Plusieurs intervenants se sont exprimés lors de la manifestation de la communauté asiatique, ce dimanche 4 septembre à Paris. Ils entament un travail de pédagogie et de rassemblement avec les associations d’Île-de-France. M. Sun Lai Tan, élu de Mitry-Mory en Seine-et-Marne, nous livre son analyse.
Que pensez-vous de la couverture du sujet dans les médias ou par les politiques ? Est-ce qu’on pose les bonnes questions ?
Après l’agression et la mort de M. Zhang, il a fallu lancer des pétitions et commencer des manifestations. Finalement, cela a pris suffisamment d’ampleur pour que les médias et les hommes politiques s’y intéressent. Une quinzaine de télévisions étaient présentes à la manifestation de dimanche, donc l’événement est bien couvert.
D’autre part, en ce qui concerne la lutte contre le racisme, cela demande un travail beaucoup plus long entre les différentes communautés qui vivent à Aubervilliers. Je le constate de plus en plus, on habite dans la même ville, dans le même quartier, mais on ne vit plus ensemble. On se côtoie, on se parle, mais on ne vit plus ensemble. Ce que nous déciderons de faire par la suite ne dépendra pas que de l’État. C’est au niveau individuel et collectif, il faut agir pour que les gens communiquent, dialoguent et travaillent ensemble. Il faut casser les barrières invisibles qui sont dans les villes de Seine-Saint-Denis et un peu partout en banlieue parisienne.
Comment comptez vous agir ?
Nous avons formé un groupe d’élus, d’organisateurs et de présidents d’associations et avons rencontré mardi dernier le président délégué interministériel de lutte contre le racisme. Nous lui avons soumis nos difficultés et revendications. Nous prévoyons aussi de nouvelles rencontres et de décider d’initiatives pour créer du lien social.
Par exemple, nous avons suggéré d’introduire plus de plats asiatiques dans les cantines. On mange du couscous, des plats italiens, c’est très bien. Pour les plats asiatiques, il n’y en a pas, à part peut-être le jour du Nouvel An chinois où l’on mange du riz cantonais.
D’autres part, la culture asiatique n’est pas suffisamment enseignée dans les écoles. Dans les programmes d’histoire en 5e, on parle par exemple de la traite des noirs, de la décolonisation mais on ne parle pas suffisamment du rôle qu’ont pu jouer les Chinois et les Asiatiques dans la construction du pays. Ceux sont des choses qu’on ne nous apprend pas. Il y a des choses comme ça que l’on voudrait améliorer…
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Vous avez dit que le racisme anti-asiatique est devenu plus banal, qu’il y avait peut-être une forme de jalousie. D’où provient ce sentiment ?
Je ressens cette jalousie systématiquement dans les quartiers sensibles, où il existe des écarts considérables. Je vous donne un exemple : à Aubervilliers, il y a des commerçants qui travaillent dans l’import/export, et à quelques mètres de là, vous avez des cités avec un très fort taux de chômage et des décrochages, scolaires et sociaux. Cet écart là crée des jalousies. Il ne s’agit pas de racisme comme il y en avait au XXe siècle sur la supériorité d’une race, c’est un racisme un peu insensé. S’il fallait le qualifier, ce serait une méconnaissance, plutôt de l’ordre de la xénophobie. On a peur de l’autre parce qu’on ne le connaît pas, parce qu’il circule des amalgames, des préjugés, des rumeurs sur le fait que les Asiatiques transporteraient de l’argent. Pourtant, si un Asiatique était riche, il n’habiterait peut-être pas à Aubervilliers. Notre but aujourd’hui est de montrer que nous sommes semblables aux autres habitants de ces quartiers-là, nous avons les mêmes difficultés, les mêmes problèmes pour emmener les enfants à l’école, nous avons les même problèmes avec l’État, les mêmes problèmes de sécurité.
Les Chinois sont d’un naturel plus introvertis que les Français. Que pensez-vous de ces différences ?
Les Asiatiques sont, de réputation, discrets. Ils ont tendance à courber l’échine, à ne rien dire et à ne pas vouloir créer de problèmes, ni envenimer les choses, c’est une tradition qui est très confucianiste, taoïste.
L’indignation que nous voyons aujourd’hui est le constat du racisme principalement vécu par la jeune génération, celle qui est née en France et y a grandi. Nous avons reçu une éducation à la française. Ce qu’on a appris à l’école, ce sont les valeurs de Voltaire. Nous n’allons pas faire la Révolution, mais cela nous apprend à ne pas nous laisser faire. Les choses commencent à changer. En 2010, il y a eu des manifestations à Belleville. Par la suite, la première génération a eu l’intelligence de laisser les jeunes porter le mouvement et s’organiser.
Nous avons plus d’aisance à parler le français, donc plus de facilité pour nous faire entendre. On maîtrise mieux les réseaux sociaux pour diffuser les cas, les problèmes et on connaît parfaitement les résultats. De plus, on maîtrise mieux les arcanes du législatif français, ce qui explique l’ampleur de la manifestation de dimanche : beaucoup de jeunes ont rassemblé d’autres amis, pas forcément d’origine asiatique.
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