« Si l’on veut réussir, il vaut mieux rester longtemps dans la même entreprise »

novembre 27, 2016 9:39, Last Updated: novembre 30, 2016 10:21
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La chaire nouvelles carrières s’intéresse à l’évolution des parcours et à la réussite professionnelle des individus, notamment par le suivi régulier d’un panel de 120 000 personnes. Mettant à l’épreuve du concret les discours entendus dans les médias ou chez les politiques sur ce à quoi devrait ressembler ou non les parcours professionnels à ce jour, les travaux de la chaire plaident pour un meilleur accompagnement des individus au sein de leur entreprise. Rencontre avec Jean Pralong, responsable de la chaire « nouvelles carrières » à la Neoma Business School

Vos travaux récents démontrent que rester longtemps dans la même entreprise est synonyme de réussite ?

M. Pralong (amabilité de Jean Pralong)

 

On s’est aperçu de quelque chose de tout à fait inattendu : beaucoup de gens restent dans les mêmes entreprises et ce sont ceux-là qui gagnent le plus et qui sont les plus satisfaits. C’est paradoxal, car on dit souvent : « Il faut beaucoup bouger, changer d’employeur, la réussite passe par là, etc. ». Ces discours-là ne sont pas un conseil objectif ou rationnel, ce sont simplement des idéologies, des croyances. Nous démontrons aujourd’hui que ce n’est pas du tout efficace. La réalité, c’est l’inverse : si l’on veut réussir, il vaut mieux rester longtemps dans la même entreprise.

D’après vos travaux, l’idée de carrière apparaît en déclin dans les discours actuels. Faudrait-il la réhabiliter ?

Oui, de nos jours, cette idée se résume à dire : tout le monde a un parcours professionnel, donc tout le monde a une carrière. En réalité, on confond ces deux termes. Et puisque l’on parle de parcours professionnel, on a tendance à penser que l’individu doit gérer sa carrière, qu’il s’agit de son propre problème, non celui de l’entreprise. Nous démontrons que les entreprises ont un enjeu très important, celui de gérer le parcours de leurs salariés quitte à les laisser peut-être un peu moins libres et les amener à occuper des postes et des fonctions qu’ils ne connaissent pas forcément, en échange de la garantie de les garder plus longtemps. C’est important car dans la transformation digitale à laquelle on assiste, il y a beaucoup de nouveaux métiers qui apparaissent. Or, si l’on laisse les salariés gérer eux-mêmes leur carrière, ils vont avoir beaucoup de mal à s’intéresser à des métiers qu’ils ne connaissent pas. Ce fonctionnement amène les entreprises à ne pas bien savoir comment gérer les parcours des salariés, et dans le même temps, elles ne savent pas trop comment trouver les bons candidats à certains postes.

Certains politiques parlent de sécuriser les parcours professionnels à travers la formation continue… Y a-t-il une précarité ?

La plupart du temps, la stratégie du départ de l’emploi consiste à quitter son poste parce qu’on pense qu’il n’est pas pérenne, stable. Il y a une part de la mobilité externe qui provient du départ des salariés, et notamment des cadres. Les gens pensent qu’ils doivent bouger pour rester employables et dans le même temps, leur entreprise ne leur propose rien, elles se sont adaptées à cette idée de mobilité externe inéluctable et s’y sont résignées. Il n’y a pas de discours interne à ce sujet, ces entreprises ne sont pas en démarche pro-active par rapport à la gestion des carrières. Les seules personnes qui parlent d’emploi et de carrière aux individus en poste, ce sont des gens de l’extérieur, des recruteurs.

Vous opposez la notion de flexibilité quantitative de l’emploi, formulée ainsi dans la loi El Kohmri, à une flexibilité qui se devrait d’être qualitative. Pouvez-vous expliquer ?

Beaucoup d’entreprises ont réduit leurs effectifs et tournent à présent avec un minimum de salariés. J’utilise souvent cette formule : les effectifs sont à la fois le plafond et le plancher. On ne peut plus les réduire mais on ne peut pas non plus les augmenter car cela coûte trop cher. Or, on raisonne encore comme s’il était inévitable que les entreprises licencient et baissent encore leurs effectifs, et en même temps on se préoccupe aussi du chômage qui grimpe. La question n’est pas de considérer ou non si l’on va encore licencier. Le vrai enjeu est dans les entreprises. Celles-ci devraient être accompagnées dans leur capacité à transformer leurs salariés par la fidélisation, à les amener à prendre de nouvelles compétences et de nouveaux postes par la mobilité interne. C’est l’idée d’une flexibilité qualitative. Or, ce qui se passe aujourd’hui, c’est l’inverse : on laisse les gens partir puis on en recrute de nouveaux pour remplacer les départs. On ne comprend pas bien l’intérêt que les gens ont à passer d’un poste à un autre.

(Pixabay.com)

Certains analystes, plutôt minoritaires, défendent l’idée que les jeunes n’arrivent pas à trouver un emploi qui leur corresponde, et acceptent n’importe quel poste au prix d’un parcours professionnel très flexible. Les jeunes ont-ils peur de dire ce qu’ils veulent faire ?

Pour des raisons vraiment politiques, ce pays, la France, a décidé qu’il fallait préserver l’emploi des gens de 40 ans, puis accompagner le départ de l’emploi des gens qui avaient plus de 55 ans. Mais en réalité, ces choix se font totalement sur le dos des gens en début de carrière, les plus jeunes, pour lesquels on a inventé toute une série de stratégie de diffèrement de l’entrée dans la vie active, avec l’apprentissage, les stages, les CDD, etc. On a également mis en place ce système qui permet aux entreprises de se payer des gens jeunes et compétents pour pas très cher, et du coup de faire des économies sur ce type de salariat.

On voit aujourd’hui des jeunes qui sortent de formations Bac + 5 et qui partent pour un à trois ans de statut précaire sans savoir à quel moment ils pourront véritablement entrer dans un cadre sécurisé, ce qui est assez terrible. Ils prennent donc les emplois qu’ils peuvent. C’est un grand paradoxe : ces jeunes, qui sont des gens compétents, ont un mal terrible à s’insérer dans le monde de l’entreprise. On leur reproche de ne pas être suffisamment engagés, disciplinés. C’est d’une malhonnêteté intellectuelle phénoménale, car ce sont eux à qui l’on impose le plus de flexibilité et de contraintes.

Le marché est assez demandeur au niveau de la jeunesse, ce sont eux que l’on recrute. Il demeure plus facile de s’insérer pour des gens qui ont 25 ou 30 ans que pour des gens qui en ont 50. Le problème réside dans le statut qu’on leur propose et dans la précarité de leurs emplois. Il faudrait pouvoir créer des emplois plus stables et pérennes, peut-être arriver à l’imposer aux entreprises, en faire un enjeu.

Les tremplins, les emplois jeunes, cela fait partie de ce que vous décrivez ?

The Good Job® de Jean Pralong, 26 euros format broché, Éditions PEARSON (aucun)

Oui, ce sont les affaires de la génération Y. Cela me fait bondir quand j’entends quelqu’un qui a 40 ans et gagne un salaire plus que conséquent pleurer des larmes de crocodiles en disant « ces jeunes, on fait tout ce que l’on peut pour les intégrer mais il ne le veulent pas », alors qu’en réalité, la sécurité de l’emploi des quadragénaires est payée par ces jeunes.

Selon vous, y a-t-il des propositions des candidats à la présidentielle qui pourraient être des pistes d’amélioration ?

Je pense que le principal problème est que l’on est totalement piégé par notre culture occidentale qui a un problème avec l’idée de la jeunesse. Cela dure depuis quasiment un siècle, on est convaincu que les jeunes sont compliqués, créatifs mais indisciplinés. Même les propositions qualifiées de généreuses vont toujours tourner autour de l’idée de respecter la jeunesse et ses spécificités. Or, il n’y a pas de spécificité, la jeunesse cherche un travail apportant une sécurité, elle cherche à pouvoir s’impliquer, s’engager dans l’entreprise, selon des modalités pas très différentes de celles des gens qui ont 35 ou 40 ans.

Aux États-Unis, beaucoup d’étudiants peinent à rembourser leur prêt étudiant… le problème n’est pas forcément franco-français ?

Je ne sais pas s’il y a une relation entre les deux, mais dans la culture occidentale, qui comprend aussi les États-Unis, il y a l’idée que les jeunes doivent manger leur pain noir d’abord. C’est donc à eux de se débrouiller pour trouver un emploi, pour financer leurs études. Ils auront toute la vie après pour trouver leur place, car ils ont après tout du temps pour cela. Cela incite à ne pas leur accorder beaucoup de place.

Mais on voit aussi que cela permet de préserver la position confortable des gens en postes.

Vous avez sorti un livre la semaine dernière, de quoi traite-t-il ?

The Good Job est une méthode pour apprendre aux salariés à gérer leur carrière en essayant de leur donner des clés qui soient valides, basées sur des résultats scientifiques et non sur des croyances ou des idéologies. L’idée était de récupérer tout ce que moi et mes collègues avons fait en matière de recherche, tout ce que l’on sait sur ce qu’est une carrière, toute la différence entre ceux qui réussissent et ceux qui ne réussissent pas. Nous avons transformé cela en méthode pour permettre aux gens de comprendre ce qu’est la « compétence à s’orienter », leur permettre de comprendre comment s’en servir et comment l’acquérir quand on en a besoin.

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