C’est une école un peu spéciale près de Washington, ouverte le week-end et dédiée aux membres de la diaspora ouïghoure désireux de parler leur langue, un élément central de leur culture et un vecteur pour échanger sur les drames subis par leurs proches demeurés en Chine.
Bienvenue à la « Ana Care and Education », un lieu où l’enseignement est apolitique, insiste Irade Kashgary, 29 ans, qui a co-fondé l’école avec sa mère Sureyya. Malgré cette neutralité affichée, les élèves les plus âgés peuvent trouver ici un espace « pour discuter en sécurité de ce qui se passe, des conséquences qu’ils endurent », ajoute-t-elle.
Les Ouïghours, musulmans turcophones et première ethnie de la région chinoise du Xinjiang, sont victimes d’une féroce politique répressive. Les autorités de Pékin en ont enfermé plus d’un million dans des camps de rééducation politique, selon des organisations de défense des droits humains. Le gouvernement chinois affirme lui que ces sites sont des centres de formation professionnelle destinés à les éloigner de la radicalisation.
À l’école « Ana Care and Education », l’enseignement se focalise sur la langue, l’histoire et la culture des Ouïghours, bien plus liés aux peuples d’Asie centrale qu’à l’ethnie Han, majoritaire en Chine.
Un besoin de conserver ce qu’il leur reste
Beaucoup des élèves ou étudiants ont été forcés de quitter le Xinjiang pour fuir la répression. L’école, pour eux, vient tenter de combler un vide et ce lien rompu avec leur terre natale, qu’ils nomment Turkestan oriental.
« Ce sentiment de perte a nourri le besoin de conserver et préserver notre culture et notre langage », analyse Mme Kashgary. Les enfants en exil « n’ont même plus de cousins, d’oncles et tantes avec qui échanger, afin de garder la langue vivante ».
L’école, située près de la capitale américaine dans l’État de Virginie, a commencé en 2017 avec une vingtaine d’élèves. Ils sont aujourd’hui une centaine. La Virginie compte près de 3000 locuteurs ouïghours, selon des estimations de la communauté.
Le génocide au Xinjiang est bien réel
Pour eux, le simple fait d’appeler un membre de leur famille resté au Xinjiang peut avoir de terribles conséquences. « Nous voulons parler à nos proches par téléphone ou par internet, mais ce n’est pas possible car si on se connecte, il y a un risque qu’ils soient emprisonnés », confie Savut Kasim, 49 ans, dont les enfants étudient ici.
« Le génocide des Ouïghours au Turkestan oriental est bien réel », poursuit-il. « Alors on tente de conserver notre langue par tous les moyens possibles ». Ces dernières années, plusieurs pays occidentaux, dont les Pays-Bas, la Belgique, le Royaume-Uni, le Canada, la France ou les États-Unis ont dénoncé le « génocide » des Ouïghours, à travers une motion de leur parlement ou une prise de position de leur gouvernement.
Libre de parler la langue de ses parents
Cette volonté de préservation est partagée par des membres d’une première génération d’Américains qui n’ont pas connu le Xinjiang.
Muzart, 18 ans, a appris à lire et écrire la langue de ses parents dans une école ouïghoure. Il est désormais bénévole dans un programme estival d’enseignement linguistique en Californie. « On essaie de parler aux enfants seulement en ouïghour », dit-il. Zilala Mamat, 18 ans également, étudiante dans le Michigan, a elle cofondé en 2021 un réseau destiné à la jeunesse ouïghoure, tissant des connexions par les réseaux sociaux autour d’événements divers.
Être survivant du génocide
« Cela manquait au sein de notre communauté », constate la jeune femme, en déplorant que ces jeunes soient privés de la possibilité de faire des voyages vers leur berceau familial. « Nous sommes les survivants d’un génocide. (…) On est différent des autres », affirme de son côté Asena Izgil, une autre étudiante, âgée de 21 ans.
Sa vie au Xinjiang a basculé en 2017, relate cette exilée née dans la grande ville d’Urumqi, la capitale du Xinjiang. « Des amis et des proches, des gens qu’on connaît, ont eu des problèmes. On les a envoyés dans des camps ou en prison. Mon père était très inquiet. Nous avons décidé de partir ».
À l’opposé, sur le sol américain, « nous mangeons de la nourriture ouïghoure, ma mère nous apprend la cuisine ouïghoure, nous célébrons les fêtes ouïghoures, nous suivons toutes les coutumes religieuses que nous ne pouvions pas suivre sur notre terre natale…. de façon libre et sans crainte ».
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