Il s’est passé quelque chose que je pensais ne jamais voir de mon vivant. Le 5 juillet, la Suède et la Finlande ont signé des protocoles d’adhésion, entamant ainsi le processus de leur adhésion à l’OTAN. La pleine adhésion de ces pays à l’Alliance atlantique est envisagée avant la fin de l’année.
Cette expansion de l’OTAN, comme je le vois, fait date dans l’histoire. Dans les années 1980, au début de ma carrière, j’ai travaillé pour l’institution de recherche et de conseil RAND où je suis devenu spécialiste résident de la sécurité des pays nordiques.
J’ai effectué mon premier voyage en Suède en 1986, et mon premier voyage en Finlande en 1987, lors de la guerre froide. Bien que les deux pays aient été confrontés à une énorme menace militaire de la part de l’Union soviétique (et de ses alliés du Pacte de Varsovie), les dirigeants de Stockholm et d’Helsinki n’en démordaient pas lorsqu’il s’agissait de rester farouchement neutres et non alignés.
Pour la plupart des citoyens de ces pays, l’idée d’adhérer à l’OTAN était une apostasie, à la limite de la trahison. En particulier, parmi les membres du principal parti suédois – les sociaux-démocrates – le non-alignement était pratiquement une religion.
La fin de la guerre froide a vu la Suède et la Finlande se tourner constamment vers l’Occident, rejoignant toutes deux l’Union européenne en 1995 et le Partenariat pour la paix de l’OTAN en 1994. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, ces pays se sont encore rapprochés militairement de l’Occident, participant à des manœuvres communes avec les troupes de l’OTAN et accueillant même des soldats étrangers sur leur sol.
Néanmoins, l’adhésion à l’OTAN restait toujours tabou. Voir un tel changement dans les attitudes suédoises et finlandaises envers l’Alliance atlantique – et en si peu de temps – est stupéfiant. Cela change complètement la carte politico-militaire de l’Europe et réoriente le monde occidental vers le besoin d’assurer et de défendre la démocratie libérale.
Évidemment, le président russe Vladimir Poutine et ses hommes de main de Moscou sont furieux, bien qu’ils le cachent. La Finlande à elle seule ajoute plus de 1300 km à la frontière de l’OTAN avec la Russie. Bien sûr, les États baltes d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie, ainsi que la Pologne – tous les quatre, membres de l’OTAN – partagent également une frontière avec la Russie. Toutefois, le Kremlin ne s’est jamais plaint lorsqu’ils ont adhéré à l’OTAN après la dislocation de l’URSS et la chute du bloc soviétique.
Moscou ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Même pendant la guerre froide – une période beaucoup plus tendue entre l’Est et l’Ouest qu’aujourd’hui – la Suède et la Finlande étaient prêtes à rester neutres tant que la menace, bien que grave, restait plutôt potentielle et conjecturale. Même en cas d’incursions directes sur leur territoire – comme les violations par des sous-marins soviétiques des eaux territoriales suédoises, illustrées par l’échouement, en 1981, d’un sous-marin soviétique près de l’une des principales bases navales suédoises – ces pays n’ont pas abandonné leurs principes fondamentaux de non-alignement et de neutralité.
Bien sûr, le fait que le Kremlin ait dévoilé ses plans agressifs et qu’il ne se montre visiblement pas très fort sur le plan militaire a rendu aujourd’hui les choses plus claires. L’invasion sans fondement de l’Ukraine a révélé que la Russie est sous l’emprise de la dictature « personnelle » de Poutine ; que la gouvernance en Russie a été réduite à la survie du régime et à l’infusion d’une loyauté servile envers Poutine lui-même. En même temps, on dit que les dictatures personnelles sont plus enclines à déclencher des guerres.
(La direction collective soviétique – après le règne de Joseph Staline – était généralement plus prudente, ce qui n’a pas empêché les Soviétiques de s’engager dans des fiascos tels que l’invasion de l’Afghanistan.)
La guerre russo-ukrainienne a montré que « la toute puissante » machine de guerre russe semble n’être qu’un tigre de papier. Tous les discours des années 2010 sur la Russie qui a « pris un nouveau tournant » en matière de modernisation militaire ou sur les forces armées russes bénéficiant de « plus d’une décennie d’investissements et de réformes » ont été démontrés comme des aberrations.
L’armée russe est plutôt un immense village Potemkine. Les conscrits, qui constituent la principale partie de cette armée, se sont révélés être insuffisamment formés, équipés et dirigés. La logistique laisse à désirer. On n’entend pas souvent parler de l’armée de l’air russe.
Certes, la Russie n’a pas encore essuyé une défaite, mais la guerre russo-ukrainienne montre qu’on peut lui tenir tête. En outre, cette guerre montre l’importance et la force de la riposte commune. Ces facteurs ont été essentiels pour convaincre la Suède et la Finlande d’adhérer enfin à l’OTAN – une alliance qui prévoit une riposte collective à l’agression contre l’un de ses membres.
Là encore, nous voyons la loi des conséquences involontaires entrer en jeu. Trop souvent, les dictatures personnelles commettent l’erreur de considérer les démocraties comme faibles – étant donné qu’elles sont souvent minées par des divisions politiques internes – et, par conséquent, comme des proies faciles. Ces dictatures ne prévoient toujours pas avec quelle rapidité et quelle proximité les démocraties peuvent se coaliser lorsqu’elles sont confrontées à des menaces existentielles extérieures.
Aucun de ces arguments n’est nouveau, mais ils doivent souvent être réappris. Et ce n’est pas seulement la Russie qui se fait instruire. La Chine aussi ressemble à une dictature personnelle centrée sur Xi Jinping – on ne l’appelle pas sans raison « président de tout » dans ce pays. Et les dirigeants dont le pouvoir n’est soumis à aucun contrôle significatif finissent trop souvent par adopter un comportement téméraire.
Le comportement agressif de l’État-parti chinois envers Taïwan, en mer de Chine méridionale et ailleurs a suscité un retour de bâton bien prévisible. Le régime communiste peut s’opposer à une version asiatique de l’OTAN, mais il se peut que ce soit exactement ce qu’il obtient. On voit que l’OTAN est de plus en plus prête à soutenir les démocraties de la région Asie-Pacifique. L’expansion de l’OTAN pourrait avoir des répercussions bien plus importantes qu’on ne le croit.
Richard A. Bitzinger est un analyste indépendant de la sécurité internationale. Il était auparavant chercheur principal du Military Transformations Program de la S. Rajaratnam School of International Studies (RSIS) à Singapour, et a occupé des postes au sein du gouvernement américain et de divers groupes d’experts. Ses recherches mettent l’accent sur les questions de sécurité dans la région Asie-Pacifique, notamment la montée de la Chine en tant que puissance militaire, ainsi que la modernisation et la prolifération des armements dans la région.
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