L’ombre du FMI derrière le déficit budgétaire de la France

Par Ludovic Genin
23 août 2024 08:46 Mis à jour: 23 août 2024 16:22

La France doit rapidement agir sur sa « trajectoire budgétaire » si « elle veut ‘recréer des marges de manœuvre' », a estimé fin juillet le chef économiste du FMI, Pierre-Olivier Gourinchas, alors que l’Hexagone reste toujours dans l’incertitude sur le plan politique, sans gouvernement et sans majorité à l’Assemblée.

La Commission européenne a ouvert fin juin la voie à des procédures disciplinaires pour déficits publics excessifs contre la France. Fin mai, le gouvernement subissait la première dégradation de la note souveraine de la France par S&P depuis 2013, l’agence de notation sanctionnant les déficits publics du pays et ne croyant pas à ce stade au rétablissement des comptes promis d’ici la fin du mandat d’Emmanuel Macron en 2027. La situation inquiète d’autant plus que les taux d’emprunt de la deuxième économie européenne ont subitement augmenté et la place financière de Paris a chuté sous l’effet de l’instabilité causée par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, et le risque de blocages institutionnels à la rentrée.

La France « peut faire plus » pour réduire son déficit budgétaire en profitant du retour de la croissance en Europe, avait déclaré fin juin la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva. La France doit économiser 25 milliards d’euros en 2024 pour redresser ses finances, assurait le ministre démissionnaire de l’Économie Bruno Le Maire, des économies que le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal n’a pas prises en compte lors de son annonce de la reconduction du budget en début de semaine.

La France doit revoir sa « trajectoire budgétaire » selon le FMI

« Il est important de rassurer les marchés mais aussi de recréer des marges de manœuvre. Il ne s’agit pas simplement de faire plaisir aux investisseurs mais de […] pouvoir engager des dépenses sur des nouveaux chantiers », a déclaré Pierre-Olivier Gourinchas.

Le chef économiste du FMI s’exprimait à l’occasion de la présentation de la dernière actualisation de son rapport annuel sur l’économie mondiale (WEO), dans lequel il anticipe une croissance de 0,9 % en 2024 pour la France, mieux que les 0,7 % anticipés en avril dernier.

« Sans ajustement sérieux » de la trajectoire budgétaire, « il va être difficile d’atteindre les objectifs d’un retour du déficit à 3 % du PIB pour 2027 », a néanmoins précisé Pierre-Olivier Gourinchas. « La situation actuelle augmente l’incertitude économique, qui peut dériver du processus politique mais également d’une incertitude importante quant à la trajectoire budgétaire qui sera mise en place », a-t-il insisté.

« Il est nécessaire de réduire cette incertitude et d’avoir un accord qui soit le plus large possible pour prendre en compte cette situation budgétaire. Il faut que l’on soit capables de disposer de marges pour faire face aux chocs futurs car elles sont aujourd’hui très faibles », a précisé Pierre-Olivier Gourinchas.

La croissance au secours du déficit budgétaire

La France « peut faire plus » pour réduire son déficit budgétaire en profitant du retour de la croissance en Europe, selon Kristalina Georgieva. « Les pays qui ont une dette et un déficit relativement élevés, en ce moment où l’économie se porte mieux que prévu, devraient en profiter et être plus déterminés pour réduire leur dette et leur déficit », a déclaré la directrice générale du FMI, en marge d’une réunion des ministres des Finances de l’UE au Luxembourg.

La patronne du FMI a aussi déclaré que la France devait alléger la dette et le déficit élevés qu’elle a sur les épaules, pour pouvoir continuer d’avancer.

« Ce sont des décisions que les pays doivent prendre pour eux-mêmes, en consultation et en coordination avec les institutions européennes », a-t-elle ajouté, « ce sont les Français qui choisissent leur gouvernement et c’est le gouvernement qu’ils choisissent qui décide des politiques à mener ».

L’institution estime également que l’inflation va continuer de refluer et prévoit qu’elle revienne « dans la deuxième moitié de 2025 » à sa cible de 2 % fixée par la Banque centrale européenne (BCE), alors qu’elle était de 10,6 % en octobre 2022.

10 milliards d’euros de crédits supplémentaires gelés par le gouvernement

Le gouvernement a gelé 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires en juillet, amenant à « une réserve » de 16,5 milliards d’euros pour réduire le déficit, a annoncé le ministre démissionnaire délégué aux Comptes publics Thomas Cazenave. Ajoutés aux 5 milliards d’économie souhaités par Bruno Le Maire dans le budget 2025, la France pourrait, en théorie, s’approcher des 25 milliards d’économie, demandés la première année par la Commission européenne pour sortir du déficit excessif.

« J’ai gelé près de 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires. Le nouveau gouvernement pourra soit y renoncer, soit prendre d’autres mesures pour accompagner notre désendettement », a affirmé mi-juillet le ministre démissionnaire et député de Bordeaux. « Entre les 10 milliards gelés en juillet, et ceux gelés avant, nous avons une réserve de 16,5 milliards d’euros de précaution », a-t-il affirmé.

« L’intérêt supérieur du pays est d’avoir un budget pour 2025 avant la fin de l’année. […] On s’est mis en situation de présenter un projet de loi de finances au 1er octobre », a ajouté M. Cazenave.

La France doit économiser 25 milliards d’euros en 2024 pour redresser ses finances, selon le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, qui a envoyé au Premier ministre Gabriel Attal des propositions de plafonds de dépenses ministère par ministère, avec une « baisse des crédits de l’État » de 5 milliards, dans le but de ramener le déficit public sous les 3 % du PIB en 2027.

Un couplage de baisses de dépenses et de mesures fiscales ?

Pour sortir de la zone dangereuse du déficit excessif, le Conseil d’analyse économique (CAE) a soutenu dans une note publiée fin juillet, que « pour garantir la soutenabilité de la dette, continuer à se financer à des taux d’intérêt bas et respecter ses engagements européens, la France doit réduire son déficit public » – ce qui est devenu une évidence au cours des mois. Mais la France doit aussi « éviter une consolidation trop rapide » des finances publiques, « pour protéger la croissance et éviter une hausse du chômage », avertissent Adrien Auclert, Thomas Philippon et Xavier Ragot, les trois économistes ayant rédigé la note.

En avril, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) avait estimé que les 20 milliards d’euros de coupes dans les dépenses prévues en 2025, pourraient ralentir la consommation et l’investissement et réduire à leur tour la croissance nationale.

Le CAE propose un assainissement « modéré mais soutenu » des finances publiques, de façon à ce que la France soit en mesure « à moyen terme » (d’ici 7 à 12 ans) de dégager chaque année un excédent de l’ordre de 1 point de PIB.  Un tel excédent permettrait « de placer la dette publique sur une trajectoire durablement décroissante » pour autant qu’il n’y ait pas de nouvelles « crises » économiques.

Pour trouver les « 112 milliards d’euros » d’ici 7 à 12 ans qui permettraient de dégager chaque année des excédents, « des mesures temporaires devraient probablement être également prises, telles que des hausses temporaires de taxes. », ce que le Président et l’opposition semblent vouloir éviter – la charge fiscale sur les Français étant déjà à des niveaux record.

Le CAE propose également une sous-indexation généralisée des dépenses et des tranches d’imposition. « À titre purement illustratif », si le salaire de base des fonctionnaires, « l’ensemble des prestations sociales en espèces et le barème de l’impôt sur le revenu étaient tous gelés en 2025, plutôt que revalorisés à la hauteur de l’inflation de 2024 (estimée à 2,5 %), cela rapporterait environ 20 milliards d’euros aux comptes publics », illustre le CAE.

Parmi les mesures « ayant un impact positif sur les comptes publics », les trois auteurs de la note citent le recentrage des aides à l’apprentissage sur les jeunes les moins qualifiés (4 milliards d’euros d’économies selon l’OFCE), le ciblage des exonérations de cotisations patronales sur les bas salaires (2 milliards) ou la réforme du crédit d’impôt recherche, de façon à le recentrer sur les petites et moyennes entreprises (2,5 milliards d’euros d’économies). Le CAE suggère enfin de supprimer certaines niches fiscales liées aux droits de succession, pour un gain anticipé de 9 milliards d’euros.

Pour éviter la mise sous tutelle de la France par le FMI, menace agitée comme un éventail à la veille des législatives en cas de victoire du NFP ou du RN, la France doit quand même faire des efforts supplémentaires dans un contexte d’instabilité politique et après des années de “quoi qu’il en coûte”, promue par le gouvernement, plutôt que de se concentrer sur la baisse des dépenses d’un pays déjà surendetté.

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