ÉDITO – Ce que c’est que de vivre sur une île… qu’elle soit lointaine ou pas, on naît en se sentant né à part et, comme si on habitait un grand bateau, on ne rêve que de partir. Nos amis britons en sont là: à peine ont-ils et de justesse réussi à éviter que les Écossais mettent fin à 300 ans d’union qu’ils ne pensent déjà plus qu’à larguer les amarres européennes et à sortir d’une union plus récente, dont le cœur est à Bruxelles.
Jusqu’à aujourd’hui, tout bon candidat au poste de Premier ministre du Royaume-Uni se devait d’être un peu anti-européen. David Cameron a poussé cette profession de foi à une nouvelle hauteur en promettant, s’il conserve son siège après les élections législatives du mois de mai, d’organiser un référendum sur le maintien du Royaume dans l’Union européenne. On savait déjà que les Britanniques sont majoritairement favorables à une sortie – ce qui laisse anticiper le résultat du scrutin – la nouveauté est que les Européens continentaux commencent eux-mêmes à ne pas y être très opposés. L’ancien Premier ministre Michel Rocard, exaspéré de voir le Royaume-Uni «largement à l’origine de la paralysie du système de décision européen», le supplie depuis des mois de partir plutôt que de jouer l’opposition systématique: «La Grande-Bretagne est un très grand pays qui a toujours refusé que l’Europe s’immisce dans ses affaires. Elle a bloqué tout approfondissement de l’intégration (…) S’ils s’en vont, il devient possible de répondre au besoin de commandement dans l’Europe. Même l’Allemagne s’en rend compte et le demande.»
Effectivement, Angela Merkel qui jusqu’à peu pesait pour maintenir le Royaume-Uni, préparerait l’option d’un départ et serait prête à le provoquer si nécessaire. D’après le quotidien Der Spiegel, elle aurait déjà annoncé à David Cameron fin 2014 que toute tentative de mettre des quotas aux migrants européens, en remettant en cause le principe fondamental de liberté de circulation dans l’Union, serait un franchissement de ligne qui conduirait le Royaume-Uni vers la sortie.
Absent de l’euro, absent de l’union bancaire créée en réponse à la crise de 2008, insulaire géographiquement autant que politiquement, Londres n’apporte pas grand-chose à la construction européenne: son camp travailliste est historiquement eurosceptique, les conservateurs de David Cameron aussi et le UKIP, crédité de 15% des voix encore plus à droite, construit tout son programme sur le rejet de l’Union. Tous, au mois de mai, seront attendus par leurs électeurs sur les craintes de perte d’identité britannique dans une Europe poreuse soumise à une immigration croissante et ne pourront pas ne pas capitaliser sur le fait que le Royaume-Uni voit sa bonne santé économique essentiellement liée au fait d’avoir refusé l’euro. Alors Bruxelles a-t-il quoi que ce soit à offrir aux Britanniques? Un marché unique de 500 millions de clients pour la moitié de leurs exportations, tout semble se résumer à cela.
Un référendum en 2016 pourrait bien réellement conduire à un processus de sortie du Royaume-Uni. Le centre de gravité de l’Europe basculerait alors plus encore à l’Est, avec une Allemagne-reine que la France ne contrebalancerait qu’à peine en se rapprochant de l’Espagne et de l’Italie. Une bonne part de l’activité bancaire de la City se relocaliserait alors à Dublin ou ailleurs et de longues années de négociation d’accords commerciaux entre Londres et 28 capitales commenceraient. L’affaiblissement supposé de l’Union par ce départ n’est pas certain: centrée sur ceux qui la désirent vraiment, elle pourrait alors peut-être progresser vers un réel fédéralisme. Et avancer.
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