : l’espace (6 milliards, +40 %) comme le cyber (4 milliards, +300 %). Deux fois plus d’argent doit également être alloué aux drones (5 milliards d’euros), 5 milliards au renseignement et deux milliards aux forces spéciales.
Par ailleurs, la LPM prévoit la construction du nouveau porte-avions à propulsion nucléaire français, censé remplacer le Charles-de-Gaulle pour 413 milliards d’euros. Le chantier démarrera à horizon fin 2025 et début 2026 avec les premiers essais en mer en 2036-37.
La LPM entend aussi solutionner les carences militaires mises en évidence par le conflit en Ukraine, notamment en accroissant les stocks de munitions (16 milliards d’euros, +45 %) ou les dispositifs de défense sol-air (5 milliards). Des mesures largement insuffisantes selon plusieurs experts. « Le président a préféré conserver l’armée de nos habitudes », estime ainsi Jean-Dominique Merchet, journaliste à l’Opinion et spécialiste des questions militaires, dans un entretien sur France inter ce 24 mai. Ce dernier met particulièrement l’accent sur le risque associé à l’abandon de « cette idée d’avoir de la masse » : « Qu’est-ce qu’on voit avec la guerre d’Ukraine ? C’est que la masse, la quantité, c’est quelque chose qui compte dans la guerre. On voit bien les débats autour du nombre de munitions, de chars… On a abandonné cette idée d’avoir de la masse. On aurait pu se reposer la question à l’occasion de cette loi de programmation militaire : est-ce que l’on va acquérir de la masse supplémentaire ? » Et d’asséner : « Ma conviction personnelle, c’est que notre armée bonsaï est au bout de son histoire. » Pour le journaliste, le gouvernement, en investissant tous azimuts en quantités échantillonnaires dans différents secteurs de la défense, se prive d’un renforcement des domaines les plus stratégiques pour l’armée. De quoi lui inspirer la formule : « L’armée française, c’est une armée américaine qui sait tout faire dans tous les domaines mais… comme un bonsaï. »
Une analyse partagée par Thomas Gomart, directeur de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), également présent sur le plateau de France inter : « Le point le plus important, c’est : est-ce que l’on se place dans la possibilité d’un engagement majeur ou est-ce qu’on considère que le cycle des interventions extérieures finies, on fait un pari sur un état de paix qui va durer. Ce que je reprocherais à cette LPM en termes géopolitiques, c’est un pari très optimiste sur notre environnement, un pari qui se dit : “En 2030, les choses seront plus ou moins stabilisées“. C’est un modèle qui peut tenir en temps de paix comme on l’a connu jadis. Mais ce n’est pas un modèle qui se dit que la guerre en Ukraine peut continuer, s’amplifier, se dégrader d’ici 2030, qui se dit qu’en Méditerrannée orientale, il peut se passer des choses beaucoup plus sérieuses d’ici 2030. Au fond, c’est un pari sur le maintien de l’état de paix, que l’on souhaite tous, mais c’est un pari audacieux. »
Une baisse du nombre d’avions et de blindés
Autre point de déception : les armées recevront 2300 nouveaux blindés sur la période 2024-2030, soit 30% de moins que planifié auparavant. En 2030, l’armée de l’Air disposera de 137 Rafale contre un objectif initial de 185 et de 35 avions de transport A400M (contre 50 anticipés), et la Marine ne pourra compter que sur trois des cinq frégates de défense et d’intervention.
Parmi la batterie de mesures contenues dans le texte, l’une d’entre elles se concentre sur le contrôle des activités d’anciens militaires au bénéfice d’entités étrangères. Le Royaume-Uni avait adopté des dispositions de cet ordre dans le but d’enrayer le recrutement de pilotes militaires britanniques par la Chine afin de former ses propres aviateurs. Enfin, plusieurs articles s’inscrivent dans le sens de « l’économie de guerre » voulue par le président de la République, comme les réquisitions au profit de la défense ou la constitution de stocks stratégiques de matières premières et composants.
Comment pouvez-vous nous aider à vous tenir informés ?
Epoch Times est un média libre et indépendant, ne recevant aucune aide publique et n’appartenant à aucun parti politique ou groupe financier. Depuis notre création, nous faisons face à des attaques déloyales pour faire taire nos informations portant notamment sur les questions de droits de l'homme en Chine. C'est pourquoi, nous comptons sur votre soutien pour défendre notre journalisme indépendant et pour continuer, grâce à vous, à faire connaître la vérité.