Loup Viallet : « Le centre a poussé une partie de la droite française dans les bras de Vladimir Poutine »

Par Julian Herrero
26 mars 2025 13:13 Mis à jour: 26 mars 2025 19:48

ENTRETIEN – Loup Viallet est journaliste, géopolitologue et directeur du journal Contre-Poison. Dans un entretien accordé à Epoch Times, il revient sur la menace russe vis-à-vis de l’Europe et de la France. Il revient également sur la stratégie de Donald Trump en Ukraine.

Epoch Times : Comment qualifieriez-vous la stratégie russe à l’égard de l’Europe ?

Loup Viallet : Je la vois comme une stratégie d’étranglement. Cette menace russe, à l’Est de l’Europe est clairement identifiée, à la fois par le président Macron et l’ensemble des chefs de gouvernement et d’État de l’Union européenne comme une menace conventionnelle et multidimensionnelle (cyberattaques, manipulations de l’information…).

Le paroxysme de cette identification est bien sûr le conflit russo-ukrainien dont les débordements se font sentir aussi aux frontières de l’Union européenne.

Mais la stratégie russe est double : elle vise à la fois à l’Est et au Sud. La Russie sape les intérêts de l’Europe et plus particulièrement de la France en Afrique.

À ce sujet, il y a une cécité européenne. L’Europe ne voit pas que la Russie a profité de son affaiblissement et de son effacement progressif pour s’implanter au Sud en jouant le rôle de gendarme et en contrôlant des régimes faillis puis en instrumentalisant l’immigration.

Il y a donc une vraie stratégie d’étranglement. Emmanuel Macron refuse, quant à lui, d’avoir un gendarme russe à l’Est des frontières européennes, mais depuis 2017, il n’a eu de cesse de laisser Moscou étendre son influence en Afrique, au sud de nos frontières.

Je souhaiterais également revenir sur l’opinion publique française. Celle-ci est très divisée : beaucoup de Français de droite peu représentés dans les médias se disent plutôt pro-russes, tandis que les centristes, représentés par certaines chaînes d’information en continu, sont ouvertement pro-Ukraine.

Pour ma part, j’en veux beaucoup au centre d’avoir diabolisé la question migratoire. En faisant cela et en donnant une lecture du conflit russo-ukrainien essentiellement fondée sur le respect des droits de l’homme et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, il a poussé une partie de la droite française dans les bras de Vladimir Poutine, tout en trahissant son discours en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Une décision contraire au droit international, une incohérence forte dans la diplomatie macronienne. S’il faut s’émanciper du droit international, alors il faut aller jusqu’au bout. Les mêmes arguments ne peuvent être mobilisés ici et démobilisés là.

Par son discours, la mouvance centriste a empêché d’établir un lien entre ce qui se passe à l’Est et au Sud. Vladimir Poutine et la Russie sont des pourvoyeurs de chaos en Europe à travers ces deux régions.

Concernant l’Afrique et les flux migratoires, le pire est devant nous ! Il nous faut donc changer de logiciel, passer de la lecture droit-de-l’hommiste de la situation à une lecture plus sécuritaire basée sur nos intérêts vitaux.

Aujourd’hui, nous ne pouvons supporter un gendarme à l’Est et au Sud qui nous dicte les conditions de notre sécurité collective.

Face à Poutine qui menace nos intérêts vitaux, la seule réponse que nous devons apporter est celle du droit à notre existence, et un discours réaliste sur notre sécurité.

Pour vous, Emmanuel Macron n’a pas su anticiper cette menace ?

Il l’a identifiée, mais a malheureusement considéré que l’Afrique était un espace géographique dans lequel la France et l’Europe n’avaient que peu d’intérêts sécuritaires. Il a ainsi choisi de recentrer la présence française autour des intérêts économiques, c’est à dire surtout le Maroc et l’Afrique anglophone.

Par conséquent, il a accéléré la démilitarisation de l’ancien « pré-carré français » et nous en payons le prix aujourd’hui.

En laissant des alliés comme le Mali, le Burkina Faso ou le Niger se faire « putscher » par des affidés de la Russie, Emmanuel Macron a mis en péril la sécurité de la France.

D’ailleurs, l’Algérie, qui fait beaucoup parler d’elle aujourd’hui, est également un allié de premier plan du Kremlin en Afrique. Son attitude anti-France a été renforcée par cette alliance. Moscou demeure le premier fournisseur d’armes d’Alger et continue d’entraîner ses forces spéciales à la frontière entre le Maroc et l’Algérie.

Puis, la Russie est aussi présente sur un autre corridor de l’immigration : la Libye. Finalement, le président français est en contradiction avec les idéaux qu’il prétend défendre en étant fort à l’Est et faible au Sud. Il nous rend tous collectivement victimes d’une attitude attentiste.

Le plan « Réarmer l’Europe » présenté par la Commission européenne il y a plusieurs semaines vise à mobiliser 800 milliards d’euros. Est-ce faisable ?

C’est faisable. Cependant, le problème n’est pas de savoir si nous sommes en mesure de mobiliser 800 milliards d’euros puisqu’il s’agit de contracter une dette, mais surtout de connaître les modalités des investissements à venir. Dans quelles industries de défense les 800 milliards d’euros seront-ils investis ?

Et nous savons depuis longtemps en économie politique que ce sont les investissements militaires qui dopent le plus la créativité dans les nouvelles technologies. Maintenant, reste à savoir si cette nouvelle manne va nous permettre de faire un bond technologique ou pas. Cet effort sera vain si les États européens continuent à dépendre des matériels et des technologies américaines.

Le 20 mars, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’en est pris à la politique de réarmement de l’Europe. « L’Europe s’est engagée dans sa propre militarisation et s’est transformée en parti de la guerre ». Comment réagissez-vous ? Moscou craint-il un réarmement du Vieux Continent ?

Le réarmement de l’Europe est évidemment une menace pour l’une des principales puissances militaires mondiales qu’est la Russie.

Nous vivons un changement de paradigme : depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des États européens ont préféré se placer sous protectorat militaire américain pour profiter des produits de leur croissance et ainsi, ne pas bâtir leur propre armée, mais ces derniers empruntent aujourd’hui la voie de la remilitarisation.

Cela étant, nous allons voir si elle va être effective. Très récemment, l’Allemagne a accepté de lever de la dette et de revenir sur son interdiction de déficit budgétaire.

Mais est-ce que d’autres pays européens vont l’accepter ? Je n’en suis pas sûr. Il va être difficile pour nombre d’entre eux de changer leurs habitudes profondes…

À cet égard, les commentaires du porte-parole du Kremlin sont presque ironiques puisque cela fait des années que les États-Unis réorientent leur stratégie hors d’Europe et qu’ils demandent aux États européens d’augmenter leur budget de défense et qu’il ne se passe rien.

J’espère donc que ce plan de réarmement va réellement se concrétiser.

Comment décryptez-vous la politique ukrainienne de Donald Trump et ses échanges avec Vladimir Poutine ?

La Russie est un voisin de l’Amérique du Nord. Trois kilomètres séparent les îles Diomède dans le détroit de Béring. Chacun sait que le président américain cherche à exploiter des ressources naturelles au Groenland. Il cherche à apaiser les relations avec les Russes pour sécuriser ses approvisionnements.

Par ailleurs, il a pour ambition de séparer la Russie de la Chine pour isoler le rival stratégique de l’Amérique qu’est l’Empire du Milieu. De ce point de vue, donner quitus à la Russie dans la guerre conventionnelle qu’elle mène en Ukraine n’est pas une fin, mais un moyen pour lui.

Il n’est donc pas « pro-russe » comme cela a pu être affirmé ?

Si on lit clair dans son jeu, il a intérêt à montrer aux Russes qu’il n’est pas un adversaire et que l’administration Trump a changé d’alliés parce qu’il projette son pays dans un autre jeu géopolitique maintenant. Maintenant, la question est de savoir si sa stratégie peut fonctionner.

Nous pouvons en douter puisque pendant des années, on a observé une multiplication des investissements et des débouchés commerciaux de la Chine en Russie. Moscou dépend de plus en plus financièrement de Pékin. Par ailleurs, l’Iran, la Russie et la Chine ont récemment annoncé qu’ils reprenaient leurs exercices militaires conjoints…

Il y a donc un risque pour le président américain de perdre sa crédibilité auprès des chancelleries européennes avec cette stratégie.

Donald Trump fait un pari risqué. Les deux puissances sont des pays autoritaires qui peuvent se retrouver sur le plan politico-culturel…

Je pense que des régimes de même nature et voisins peuvent ne pas s’entendre. Regardez la situation entre l’Algérie et le Maroc.

Comme je le disais, le principal problème va être de savoir si la Russie va accepter de se rapprocher des États-Unis ou au contraire rester dans le giron de la Chine.

Malheureusement, je doute du succès de la stratégie du président américain : il n’a que quatre ans devant lui alors que les leaders russe et chinois peuvent se projeter sur une décennie au moins.

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