Lycée Maurice-Ravel: du « pas de vague » à l’affaire d’État

Par Ludovic Genin
28 mars 2024 11:14 Mis à jour: 25 avril 2024 16:15

Le proviseur du lycée Maurice-Ravel, dans le 20e arrondissement de Paris, a annoncé le 26 mars quitter ses fonctions « pour des questions de sécurité », suite à des menaces de mort reçues pour avoir demandé à une élève de BTS de retirer son voile. «Qu’une jeune fille, par le simple fait de provoquer un proviseur, réussisse à le faire démissionner est pour les islamistes une victoire certaine », a commenté sur Europe 1, Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur de l’Éducation nationale.

Pour Florence Bergeaud-Blackler, chercheuse au CNRS et spécialiste de l’islamisme, « le voile n’est que le symptôme d’une stratégie frériste que l’on connait bien à l’université, mais les études sur le frérisme sont devenues taboues, ce qui ne permet plus de comprendre ce qui nous arrive ».

Retour sur les faits
Le 28 février, le proviseur du lycée Maurice-Ravel rappelait à trois élèves leur obligation de retirer leur voile islamique dans l’enceinte de l’établissement. « L’une d’elles, majeure et scolarisée en BTS », a « ignoré le proviseur, ce qui a provoqué une altercation », a indiqué le parquet lors de l’annonce de l’ouverture de l’enquête début mars.

Il « a tout simplement fait son travail », a commenté Gabriel Attal. « Il a demandé à une jeune femme d’appliquer la loi, c’est-à-dire de retirer son voile dans l’établissement scolaire. Cette jeune femme a refusé et, pire encore, elle a cherché à l’intimider en l’accusant de l’avoir molestée ou de violence », a-t-il dit.

En effet, des accusations contre le proviseur lui reprochant d’avoir violenté la jeune femme ont ensuite été relayées sur les réseaux sociaux, y compris « par certains élus, je pense à une députée de la France insoumise », a déclaré le Premier ministre. Des accusations suivies de menaces de mort à l’endroit du proviseur qui, à son tour, a déposé plainte pour « acte d’intimidation envers une personne participant à l’exécution d’une mission de service public ».

«La terreur s’est installée », a témoigné un professeur proche du dossier au Figaro. « Des militants djihadistes aux adolescents instrumentalisés sur les réseaux sociaux, ceux qui veulent faire chuter l’école de la République savent désormais comment le faire : en la terrorisant.»

La jeune fille a, en effet, été soutenue par le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), une organisation proche des Frères musulmans installée en Belgique et créée à la suite de la dissolution fin 2020 du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) suite à l’assassinat de Samuel Paty. Le CCIE a publié une vidéo dans laquelle l’élève du lycée donnait en pleurant sa version des faits, une version démentie par l’académie de Paris et « insuffisamment caractérisée » par le parquet.

Devant cette pression et la crainte pour sa vie — on ne peut oublier les assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, le chef d’établissement a décidé de quitter ses fonctions dans un message envoyé aux enseignants, élèves et parents. Le Premier ministre Gabriel Attal l’a reçu le lendemain, mais le mal était déjà fait.

La fin du « pas de vague »
Alors que le rectorat mentionnait un «départ à la retraite anticipé», le proviseur Maurice-Ravel évoquait des « questions de sécurité ». Après les morts des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard, un rapport sénatorial publié le 6 mars a pointé la « terrible solitude » des enseignants et une « école de la République en danger ». Le constat était celui d’une « violence endémique » dans tous les établissements scolaires, violence alimentée par une laïcité incapable de préserver un socle commun entre les professeurs et les élèves.

La ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, auditionnée le 27 mars par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, est revenue sur l’annonce du départ du proviseur du lycée Maurice-Ravel. Elle a répété que le « pas de vague » qui avait pu avoir cours dans l’Éducation nationale était « inacceptable ».

L’expression du « pas de vague » avait été utilisée pour la première fois par des professeurs en 2018, après qu’un lycéen de Créteil avait braqué une enseignante avec une arme factice. L’expression évoque le manque de soutien et l’atténuation des faits de violences de la part de la hiérarchie et du rectorat face aux pressions subies par les professeurs.

Une affaire d’État face à « l’entrisme islamiste »
Le 27 mars, le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé que l’État allait porter plainte pour « dénonciation calomnieuse » contre l’élève qui avait accusé le proviseur de l’avoir violentée après son refus d’enlever son voile.

La laïcité est « sans cesse mise à l’épreuve. Et on le voit, il y a une forme d’entrisme islamiste qui se manifeste notamment dans nos établissements scolaires », a déclaré le Premier ministre lors de son intervention sur TF1. « Cet entrisme, ces coups de boutoir, ont fait récemment deux victimes dans la famille de l’Éducation nationale, Dominique Bernard et Samuel Paty », a-t-il rappelé.

En août 2023, Gabriel Attal, nouvellement nommé au ministère de l’Éducation, interdisait le port de l’abaya à l’école dans un contexte d’augmentation des atteintes à la laïcité. Selon une note des services de l’État, les atteintes à la laïcité sont bien plus nombreuses depuis l’assassinat en 2020 de Samuel Paty et ont augmenté de 120% entre l’année scolaire 2022-2023 et 2021-2022. Le port de signes et tenues, qui représente la majorité des atteintes, a quant à lui augmenté de plus de 150% tout au long de la dernière année scolaire.

Selon la loi du 15 mars 2004, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

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